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Commentaire de la décision 2010-12 QPC

09/12/2022

Conformité

 

Cette décision est la première du Conseil constitutionnel statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative au droit des collectivités territoriales. Elle est due à l'initiative de la commune de Dunkerque qui, à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre deux décisions du préfet du Nord refusant de prononcer sa fusion avec deux autres communes, excipe de l'inconstitutionnalité des articles L. 2113-2 et L. 2113-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Elle n'a toutefois pas fait droit aux prétentions de cette commune.

 

En ce qui concerne la procédure, le Conseil constitutionnel a été saisi de la QPC par le Conseil d'État le 20 mai 2010. Après une procédure contradictoire, il a tenu une audience publique le 24 juin 2010 et une séance de délibéré le 1er juillet 2010. En application de l'article 4 du règlement, M. Michel Charasse a informé le président du Conseil constitutionnel qu'il estimait devoir s'abstenir de siéger. Il n'a donc ni assisté à l'audience publique ni participé au délibéré de cette affaire.

 

 

1. – Objet de la QPC

 

Quelles étaient les dispositions en cause ?

 

– d'une part, l'article L. 2113-2 du CGCT, tel qu'issu de l'article 123 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui dispose – en son premier alinéa – que « les personnes inscrites sur les listes électorales municipales sont consultées sur l'opportunité de la fusion de communes ».

 

– d'autre part, l'article L. 2113-3 du CGCT qui trouve sa source dans l'article 8 de la loi « Marcellin » du 16 juillet 1971 et qui dispose – en son premier alinéa – que « lorsqu'une consultation a été organisée suivant la procédure définie à l'article L. 2113-2, la fusion est prononcée par arrêté du représentant de l'État dans le département si le projet recueille l'accord de la majorité absolue des suffrages exprimés correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits dans l'ensemble des communes concernées ; toutefois, son second alinéa prévoit qu'« une commune ne peut être contrainte à fusionner si la consultation fait apparaître que les deux tiers des suffrages exprimés représentant au moins la moitié des électeurs inscrits dans cette commune ont manifesté leur opposition au projet ».

 

La commune requérante présentait trois griefs relatifs à l'inconstitutionnalité de ces deux articles du CGCT :

 

– l'institution en matière de fusion de communes d'un référendum ayant une portée décisionnelle serait contraire au troisième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution qui ne prévoit qu'une consultation ;

 

– en prévoyant, sans habilitation constitutionnelle, un référendum décisionnel en matière de fusion de communes, le législateur aurait porté atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ;

 

– en conférant à une section du peuple un pouvoir de décision, le législateur aurait méconnu le principe de la souveraineté nationale.

 

 

2. – Examen de la constitutionnalité

 

2.1. – L'article 72-1 de la Constitution

 

Aux termes de la dernière phrase de l'article 72-1 de la Constitution, issue de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 : « La modification des limites des collectivités territoriales peut également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi. »

 

Pour la requérante, fusionner des communes, c'est modifier leurs limites territoriales. Or, le constituant, en autorisant la consultation des électeurs pour un telle modification, aurait implicitement interdit tout procédé de référendum décisionnel.

 

Le Conseil constitutionnel n'a pas jugé utile de répondre à cette argumentation. Il s'est borné à constater que la dernière phrase de l'article 72-1 de la Constitution n'entre pas dans le champ de l'article 61-1 de la Constitution, lequel exige que la disposition législative « porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Dotée d'une très faible valeur normative, cette phrase est une simple habilitation laissée à l'appréciation du législateur et ne constitue ni un droit ni une liberté qui puisse être invoqué dans le cadre de l'article 61-1 de la Constitution.

 

En utilisant l'expression « en tout état de cause », le Conseil constitutionnel montre qu'il n'a pas voulu prendre position sur l'interprétation que la commune requérante faisait de l'article 72-1 ainsi que des conséquences qu'elle en tirait.

 

2.2. – Le principe de la libre administration des collectivités territoriales

 

Le principe de libre administration des collectivités territoriales a été évoqué pour la première fois par le Conseil constitutionnel dans une décision du 23 mai 19791.

 

Il découle des dispositions de l'article 34 de la Constitution aux termes duquel « la loi détermine les principes fondamentaux… de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources » ainsi que de l'inscription, renforcée depuis la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, du principe à l'article 72, alinéa 3, aux termes duquel « dans les conditions prévues pas la loi, ces collectivités s'administrent librement par les conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences ».

 

Le Conseil constitutionnel a fixé les conditions du respect par le Parlement du principe de libre administration des collectivités territoriales. Il en résulte notamment que toute collectivité doit « disposer d'un conseil élu » et être doté « d'attributions effectives »2.

 

La commune requérante soutenait qu'« en prévoyant un référendum décisionnel en matière de fusion de communes, sans fondement constitutionnel y habilitant le législateur, les dispositions législatives de l'article L.2113-3 portent donc atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales » et que « non seulement le recours au référendum conduit à dessaisir les conseils élus des communes concernées de la compétence d'administration de la collectivité qui leur est constitutionnellement garantie, mais en outre il permet de supprimer des communes, par fusion avec une ou plusieurs autres, contre le gré des conseils municipaux des communes fusionnées ».

 

Ce grief aurait pu être fondé si la décision de fusion appartenait à chaque commune appelée à fusionner et était confiée par la loi aux électeurs en lieu et place des « conseils élus » prévus par l'article 72 de la Constitution. En effet, seule une loi organique peut, en vertu du deuxième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution, fixer les conditions dans lesquelles « les projets de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité ».

 

Mais le Conseil constitutionnel a estimé que tel n'était pas le cas. Il a refusé de faire droit à cette prétention au motif que l'organisation des collectivités territoriales ne relève pas de la libre administration de celles-ci et n'y porte pas atteinte.

 

Si la Constitution permet aux collectivités territoriales de s'administrer librement par des conseils élus dans les conditions prévues par la loi, elle ne leur garantit aucune compétence en ce qui concerne leur organisation. Celle-ci relève du pouvoir législatif, dans sa définition, ou du pouvoir exécutif, dans sa mise en œuvre. Il n'existe en effet aucun principe d'auto-organisation des collectivités territoriales.

 

Pour définir la notion d'organisation, il est intéressant de se reporter au deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution qui dispose que « les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ». Comme le révèlent les travaux préparatoires à la révision de mars 2003, le constituant a entendu se référer à la notion d'organisation contenue dans le code général des collectivités territoriales, qui range sous l'intitulé « organisation » les dispositions relatives au nom et au territoire de la collectivité, à la composition, au fonctionnement et aux attributions de ses organes, ainsi qu'au régime juridique de leurs actes.

 

Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs  jugé que relevaient de cette organisation les procédures conduisant à la prise de décision dans le domaine de compétence que détiennent les collectivités territoriales3.

 

De même, le CGCT dispose que :

 

– le changement de nom d'une commune est décidé par décret en Conseil d'État, sur demande du conseil municipal et après consultation du conseil général (art. L. 2111-1) ;

 

– les contestations relatives à la délimitation du territoire des communes sont tranchées par le représentant de l'État dans le département lorsqu'elles intéressent les communes d'un même département et par décret lorsqu'elles intéressent des communes de deux ou plusieurs départements (art. L. 2112-1) ;

 

– les décisions relatives à la modification des limites territoriales des communes sont prononcées par arrêté du représentant de l'État dans le département ; toutefois, un décret en Conseil d'État, sur la proposition du ministre de l'intérieur, est requis lorsque la modification territoriale projetée a pour effet de porter atteinte aux limites cantonales (art. L. 2112-5) ;

 

– les limites territoriales des départements sont modifiées par la loi après consultation des conseils généraux intéressés, le Conseil d'État entendu ; toutefois, lorsque les conseils généraux sont d'accord sur les modifications envisagées, celles-ci sont décidées par décret en Conseil d'État (art. L. 3112–1).

 

La circonstance que ce soit l'État qui prenne en charge les dépenses résultant de la consultation en cas de projet de fusion de communes (art. L. 2113-2) conforte sa compétence en la matière4, alors que, pour les référendums prévus par le deuxième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution, les frais sont à la charge de la collectivité territoriale5.

 

L'État étant seul compétent pour décider de fusionner des collectivités territoriales et, en particulier, des communes, il n'existe donc pas de substitution des électeurs d'une commune à leur « conseil élu ». Les dispositions contestées ne portent donc pas atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales.

 

2.3. – Le principe de la souveraineté nationale

 

La Constitution fait de la souveraineté nationale un principe majeur de la République.

 

Elle apparaît dès son Préambule : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004. »

 

Elle trouve son origine dans l'article 3 de la Déclaration de 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. »

 

Elle fait l'objet du titre Ier de la Constitution : « De la souveraineté ».

 

Elle est définie par son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. – Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice… »

 

Son article 4 l'impose aux partis politiques : « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. »

 

Pour autant, la souveraineté nationale peut-elle être invoquée par un justiciable, qu'il soit citoyen ou non, à l'encontre d'une loi dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité ? Autrement dit, la méconnaissance par une loi du principe de la souveraineté nationale constitue-t-elle la violation d'un droit ou d'une liberté au sens de l'article 61-1 de la Constitution ? Si oui, cette méconnaissance peut-elle être invoquée par un non-citoyen ? Par une personne morale ? Par une collectivité territoriale qui est un regroupement de citoyens ?

 

Le Conseil constitutionnel n'a pas tranché cette question dès lors qu'en out état de cause, iln'a pas vu dans la décision de procéder à la fusion de communes limitrophes une remise en cause de la définition de la souveraineté nationale ou des conditions de son exercice. Il n'y a pas vu non plus une habilitation d'une section du peuple à se substituer au législateur6 ou à intervenir dans une matière régalienne7. Il s'agit simplement d'une mesure d'application de la loi qui relève de l'exécutif, en l'espèce du préfet, et qui ne met pas en cause la souveraineté nationale.

 

Le Conseil constitutionnel a donc rejeté les trois griefs présentés par la commune de Dunkerque.

 

En conclusion, deux observations peuvent être faites sur le rejet de ces griefs :

 

– Le Conseil constitutionnel reste prudent quant à la délimitation des « droits et libertés que la Constitution garantit » puisque, s'il écarte l'habilitation donnée au législateur par la dernière phrase du troisième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution et semble inclure dans ces droits et libertés la libre administration des collectivités territoriales, il ne se prononce pas sur le principe de la souveraineté nationale. Il avait procédé de la même façon à propos de l'objectif de valeur constitutionnelle sur le pluralisme des idées et des opinions invoqué par les auteurs de la QPC relative aux prérogatives de l'UNAF8.

 

– Le Conseil constitutionnel refuse d'interpréter une disposition législative si cette interprétation n'est pas nécessaire à son contrôle de constitutionnalité9. Ainsi, il ne s'est pas prononcé sur le point de savoir si la consultation prévue par l'article L. 2113-2 du CGCT sur l'opportunité de la fusion, tel qu'issu de l'article 123 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, revêt ou non un caractère décisionnel. Ce sera au Conseil d'État de trancher cette question.

 

 

_______________________________________

1 Décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979, Loi modifiant les modes d'élection de l'Assemblée territoriale et du Conseil de gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et définissant les règles générales de l'aide technique et financière contractuelle de l'État, cons. 9.

2 Décision n° 85-196 DC du 8 août 1985, Loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie, cons. 10.

3 Décision n° 2003-478 DC du 30 juillet 2003, Loi organique relative à l'expérimentation par les collectivités territoriales, cons. 2.

4 v. Réponse ministérielle, JO Sénat du 16 février 2006, à la question écrite n° 20093.

5 Art. L.O. 1112-15 du CGCT : « Les dépenses liées à l'organisation du référendum constituent une dépense obligatoire de la collectivité territoriale qui l'a décidée ».

6 Décisions n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002, Loi relative à la Corse, cons. 20 et 21 ; n° 2000-428 DC du 4 mai 2000, Loi organisant une consultation de la population de Mayotte, cons. 13.

7 Ces matières sont énumérées au quatrième alinéa de l'article 73 de la Constitution, à savoir « la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l'état et la capacité des personnes, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l'ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral ».

8 Décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010, Union des familles en Europe, cons. 8.

9 Décisions n° 91-298 DC du 24 juillet 1991, Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, cons. 33 ; n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, cons. 9 ; n° 2009-590 DC du 22 octobre 2009, Loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, cons. 6.