• Commentaire DC

Commentaire de la décision 2001-454 DC

13/06/2023

Les questions soulevées par les deux saisines dirigées contre la loi relative à la Corse étaient assez bien « balisées » par la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la libre administration des collectivités territoriales (voir, pour la seule Corse : n° 82-138 DC du 25 février 1982, loi portant statut particulier de la région de Corse, Rec. p. 41 ; n° 94-350 DC du 20 décembre 1994, loi relative au statut fiscal de la Corse, Rec. p. 134 ; n° 91-290 DC du 9 mai 1991, loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, Rec. p. 50).

Les observations qui suivent ne reviendront ni sur la genèse mouvementée du texte, ni sur son économie générale. Elles se borneront à examiner les griefs soulevés par les saisines, en faisant masse de certains d'entre eux s'agissant de la saisine sénatoriale.

1) LA PROCEDURE LEGISLATIVE

Les sénateurs requérants soutenaient que la procédure législative à l'issue de laquelle avait été adoptée la loi déférée était viciée dès lors qu' « après le rejet de deux rédactions alternatives pour l'article premier, le président de la commission mixte paritaire a estimé que celle-ci ne pouvait parvenir à l'adoption d'un texte commun et constaté l'échec de la commission » .

Selon les saisissants, « le rejet formel par la commission mixte paritaire du texte adopté pour cet article par l'Assemblée nationale en première lecture, puis d'une rédaction alternative proposée par le rapporteur pour le Sénat, devait être interprété comme une volonté de la commission de supprimer l'article premier, ce qui ne pouvait exclure que la discussion se poursuive sur les autres dispositions restant en discussion » .

C'était la première fois que le Conseil se trouvait confronté à pareil grief. En y répondant, il a marqué qu'il n'entendait pas s'ingérer dans le fonctionnement d'un des organes les plus centraux et des plus « intimes » (le Gouvernement n'y siège pas) du Parlement.

Aux termes du deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, la commission mixte paritaire est « chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion » . Par suite, lorsque la commission ne s'accorde ni sur la rédaction, ni sur la suppression d'un des articles restant en discussion, elle doit être regardée comme n'étant pas parvenue, au sens du quatrième alinéa de l'article 45, « à l'adoption d'un texte commun ». Son échec peut être alors constaté pour l'ensemble des dispositions restant en discussion. Tel a été le cas en l'espèce du fait du désaccord persistant et manifeste sur l'article 1er.

Ainsi, en concluant à l'échec de la CMP dans les circonstances que les requérants rappelaient eux-mêmes, le président de celle-ci n'a pas fait une application inexacte des règles constitutionnelles régissant la procédure législative .

2) L'ARTICLE 1ER

L'article 1er de la loi déférée procède à une nouvelle rédaction des articles L 4424-1 et L 4424-2 du code général des collectivités territoriales. Il insère en outre dans le même code un article L 4424-2-1 (qui n'était pas en discussion).

A) Aux termes du nouvel article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales :

« l'Assemblée règle par ses délibérations les affaires de la Corse. Elle contrôle le conseil exécutif.

L'Assemblée vote le budget, arrête le compte administratif, adopte le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse ».

Les sénateurs requérants faisaient grief à cette disposition de porter atteinte aux compétences reconnues aux communes et aux départements par l'article 72 de la Constitution.

Mais la disposition critiquée ne saurait être interprétée que comme confiant à l'Assemblée de Corse le soin de régler, par ses délibérations, les affaires de la collectivité territoriale de Corse. Elle ne place donc pas les communes et les départements de Corse sous la tutelle d'une autre collectivité territoriale, ce qui serait en effet inconstitutionnel (en ce sens : n° 84-174 DC du 25 juillet 1984, loi relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, et Martinique et de la Réunion, cons. 5, Rec. p. 48 ; TA de Pau, 13 mars 1997, Préfet des Landes, AJDA 1997.542, note J.L. Rey).

B) Le nouvel article L 4424-2 du code général des collectivités territoriales constituait le coeur de l'article 1er.

Seuls faisaient difficulté le II et le IV du nouvel article L. 4424-2.

a) Aux termes du II du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales :

« Le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exerce dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi.

Sans préjudice des dispositions qui précèdent, dans le respect de l'article 21 de la Constitution, et pour la mise en oeuvre des compétences qui lui sont dévolues en vertu de la partie législative du présent code, la collectivité territoriale de Corse peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île, sauf lorsqu'est en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental.

La demande prévue à l'alinéa précédent est faite par délibération motivée de l'Assemblée de Corse, prise à l'initiative du conseil exécutif ou de l'Assemblée de Corse après rapport de ce conseil. Elle est transmise par le président du conseil exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse ».

Pour les auteurs des deux saisines, ces dispositions conduisaient à la dévolution à la collectivité territoriale de Corse d'un pouvoir réglementaire de portée générale. Etait ainsi violé, selon eux, l'article 21 de la Constitution en vertu duquel le Premier ministre assure l'exécution des lois et, sous réserve de l'article 13, exerce le pouvoir réglementaire . Pour les sénateurs requérants, la dévolution de pouvoir réglementaire dénoncée méconnaissait en outre le principe d'égalité . Ils soutenaient enfin que, par l'imprécision de leur formulation, les dispositions critiquées étaient entachées d'incompétence négative.

Aucun de ces griefs n'a convaincu le Conseil.

En premier lieu, les dispositions du II (comme celles du IV) n'ont pas de portée normative propre. Elles ne sauraient être entendues comme attribuant par elles-mêmes à la collectivité territoriale de Corse le pouvoir réglementaire. Elles ne font que rappeler la possibilité et les conditions de cette dévolution. C'est une sorte d'exposé de principes. A l'égard de ce genre d'exposé, le contrôle de constitutionnalité consiste à vérifier qu'aucun des principes énoncés n'est contraire à la Constitution.

Il est normal que, pour l'exercice des compétences que décide de lui confier le législateur, une collectivité territoriale soit amenée à fixer des règles dans les cas et conditions précisément définis par ce dernier. L'habilitation législative à laquelle se réfèrent les dispositions contestées ne peut être entendue que dans ces limites.

Il n'y a rien d'inconstitutionnel, ni même d'inhabituel, à ce que le législateur dote une catégorie de collectivités territoriales (fût-elle réduite à un seul représentant comme en Corse) d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice d'une compétence déterminée et selon des modalités bien définies. Les compétences confiées par la loi aux autorités décentralisées ne se réduisent pas en effet à la capacité d'effectuer des opérations matérielles, de passer des contrats ou de prendre des décisions individuelles. L'exercice de la compétence transférée réside souvent dans le pouvoir de fixer des règles générales (il suffit de penser à la réglementation de l'urbanisme).

Un tel pouvoir réglementaire n'est ni autonome, ni général, comme l'est, en vertu de l'article 21 de la Constitution, celui du Premier ministre. Il est doublement limité : parce qu'il s'exerce dans les bornes d'une compétence définie par la loi ; parce qu'il emprunte des formes fixées par la loi. Cette double limitation respecte les termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes fondamentaux (...) de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ». Les dispositions critiquées ne pouvaient être entendues que comme se bornant à le rappeler.

A cette première condition constitutionnelle mise à l'exercice du pouvoir réglementaire par une autorité décentralisée (définition précise par la loi de son domaine et de ses modalités), la jurisprudence du Conseil constitutionnel en a ajouté une autre : que les conditions essentielles d'application d'une loi relative à l'exercice d'une liberté publique (la liberté de l'enseignement par exemple) ne dépendent pas des décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent varier sur l'ensemble du territoire (n° 84-185 DC du 18 janvier 1985, loi modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales, sur l'article 27-2. , Rec. p. 36 ; n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales, cons. 27, Rec. p. 9) ; ou encore : que l'exercice du pouvoir confié aux collectivités territoriales ne fasse pas dépendre des décisions des organes compétents de cette collectivité les conditions essentielles de mise en oeuvre des libertés publiques (voir par exemple n° 96-373 DC du 9 avril 1996, cons. 25, Rec. p. 43).

En l'espèce, le II du nouvel article L. 4424-2 exclut toute habilitation « lorsqu'est en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental ». En traçant cette frontière, le législateur a reconnu a fortiori qu'il ne pouvait confier à la collectivité territoriale de Corse le pouvoir de fixer des règles générales dans des domaines où l'exercice d'un tel pouvoir ferait dépendre des décisions des organes compétents de cette collectivité les conditions essentielles de mise en oeuvre des libertés publiques.

b) Aux termes du IV du nouvel article L 4424-2 du code général des collectivités territoriales :

« Lorsque l'Assemblée de Corse estime que les dispositions législatives en vigueur ou en cours d'élaboration présentent, pour l'exercice des compétences de la collectivité territoriale, des difficultés d'application liées aux spécificités de l'île, elle peut demander au Gouvernement que le législateur lui ouvre la possibilité de procéder à des expérimentations comportant le cas échéant des dérogations aux règles en vigueur, en vue de l'adoption ultérieure par le Parlement de dispositions législatives appropriées.

La demande prévue à l'alinéa précédent est faite par délibération motivée de l'Assemblée de Corse, prise à l'initiative du conseil exécutif ou de l'Assemblée de Corse après rapport de ce conseil. Elle est transmise par le président du conseil exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse.

La loi fixe la nature et la portée de ces expérimentations, ainsi que les cas, conditions et délai dans lesquels la collectivité territoriale pourra faire application de ces dispositions. Elle fixe également les modalités d'information du Parlement sur leur mise en oeuvre. L'évaluation continue de cette expérimentation est confiée, dans chaque assemblée, à une commission composée à la représentation proportionnelle des groupes. Cette commission présente des rapports d'évaluation qui peuvent conduite le législateur à mettre fin à l'expérimentation avant le terme prévu.

Les mesures prises à titre expérimental par la collectivité territoriale de Corse cessent de produire leur effet au terme du délai fixé si le Parlement, au vu du rapport d'évaluation qui lui est fourni, n'a pas procédé à leur adoption ».

Pour les auteurs des deux saisines, ces dispositions attribuaient à la collectivité territoriale de Corse des compétences ressortissant au domaine de la loi au mépris du principe de la souveraineté nationale et des articles 3 et 34 de la Constitution . Il était en outre porté atteinte, pour les auteurs des deux saisines, à l'égalité devant la loi et à l'indivisibilité de la République . Les sénateurs requérants ajoutaient que la procédure contestée méconnaissait le droit d'initiative attribué aux membres du Parlement par l'article 39 de la Constitution.

Aux termes de l'article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice ». En vertu du premier alinéa de son article 34 : « La loi est votée par le Parlement ». En dehors des cas prévus par ses articles 11, 16, 38, 74 et 77, il n'appartient qu'au Parlement de prendre des mesures relevant du domaine de la loi. Ainsi, aux termes de l'article 38, seul le Gouvernement « peut demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».

En ouvrant au législateur la possibilité d'autoriser une collectivité territoriale à prendre des mesures comportant des dérogations à la législation en vigueur, fût-ce à titre expérimental et limité dans le temps, la loi déférée était intervenue dans un domaine qui ne relève que du constituant . La Constitution n'a pas prévu qu'une collectivité territoriale soit habilitée à prendre, par « ordonnance locales » en quelque sorte, des mesures relevant du domaine de la loi.

Ne pouvait être sérieusement invoqué au soutien des dispositions contestées le précédent « établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel » (n° 93-322 DC du 28 juillet 1993, cons. 8 et 9, Rec. p. 204), puisque le Conseil n'avait alors admis, dans leur principe, de dérogations expérimentales à des règles législatives que dans le cas très particulier des règles d'organisation et de fonctionnement d'une catégorie déterminée d'établissements publics, les établissements publics d'enseignement supérieur, qui, en vertu de principes constitutionnels (art. 11 de la Déclaration de 1789, indépendance des professeurs d'université), se prêtent, plus que toute autre catégorie, à une large déconcentration, voire à une certaine dose d'autodétermination de leurs règles de fonctionnement.

Il y avait lieu, dès lors, de déclarer contraire à la Constitution, dans la rédaction que lui donnait l'article 1er de la loi déférée, le IV de l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, IV dont les dispositions constituaient un ensemble indivisible.

3) L'ARTICLE 7

L'article 7 de la loi déférée insère dans le code de l'éducation un article L. 312-11-1 ainsi rédigé : « La langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires de Corse ».

Selon les deux saisines, cette disposition imposait, dans les faits, à tous les élèves de Corse l'apprentissage de la langue corse. Elle était ainsi contraire au principe d'égalité.

La décision était dictée par la jurisprudence antérieure du Conseil sur l'enseignement des langues régionales dans les classes publiques (pour le corse : n° 91-290 DC du 9 mai 1991, cons. 37, Rec. p. 50 ; pour le tahitien : n° 96-373 DC du 9 avril 1996, cons. 91 et 92, Rec. p. 43 ; pour le breton : n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001, cons. 48 et 49), compte tenu de la similitude des formulations entre les lois de 1991, 1996 et 2002.

L'enseignement d'une langue régionale dans le cadre de l'horaire normal des établissements de l'enseignement public ne saurait, sans méconnaître le principe d'égalité, revêtir un caractère obligatoire pour les élèves (voir les décisions du Conseil de 1991 sur le corse et de 1996 sur les langues polynésiennes). Il ne saurait non plus avoir pour objet de soustraire les élèves aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci (mêmes décisions).

Il résulte de ce qui précède que, sous réserve que l'enseignement de la langue corse revête, tant dans son principe que dans ses modalités concrètes de mise en oeuvre, un caractère facultatif, l'article 7 n'est contraire à aucune règle, ni à aucun principe de valeur constitutionnelle.

La réserve émise en 2002 est plus précise que dans les précédents de 1991 et 1996 (« dans son principe comme dans ses modalités de mise en oeuvre »). Elle exclut en outre que l'enseignement du corse puisse revêtir un caractère obligatoire pour les enseignants.

4) ARTICLES 12 ET 13

L'article 12 de la loi déférée insère dans le code général des collectivités territoriales sept articles relatifs à l'application du droit de l'urbanisme en Corse . Le premier de ces articles institue un « plan d'aménagement et de développement durable de Corse » qui se substitue au schéma d'aménagement de la Corse faisant l'objet des articles L. 144-1 à L. 144-6 du code de l'urbanisme. Ces derniers articles sont abrogés en conséquence par l'article 13 de la loi déférée.

Les sénateurs requérants faisaient grief aux articles 12 et 13 d'avoir fait disparaître du code de l'urbanisme les dispositions spécifiques à la Corse.

Le grief n'a pu qu'être rejeté. Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, dont le pouvoir d'appréciation n'est pas de même nature que celui du Parlement, de se prononcer sur l'opportunité d'un choix de codification fait par le législateur. Le choix fait en l'espèce ne méconnaît ni l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, ni aucune autre exigence constitutionnelle.

5) LES DISPOSITIONS DEFINISSANT LES COMPETENCES DE LA COLLECTIVITE TERRITORIALE DE CORSE

La saisine sénatoriale dirigeait des griefs de même nature (violation de l'égalité devant la loi, violation de l'article 21 de la Constitution...) contre toute une série d'articles opérant des transferts précis de compétences de l'Etat à la collectivité territoriale de Corse. Ces griefs étaient infondés et ont été globalement rejetés.

Aux termes de l'article 9 de la loi déférée, la collectivité territoriale de Corse « définit et met en oeuvre la politique culturelle en Corse... » ; son article 12 confie à l'Assemblée de Corse le soin de déterminer « en tenant compte de la fréquentation touristique de certains sites et de la préservation de l'environnement, les espaces situés dans la bande littorale définie au III de l'article L 146-4 du code de l'urbanisme dans lesquels peuvent être autorisés (...) dans les conditions que le plan précise, des aménagements légers et des constructions non permanentes destinés à l'accueil du public, à l'exclusion de toute forme d'hébergement, dans le respect des paysages et des caractéristiques propres à ces sites » ; son article 17 prévoit que la collectivité territoriale de Corse détermine le montant et les modalités d'attribution des aides directes et indirectes aux entreprises ; son article 18 la charge de fixer « les orientations du développement touristique de l'île » et la « politique du tourisme » ; en vertu de son article 19, l'Assemblée de Corse prononcera le classement des stations touristiques mentionnées aux articles L 2231-1 et L 2231-3 du code général des collectivités territoriales ; en application de son article 23, le conseil des sites de Corse exerce en Corse les attributions respectivement dévolues à la commission régionale du patrimoine et des sites par l'article 1er de la loi n° 97-179 du 28 février 1997, à la commission spécialisée des unités touristiques nouvelles par l'article 7 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 et à la commission départementale des sites, perspectives et paysages par l'article L. 341-16 du code de l'environnement ; son article 24 reconnaît à la collectivité territoriale de Corse diverses compétences en matière d'environnement (réserves naturelles, chasse, pêche...) ; son article 25 l'habilite à déterminer les règles de fonctionnement des « comités de massif » prévus par la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 ; son article 26 l'autorise à déterminer la procédure d'élaboration du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux ; le même article la charge de fixer la composition et les règles de fonctionnement du « comité de bassin » de Corse et de la « commission locale de l'eau » ; son article 28 lui attribue la fixation des modalités et des procédures d'élaboration, de publication et de révision des plans d'élimination des déchets ; enfin, en vertu de son article 43, la collectivité territoriale de Corse est substituée aux offices et à l'agence de tourisme.

Ces diverses dispositions transfèrent à la collectivité territoriale de Corse des compétences limitées, dans des matières ne relevant pas du domaine de la loi. Elles en définissent précisément le champ d'application, les modalités d'exercice et les organes responsables, dans le respect de la règle énoncée par l'article 34 de la Constitution en vertu de laquelle « La loi détermine les principes fondamentaux... de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ». Ces compétences devront être mises en oeuvre dans le respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, ainsi que dans celui des lois et règlements auxquels il n'est pas dérogé. Par ailleurs, aucune des dispositions critiquées ne porte atteinte à l'indivisibilité de la République, à l'intégrité du territoire ou à la souveraineté nationale. Aucune ne méconnaît non plus les compétences propres des communes et des départements ou n'établit de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Enfin, eu égard aux caractéristiques géographiques et économiques de la Corse, à son statut particulier au sein de la République et au fait qu'aucune des compétences ainsi attribuées n'intéresse les conditions essentielles de mise en oeuvre des libertés publiques, les différences de traitement qui résulteraient de ces dispositions entre les personnes résidant en Corse et celles résidant dans le reste du territoire national ne seraient contraires ni au principe d'égalité, ni à aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle.

Il résulte de ce qui précède que devaient être rejetés les griefs des sénateurs requérants qui reprochaient aux dispositions susmentionnées de méconnaître, en tout ou partie, l'article 6 de la Déclaration de 1789 ou les articles 20, 21, 34 ou 72 de la Constitution.

6) L'ARTICLE 52

Aux termes de I de l'article 52 de la loi déférée : « Les employeurs de main-d'oeuvre agricole installés en Corse au moment de la promulgation de la présente loi peuvent, lorsqu'il sont redevables de cotisations patronales dues au régime de base obligatoire de sécurité sociale des salariés agricoles pour des périodes antérieures au 1er janvier 1999, bénéficier d'une aide de l'Etat, dans la limite de 50 % du montant desdites cotisations dues » . Les II et III du même article fixent les conditions auxquelles est subordonnée l'attribution de cette aide . Aux termes du IV : « Pour l'application des I, II et III, la conclusion d'un échéancier de paiement de la dette avec la caisse de mutualité sociale agricole entraîne la suspension des poursuites ».

Les sénateurs requérants estimaient une telle aide contraire au principe d'égalité, dès lors que, selon eux, aucune situation particulière ne justifierait que seuls en bénéficient les exploitants agricoles installés en Corse. Ils invoquaient le précédent par lequel le Conseil avait sanctionné un plan d'apurement de la dette sociale des exploitants agricoles corses (n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, cons. 43 à 46, Rec. p. 201).

Le grief a été rejeté précisément parce qu'il ne s'agit plus ici d'un plan d'apurement, mais d'un accompagnement par l'Etat d'un effort de désendettement. Par ailleurs, à la différence du précédent, le motif d'intérêt général poursuivi par la mesure a été clairement énoncé au cours des débats parlementaires : relancer l'agriculture corse, dont la situation est critique au regard d'indicateurs objectifs comme le revenu moyen par exploitation (24000 francs en Corse contre 80000 francs en France continentale en 1998) ou le retard historique en matière d'investissement. Le fait que la mesure s'insère dans un dispositif d'ensemble qui, dans toutes les matières, tente de « donner un nouveau départ » à l'économie corse ne pouvait en outre laisser le Conseil indifférent.

Ce dernier a d'abord relevé que l'article 52 n'exonérait pas les employeurs de main-d'oeuvre agricole installés en Corse de leur dette à l'égard du régime de sécurité sociale des salariés agricoles. Ainsi qu'il ressort du II de l'article déféré, l'aide instituée s'analyse en une subrogation partielle de l'Etat aux employeurs, réservée à ceux d'entre eux qui sont à jour des cotisations afférentes aux périodes postérieures au 31 décembre 1998 et limitée à la moitié du montant des cotisations dues pour des périodes antérieures au 1er janvier 1999.

En second lieu, le Conseil a constaté que la mesure était édictée dans l'intérêt général du redressement de l'agriculture corse dont le législateur a pu estimer la situation dégradée sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation. Il convient de noter à cet égard que le bénéfice de la mesure est réservé aux exploitants apportant la preuve de la viabilité de leur exploitation.

Par suite, l'aide instituée par l'article 52 a été jugée fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par le législateur . Devait être en conséquence rejeté le grief tiré d'une rupture d'égalité entre les employeurs de main-d'oeuvre agricole installés en Corse et ceux installés en France continentale .

On notera que le Conseil constitutionnel n'a soulevé d'office aucune disposition de la loi déférée.