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Commentaire de la décision 2010-31 QPC

09/12/2022

Conformité - non lieu à statuer

 

Par arrêt du 25 juin 2010, la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 63-1, 63-4, 77 et 706-88 du code de procédure pénale (CPP).

 

Dans sa décision n° 2010-30/34/35/47/48/49/50 QPC du 6 août 2010 le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'y avait lieu, pour lui, de statuer sur ces sept questions prioritaires de constitutionnalité posées en matière de garde à vue et relatives à des articles1 :

 

– soit déjà déclarés conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 20042 et pour lesquels le Conseil a jugé, le 30 juillet 2010, qu'il n'y avait pas lieu de procéder à leur réexamen ;

 

– soit déjà déclarés contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 20103.

 

La présente question prioritaire de constitutionnalité porte également sur les articles 63-1, 63-4 et 77 du CPP. Le Conseil constitutionnel a, à nouveau, jugé qu'il n'y avait pas lieu pour lui de statuer sur cette question portant sur ces articles. Mais la question porte aussi sur l'article 706-88 du CPP qui mérite un examen à part entière. Dans sa décision du 22 septembre 2010, le Conseil constitutionnel a dit d'y avoir lieu à statuer sur les 6 premiers alinéas de l'article 706-88 et a déclaré que les quatre derniers alinéas étaient conformes à la Constitution.

 

 

I. – Les six premiers alinéas de l'article 706-88 du CPP

 

L'article 706-88 du code de procédure pénale fixe le régime de garde à vue dérogatoire en matière de criminalité et de délinquance organisée. Il a été inséré dans le code de procédure pénale par l'article 1er de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (loi dite « Perben 2 »). Il comportait alors six alinéas.

 

Ces alinéas ont été spécialement examinés et déclarés conformes à la Constitution dans les considérants 21 à 27 et dans le dispositif de la décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004. Le Conseil a procédé à cet examen dans les mêmes considérants que ceux qu'il a consacrés à l'examen du 7ème alinéa de l'article 63-4 du CPP et de son article 706-73.

 

Dans sa décision du 22 septembre 2010, le Conseil a donc très logiquement repris la motivation de sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 selon laquelle il n'y a pas lieu de procéder à un réexamen  de ces dispositions.

 

 

II. – Les quatre derniers alinéas de l'article 706-88 du CPP

 

Les quatre derniers alinéas de l'article 706-88 du CPP ont été ajoutés par l'article 17 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers. Ils ont pour objet de définir les conditions dans lesquelles le juge des libertés et de la détention peut autoriser une prolongation de la garde à vue de vingt-quatre heures renouvelables une fois, ce qui peut conduire à une garde à vue d'une durée maximale de 144 heures (six jours).

 

Cet article résulte de deux amendements identiques déposés à l'Assemblée nationale, pour l'un, par MM. Marsaud, Mariani et Geoffroy et, pour l'autre, par MM. Dray et Floch. Il a été adopté sans discussion sur son principe, comme le rappelle un orateur : « Certes, les auditions que nous avons conduites ne sont pas totalement concluantes. Mais comme il s'agit de personnalités qui sont confrontées à ces problèmes au quotidien, nous devons leur faire confiance. »4

 

La loi du 23 janvier 2006 a été soumise au Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61 de la Constitution. Toutefois, dans sa décision n° 2005-532 du 19 janvier 2006, le Conseil n'a examiné que les articles 6, 8 et 19 de cette loi. Il incombait donc au Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre de l'article 61-1 de la Constitution, de procéder à l'examen de ces dispositions.

 

Les requérants, qui avaient déposé leur QPC au cours de la procédure pénale dont ils font l'objet n'ont pas été soumis à cette procédure dérogatoire qui permet de prolonger la garde à vue jusqu'à six jours. Ils n'ont formé aucun grief contre cette procédure. Le Conseil devait néanmoins d'office examiner si cette mesure est conforme aux normes constitutionnelles applicables à la garde à vue. Il l'a fait à l'aune de deux principes constitutionnels : l'article 66 de la Constitution et l'article 9 de la Déclaration de 1789 qui prohibe la rigueur non nécessaire.

 

  1. L'article 66 de la Constitution

 

L'article 66 de la Constitution place la liberté individuelle sous la protection de l'autorité judiciaire. Dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 le Conseil a rappelé que l'article 66 de la Constitution impliquait qu'au-delà de quarante-huit heures de privation de liberté, cette protection soit confiée à un magistrat du siège.

 

En l'espèce, tel est le cas. Il appartient au seul juge des libertés d'autoriser la prolongation exceptionnelle de la garde à vue pour vingt-quatre heures supplémentaires renouvelables une fois.

 

L'article 66 de la Constitution n'est donc pas méconnu.

 

  1. Le principe de rigueur nécessaire

 

La prolongation de la garde à vue jusqu'à six jours constitue-t-elle une rigueur nécessaire au sens de l'article 9 de la Déclaration de 1789 ? Pour répondre à cette question, le Conseil a examiné successivement les deux cas posés par l'article 706-88 du CPP dans lesquels cette prolongation de la garde à vue est possible.

 

– Le premier cas est ainsi posé : « Il ressort des premiers éléments de l'enquête ou de la garde à vue elle-même qu'il existe un risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste en France ou à l'étranger. »

 

Un tel critère est particulièrement restrictif. Il s'agit uniquement de prévenir, en cas de menace terroriste avérée, la survenance imminente d'un attentat. Une telle circonstance, dont il appartiendra aux autorités de poursuites de rapporter la preuve devant le juge des libertés et de la détention, paraît suffisamment extraordinaire et d'une nature telle qu'elle puisse justifier une privation de liberté de six jours dans les conditions de la garde à vue.

 

– Le second cas est ainsi rédigé : « Les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement. » La formulation employée présentait une certaine ambiguïté : le caractère impératif de la coopération s'inscrit-il dans le cadre de l'imminence d'un attentat ?

 

Si la lettre de l'article n'est pas claire, les travaux parlementaires donnent une indication en ce sens : l'exposé des motifs de l'amendement de MM. Marsaud, Mariani et Geoffroy parlait d'une coopération internationale nécessaire « pour s'opposer à l'action envisagée ». Les deux cas dans lesquels la garde à vue peut être portée à six jours sont donc liés par une condition commune : l'imminence d'un attentat, la réalité de cette menace pouvant être établie soit par les informations obtenues au cours de l'enquête ou de la garde à vue, soit dans le cadre de la coopération internationale. Dans les deux cas, la garde à vue est nécessaire pour tenter d'empêcher la survenance de l'attentat.

 

En retenant cette interprétation de la loi, le Conseil constitutionnel a conclu que l'article 706-88 du CPP n'est pas contraire à la Constitution. Les conditions qui encadrent le recours à cette prolongation de la garde à vue à six jours  garantissent qu'elle ne peut être mise en œuvre qu'à titre exceptionnel. Les statistiques produites par le Secrétariat général du Gouvernement en cours de procédure à la demande du Conseil constitutionnel confirment cette analyse : cette disposition paraît n'avoir été mise en œuvre qu'une seule fois depuis l'entrée en vigueur de la loi du 23 janvier 2006.

 

Il convient d'observer que la décision du Conseil constitutionnel décidant de déclarer l'article 706-88 du CPP conforme à la Constitution a pour effet de valider la durée de la garde à vue et la compétence du juge. Pour le reste, cet article renvoie aux garanties et aux règles prévues par les articles 62, 63, 63-1, 63-4 alinéas 1 à 6 et 77 du code de procédure pénale que le Conseil constitutionnel a déclarés contraires à la Constitution le 30 juillet 2010. Indirectement, le régime de ces gardes à vue dérogatoires sera donc nécessairement affecté par la réforme imposée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010.

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1 Décision n° 2010-30/34/35/47/48/49/50 QPC du 06 août 2010, M. Miloud K. et autres.

2 Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

3 Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres.

4 Assemblée nationale, compte rendu intégral des débats, 24 novembre 2005.