• Commentaire DC

Commentaire de la décision 2001-450 DC

13/06/2023

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 juillet 2001 par plus de soixante sénateurs de la loi « portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel » (DDOSEC). Les requérants en contestaient trois articles : 6 (Fonds de réserve pour les retraites), 17 (composition du capital des sociétés titulaires d'une autorisation relative à un service de télévision par voie hertzienne terrestre) et 36 (sociétés coopératives d'intérêt collectif). Par sa décision n° 2001-450 DC du 11 juillet 2001, le Conseil a rejeté leurs griefs.

Il a en revanche examiné d'office l'article 14, relatif à la diversification des filières d'admission à l'Institut d'études politiques de Paris. Il n'en a admis la conformité à la Constitution que sous réserve que le conseil de direction de l'institut fixe les modalités de cette diversification dans le respect du principe d'égal accès des élèves aux établissements d'enseignement.

1) L'article 6 de la loi déférée insère dans le titre III du livre Ier du code de la sécurité sociale un chapitre relatif au « Fonds de réserve pour les retraites. »

Créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 sous la forme d'une section du Fonds de solidarité vieillesse, ce fonds devient, en vertu du nouvel article L. 135-6 du code de la sécurité sociale, un établissement public de l'Etat à caractère administratif. Il a pour mission « de gérer les sommes qui lui sont affectées afin de constituer des réserves destinées à contribuer à la pérennité des régimes de retraite ». Le même article précise que les réserves sont constituées au profit des régimes obligatoires d'assurance vieillesse visés à l'article L. 222-1 et aux 1° et 2° de l'article L. 621-3 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire, d'une part, le régime général des salariés, d'autre part, ceux des professions artisanales et des professions industrielles et commerciales. Le nouvel article L. 135-10 confie la gestion administrative du fonds à la Caisse des dépôts et consignations.

a) Les requérants soutenaient que le nouvel article L. 135-6 du code de la sécurité sociale méconnaissait le principe d'égalité devant la loi en ce qu'il réserve le bénéfice futur du fonds de réserve, à partir de 2020, au régime d'assurance vieillesse des travailleurs salariés et au régime des non salariés des seules professions artisanales, industrielles et commerciales, en dépit de « l'origine largement universelle des ressources du fonds ».

L'objet du « Fonds de réserve pour les retraites » est d'assurer un « lissage », à compter de 2020, en complément de réformes structurelles engagées par les régimes d'assurance vieillesse.

Au regard de cet objet, comme le démontrait le Gouvernement dans ses observations, il existe une différence objective de situation entre les régimes bénéficiaires (article L. 222-1 et 1° et 2° de l'article L. 621-3 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire le régime général et les régimes dits « alignés ») et les autres. Ainsi le régime des professions libérales dispose lui-même d'un fonds de réserve et de compensation, défini à l'article R. 642-4 du même code.

b) Selon le nouvel article L. 135-10 du code de la sécurité sociale, la gestion financière du fonds est confiée, par appels d'offres, à des entreprises d'investissement. Or la Caisse des dépôts et consignations, qui assure la gestion administrative du fonds, détient des intérêts dans des entreprises de ce type. Les requérants en déduisaient qu'une telle situation favoriserait nécessairement les offres faites par les filiales de la Caisse. L'ensemble du dispositif était dès lors, pour eux, entaché de partialité. Le grief a été rejeté.

En effet, les dispositions du nouvel article L. 135-10 du code de la sécurité sociale ne portent, par elles-mêmes, aucune atteinte au principe de la libre concurrence. Elles comportent au contraire toute une série de garanties contre la collusion d'intérêts. En cas de favoritisme, il appartiendra aux autorités de contrôle ou au juge compétent, à l'initiative de toute personne y ayant intérêt, de veiller au respect du principe d'égalité, dont la libre concurrence entre soumissionnaires est ici le corollaire.

2) Le I de l'article 17 de la loi déférée donne une nouvelle rédaction au I de l'article 39 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Il tend à assouplir la règle, posée par le premier alinéa du I de l'article 39 de la loi du 30 septembre 1986, selon laquelle une même personne, physique ou morale, ne peut détenir, directement ou indirectement, plus de 49 % du capital ou des droits de vote d'une chaîne de télévision diffusée par voie hertzienne terrestre. Cette règle a été reconnue conforme à la Constitution par le Conseil (n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000, Rec. p. 121, cons. 36 à 44).

L'assouplissement consiste à limiter la portée de cette interdiction aux chaînes hertziennes terrestres dont les programmes touchent une audience moyenne annuelle qui dépasse 2,5 % de l'audience totale des services de télévision.

a) Les dispositions critiquées, était-il d'abord soutenu, étaient contraires à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles imposent à tout moment aux personnes contrôlant des services de télévision le respect de plafonds dont le dépassement peut dépendre du succès auprès du public des programmes diffusés par leurs services ou des mécomptes des chaînes concurrentes. Les requérants invoquaient à cet égard la critique que le Conseil constitutionnel adressait dans sa décision n° 84-181 du 10 octobre 1984 (Rec. p. 78, cons. 41) aux dispositions législatives qui « imposeraient à tout moment aux personnes possédant ou contrôlant les quotidiens visés le respect de plafonds dont le dépassement peut dépendre du succès auprès du public desdits quotidiens ou des mécomptes des quotidiens concurrents ».

Le Conseil a jugé cette jurisprudence non transposable :

- En premier lieu, la télévision par voie hertzienne terrestre, qu'elle se fasse en mode analogique ou en mode numérique, utilise des ressources limitées : les fréquences radioélectriques. Or il incombe au législateur, dans un contexte technique où la ressource radioélectrique demeure limitée, de prévenir, par des mécanismes appropriés, le contrôle d'un même service par un actionnaire dominant (« pluralisme interne »), comme le contrôle de plusieurs moyens de communications par une même personne (« pluralisme externe »).

- En second lieu, contrairement à ce qu'il en était des règles de seuil imposées à la presse écrite en 1984, les effets légaux du franchissement du seuil d'audience de 2,5 % n'affecteront aucun opérateur de télévision avant plusieurs années. La règle du jeu est posée aujourd'hui, mais elle ne trouvera pas à s'appliquer avant longtemps et chacun aura tout le temps de s'y préparer . La loi déférée ne met donc en cause aucune situation légalement acquise. Elle obligera seulement, le moment venu (c'est-à-dire lorsque le service concerné aura capté la part d'audience nationale de 2,5%, laquelle est non négligeable), l'actionnaire majoritaire à ouvrir le capital. La loi lui impose en effet non pas de renoncer à son contrôle (puisqu'on peut fort bien contrôler une société sans en détenir la majorité du capital), mais de céder une partie de ses parts de manière à respecter le plafond de 49%.

En les affranchissant du plafond de détention de 49 % du capital, la loi déférée favorise au contraire la « migration » des opérateurs du câble et du satellite vers le « numérique de terre. »

b) De façon quelque peu paradoxale, la saisine reprochait également au nouveau dispositif de favoriser les concentrations, en permettant à une même personne de contrôler jusqu'à cinq chaînes hertziennes terrestres ayant chacune une part d'audience proche de 2,5 %.

Selon une jurisprudence constante (par exemple n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, Rec. p. 141, cons. 7 à 9), il appartient au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, de concilier, en l'état de la maîtrise des techniques et des nécessités économiques, l'exercice de la liberté de communication résultant de l'article 11 de la Déclaration de 1789 avec, d'une part, les contraintes inhérentes à la communication audiovisuelle et, d'autre part, les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels, auxquels ces modes de communication, par leur influence, sont susceptibles de porter atteinte.

Or les nouvelles dispositions ont pour but de favoriser l'introduction de la diffusion numérique par voie hertzienne terrestre des services de télévision privés en assouplissant la règle des 49 % au profit des détenteurs de parts de capital ou de droits de vote dans une société exploitant un service national de télévision dont le taux d'audience est faible. La conciliation ainsi opérée par le législateur entre les principes et exigences rappelées ci-dessus n'apparaît pas manifestement déséquilibrée.

En particulier, les nouvelles dispositions auront pour effet, par rapport aux dispositions antérieures, d'inciter les opérateurs privés à investir dans la diffusion numérique par voie hertzienne terrestre et de contribuer ainsi à l'élargissement de la gamme des programmes offerts au public. Loin de lui porter atteinte, elles contribuent au pluralisme des courants d'expression socio-culturels.

Enfin, la circonstance que les nouvelles dispositions n'interdisent pas par elles-mêmes à un même opérateur de contrôler (en théorie) jusqu'à 12,5 % de l'audience nationale n'est pas à elle seule de nature à compromettre l'objectif de pluralisme.

c) Les requérants reprochaient enfin au législateur d'être resté en deçà de sa compétence en confiant au pouvoir réglementaire le soin de fixer les modalités administratives et techniques de mesure de l'audience.

Si l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques (au nombre desquelles figure la liberté de communication audiovisuelle), il appartient au pouvoir réglementaire de déterminer les mesures d'application des règles ainsi posées (par exemple n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, Rec. p. 18, cons. 13).

En fixant le principe selon lequel la règle limitant à 49 % la part du capital ou des droits de vote qu'une même personne peut détenir dans une société titulaire d'une autorisation relative à un service national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre n'est pas applicable aux services dont la part d'audience nationale ne dépasse pas 2,5 % et en déléguant au pouvoir réglementaire le soin de préciser les conditions de nature technique et administrative dans lesquelles le Conseil supérieur de l'audiovisuel constate cette part d'audience et prend les mesures appropriées pour faire respecter la loi, le législateur n'a pas méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.

3) Les dispositions de l'article 36 de la loi déférée, qui visent à créer une nouvelle catégorie de sociétés coopératives, sont issues d'un amendement présenté par le Gouvernement devant l'Assemblée nationale en première lecture. Pour les requérants, cet amendement avait été adopté selon une procédure contraire à la Constitution. L'amendement en cause était en effet, selon eux, dépourvu de tout lien avec le texte en discussion et dépassait, par son ampleur, les limites inhérentes au droit d'amendement.

Après sa toute récente décision n° 2001-445 du 19 juin 2001 (cons. 47 à 49), le Conseil ne pouvait que rejeter la seconde branche du grief qui invoquait inutilement la jurisprudence sur les « limites inhérentes au droit d'amendement » (n° 86-221 DC du 29 décembre 1986, Rec. p. 179, cons. 5 et 6), dite « amendement Séguin ».

Quant à la première branche, elle était infondée pour les mêmes raisons que celles exposées dans le 49e considérant de la décision n° 2001-445 DC précitée : les dispositions en cause ne sont pas en effet dépourvues de tout lien avec un projet de loi qui comportait, dès l'origine, un titre consacré à l'économie sociale (ratification du code de la mutualité).

4) L'article 14 était contesté dans un mémoire présenté par un seul sénateur. Un tel mémoire est irrecevable car il n'est pas revêtu de la signature de cinquante neuf autres au moins de ses collègues (n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Rec. p. 116, Cons. 2 et 3).

Mais rien n'interdisait au Conseil d'examiner d'office l'article contesté, qui soulevait des questions délicates et fortement débattues au Parlement.

L'article 14 rédige comme suit l'article L. 621-3 du code de l'éducation : « le conseil de direction de l'Institut d'études politiques de Paris détermine, par dérogation aux dispositions du troisième alinéa de l'article L. 612-3, les conditions et modalités d'admission aux formations propres à l'institut ainsi que l'organisation des études, des premiers cycles à l'école doctorale. Il peut adopter des procédures d'admission comportant notamment des modalités particulières destinées à assurer un recrutement diversifié parmi l'ensemble des élèves de l'enseignement du second degré. Les procédures d'admission peuvent être mises en oeuvre par voie de conventions conclues avec des établissements d'enseignement secondaire ou supérieur, français et étrangers, pour les associer au recrutement par l'institut de leurs élèves ou étudiants.

Par sa formulation ambiguë, la deuxième phrase pouvait être interprétée comme habilitant le conseil de direction de l'IEP de Paris à adopter une politique d'admission discrétionnaire, tournant le dos, sous prétexte de diversification, à toute procédure de sélection.

Or, en matière d'éducation, le principe d'égalité s'impose de façon particulièrement forte, puisqu'il se trouve renforcé par le treizième alinéa du Préambule de 1946, aux termes duquel : « la Nation assure l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction ». Aucun arbitraire ne peut être toléré en la matière.

Ce n'est pas ici le principe du « recrutement diversifié » qui est en cause, mais les modalités selon lesquelles, une fois admise une telle diversification, seront prises les décisions d'admission. Le risque de rupture d'égalité a paru assez préoccupant au Conseil pour qu'il émette une réserve d'interprétation : il a subordonné la conformité à la Constitution de l'article 14 à la condition que le conseil de direction fasse de sa nouvelle compétence un usage garantissant le respect des exigences constitutionnelles relatives à l'égal accès à l'instruction.