Conseil constitutionnel

  • Commentaire QPC
  • Affaires publiques
  • Droit des pensions
  • prestation aux survivants
  • orphelin
  • personne veuve
  • fonctionnaire

Commentaire de la décision 2010-108 QPC

09/12/2022

Non conformité totale - effet différé

 

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 décembre 2010 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 43 du code des pensions civiles et militaires de retraite (CPCMR).

 

Dans sa décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition contraire à la Constitution.

 

 

I. – La disposition contestée

 

Aux termes de l'article L. 43 du CPCMR, « lorsqu'il existe une pluralité d'ayants cause de lits différents, la pension définie à l'article L. 38 est divisée en parts égales entre les lits représentés par le conjoint survivant ou divorcé ayant droit à pension ou par un ou plusieurs orphelins âgés de moins de vingt et un ans. Les enfants naturels sont assimilés à des orphelins légitimes ; ceux nés de la même mère représentent un seul lit. S'il existe des enfants nés du conjoint survivant ou divorcé ayant droit à pension, chacun d'eux a droit à la pension de 10 p. 100 dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 40. En cas de pluralité d'orphelins âgés de moins de vingt et un ans d'un même lit non représenté par le conjoint survivant ou divorcé ayant droit à pension, il leur est fait application du deuxième alinéa de l'article L. 40.

 

« Si un lit cesse d'être représenté, sa part accroît celle du ou des autres lits. »

 

La pension de réversion est une « pension versée à une personne sur la base de droits acquis par une autre personne avec qui elle était unie par certains liens de droit »1. La disposition contestée a précisément pour objet de fixer les droits à pension des ayants cause (conjoint survivant et enfants) lorsque ceux-ci appartiennent à des lits différents, c'est-à-dire lorsqu'il y a eu plusieurs unions du fonctionnaire décédé (mariage ou union de fait dont sont nés des enfants).

 

Or, la nature de ces liens exigés entre le fonctionnaire décédé et ses ayants cause a évolué dans le temps.

 

À l'origine, seuls les liens du mariage étaient de nature à permettre l'octroi d'une pension de réversion. Pouvaient ainsi bénéficier d'une pension les seuls lits légitimes, qu'ils soient représentés par le conjoint survivant ou par les enfants nés d'un mariage. En cas de pluralité de lits – résultant forcément, à l'époque, d'une pluralité de mariages (en pratique des orphelins issus de mariages successifs) –, l'ancien article L. 43 du CPCMR prévoyait un partage entre les lits. À cette époque, les enfants naturels étaient exclus du bénéfice de la pension de réversion, puisque celle-ci était conçue comme un effet exclusif du mariage.

 

Dans le but de tirer les conséquences du principe d'égalité entre les enfants naturels et les enfants légitimes posé par la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation, la loi n° 77-574 du 7 juin 19772 a mis fin à cette situation. Depuis cette loi, l'article L. 43 du CPCMR permet donc un partage de la pension de réversion entre les ayants cause de lits différents sans aucune référence, désormais, au mariage3. Chaque lit – qu'il soit ou non fondé sur le mariage – reçoit ainsi une fraction de la pension, étant précisé que la famille naturelle ne constitue un lit que si des enfants en sont issus.

 

En l'absence d'enfants, la pension de réversion demeure, en effet, réservée au conjoint, comme le prévoit l'article L. 38, alinéa 1er, du CPCMR qui fixe le montant de la pension « à 50 % de la pension obtenue par le fonctionnaire ou qu'il aurait pu obtenir au jour de son décès ». Ainsi la personne liée par un pacte civil de solidarité (PACS) ne peut bénéficier, au décès de son partenaire, d'une pension de réversion et il en va de même pour les concubins.

 

Mais, dès lors qu'un ou plusieurs enfants naissent de la relation entre personnes non liées par un mariage (concubins ou partenaires liés par un PACS), un lit est constitué, de sorte que la pension de 50 % de l'article L. 38 devra être partagée, le cas échéant, entre plusieurs lits.

 

Ainsi, dans l'hypothèse où le fonctionnaire laisse à son décès une veuve et un enfant issu d'une relation hors mariage, la veuve compte pour un lit et l'enfant pour un autre lit : chacun recevra donc une pension de 25 % (l'enfant recevant au surplus la pension de 10 %, propre aux orphelins de moins de vingt et un ans, prévue par l'article L. 40 du CPCMR). Ainsi encore, dans l'hypothèse où le fonctionnaire décédé laisse comme ayants cause, d'une part, quatre enfants de moins de vingt et un ans issus d'un premier lit et, d'autre part, un enfant unique issu d'un second lit, les pensions de réversion sont ainsi calculées : chaque enfant reçoit la pension de 10 % de l'article L. 40 et, faute de conjoint survivant, la pension de l'article L. 38 sera partagée par lit en vertu de l'article L. 43, soit : 25 % que se partagent les quatre enfants du premier lit (6,25 % chacun) et 25 % que l'enfant unique du second lit reçoit seul. En définitive, les quatre premiers enfants auront chacun 16,5 % de la pension de leur auteur et le dernier recevra 35 %.

 

Toutes ces solutions s'expliquent par le fait que le législateur a choisi une répartition par lit et non par enfant. Dès lors que tous les lits ne sont pas composés du même nombre d'ayants cause, il en résulte nécessairement une différence de traitement entre les individus pris isolément, l'égalité n'étant assurée, du point de vue des intéressés, que s'ils appartiennent au même lit. C'est cette situation que dénonçait la requérante au nom du principe d'égalité.

 

 

II. – La non-conformité à la Constitution

 

Le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition contestée contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et il s'est prononcé sur les conditions d'application dans le temps de cette déclaration d'inconstitutionnalité.

 

A. − L'atteinte au principe d'égalité

 

Rappelant les termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, le Conseil a fait une application de sa jurisprudence bien établie selon laquelle « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (cons. 3).

 

L'article L. 43 repose, comme on l'a vu, sur une répartition par lit. À l'époque où la pension de réversion était conçue comme un pur et simple effet du mariage, ce raisonnement du législateur s'expliquait aisément : le partage par lit permettait de compenser le fait que l'une des épouses successives était prédécédée à ses enfants ; ceux-ci recueillaient la part de pension qui aurait dû revenir à leur mère et se la partageaient jusqu'à l'âge de vingt et un ans. La différence de traitement qui pouvait en résulter – en fonction de la composition de chaque lit – entretenait alors un rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établissait puisque l'octroi d'une pension de réversion était un effet exclusif du mariage. Mais ce raisonnement a perdu sa logique depuis qu'en 1977 le législateur a détaché la pension de l'article L. 43 du CPCMR de la notion de mariage. Depuis cette date, en effet, l'enfant naturel représente son lit alors même que son parent n'a (ou n'avait) aucune vocation à bénéficier lui-même de la pension de réversion. Les enfants naturels recueillent ainsi leur part de la pension de l'article L. 38 alors même que leur parent n'aurait pu en profiter.

 

Grâce à ce mécanisme, la disposition contestée tendait à assurer la conciliation des droits entre le conjoint survivant et les enfants, sans briser l'égalité entre les filiations légitime et naturelle. Telle était d'ailleurs l'argumentation développée par le Gouvernement qui soutenait, dans ses observations, qu'en assimilant les enfants nés hors mariage aux orphelins nés de l'union formée par le fonctionnaire décédé avec son conjoint, et en alignant les droits du lit représenté par l'enfant né hors mariage sur ceux dont bénéficie le foyer constitué du conjoint survivant et des enfants nés de l'union du fonctionnaire avec ce dernier, le législateur a eu pour objectif d'assurer également à l'enfant né hors mariage des conditions matérielles d'existence décentes.

 

Mais une difficulté résulte, en droit constitutionnel, de la règle adoptée en 1977. Cette difficulté ne se manifeste toutefois que dans une hypothèse que la décision du Conseil a précisément identifiée.

 

Ainsi, le Conseil n'a pas remis en cause le principe selon lequel, lorsqu'un conjoint survivant est en concours avec un enfant issu d'un autre lit, le partage de la pension de l'article L. 38 s'opère à parts égales entre les lits. L'article L. 43 opère une répartition entre les lits selon un mode qui, s'il peut apparaître, à tout le moins, assez frustre, n'a pas été jugé contraire au principe d'égalité.

 

Mais, il n'en allait pas de même, comme le constate le Conseil constitutionnel, « dans le cas où deux lits au moins sont représentés par un ou plusieurs orphelins », dès lors du moins que chacun de ces lits ne comprend pas exactement le même nombre d'orphelins. En effet, comme on l'a vu dans le deuxième exemple exposé ci-dessus (cf. I), « la division à parts égales entre les lits quel que soit le nombre d'enfants qui en sont issus conduit à ce que la part de pension de réversion due à chaque enfant soit fixée en fonction du nombre d'enfants issus de chaque lit » (cons. 4). Concrètement, la pension de réversion due à chaque orphelin est alors inversement proportionnelle au nombre d'enfants issus du même lit, autrement dit à l'importance de la fratrie. Le respect de l'égalité de traitement entre les enfants est alors à la merci des circonstances de fait relatives à la composition précise de chaque lit.

 

Or, selon le Conseil constitutionnel, cette « différence de traitement (…) entre les enfants de lits différents n'est pas justifiée au regard de l'objet de la loi qui vise à compenser, en cas de décès d'un fonctionnaire, la perte de revenus subie par ses ayants cause » (cons. 4). Si celle-ci s'apprécie, en principe, au regard de la perte du bénéfice de l'obligation d'entretien et d'éducation ou du devoir de secours dont les survivants étaient créanciers, à titre individuel, à l'égard du fonctionnaire décédé, le Conseil constitutionnel n'a pas imposé que la pension leur soit attribuée selon cette logique qui requiert l'appréciation concrète des besoins des ayants cause. En jugeant que, s'agissant des enfants, leurs droits ne sauraient donc être par principe divisés par le nombre de descendants du même auteur, le Conseil constitutionnel a censuré le caractère inapproprié au but recherché du critère choisi.

 

Sur ce fondement, l'article L. 43 du CPCMR a, par conséquent, été jugé contraire à la Constitution.

 

B. − Les effets dans le temps de la déclaration d'inconstitutionnalité

 

Dans les deux décisions du 25 mars 2011 qui déclarent des dispositions législatives contraires à la Constitution (n° 2010-108 QPC et n° 2010-110 QPC), le Conseil a précisé, par un considérant « de principe » les effets dans le temps de ses décisions et les conditions dans lesquelles ces effets peuvent être modulés. Rappelant les termes de l'article 62 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a précisé, d'une part, qu'en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et que la disposition législative déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel et, d'autre part que l'article 62 réserve au Conseil constitutionnel la possibilité tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité que de fixer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits peuvent être remis en cause.

 

Ainsi, en l'espèce, le Conseil constitutionnel a décidé, de reporter au 1er janvier 2012 l'abrogation de la disposition contestée (cons. 5) afin de laisser au législateur le soin d'apprécier les suites qu'il convient de donner à la déclaration d'inconstitutionnalité.

 

Le Conseil a, en effet, constaté « que l'abrogation de l'article L. 43 du code des pensions civiles et militaires de retraite aura pour effet de supprimer les droits reconnus aux orphelins par cet article », limitant par là-même leurs droits à pension aux 10 % prévus par l'article L. 40. C'est ce qui arrivera le 1er janvier 2012 si aucune disposition législative ne vient corriger l'inconstitutionnalité constatée dans la décision du 25 mars 2011. Le Conseil a toutefois estimé qu'il ne lui appartenait pas d'imposer cette solution alors qu'il peut être mis fin à l'inconstitutionnalité par l'adoption d'une modification de l'article L. 43.

 

Ainsi, la décision manifeste que, dès lors que cela lui apparaît compatible avec la nature de l'affaire, le Conseil constitutionnel laisse au législateur la plus grande marge d'appréciation pour décider non seulement quelle législation doit être adoptée mais encore s'il y a lieu de légiférer pour remplacer les dispositions déclarées contraires à la Constitution.

_______________________________________

1  « Pension » in Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, PUF, p. 630.

2  Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, article 20.

3  Une loi postérieure (n° 82-599 du 13 juillet 1982 relative aux prestations de vieillesse, d'invalidité et de veuvage, article 15) a remplacé le terme de « veuve », qui figurait auparavant à l'article L. 43, par les termes « conjoint survivant ou divorcé ayant droit à pension ». Cela était logique dans la mesure où une femme fonctionnaire peut très bien survivre à son mari !