• Commentaire DC

Commentaire de la décision 2001-447 DC

13/06/2023

Une saisine a été formée par plus de soixante sénateurs à l'encontre de la loi « relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie » adoptée définitivement le 26 juin 2001. Les requérants ne critiquaient pas l'institution de la nouvelle « allocation personnalisée d'autonomie » (APA), mais ses conséquences sur l'administration et les finances départementales. Etait essentiellement en cause l'article 1er de la loi déférée, qui insère les articles L. 232-1 à L. 232-21 dans le code de l'action sociale et des familles.

1 - Il était tout d'abord soutenu que le nouvel article L 232-12 du code de l'action sociale et des familles (CASF) entravait la libre administration départementale au point de méconnaître l'article 72 de la Constitution.

N'était pas déterminante par elle-même la circonstance que le président du conseil général (PCG) voit sa compétence en bonne partie liée du fait de l'encadrement, au plan national, des conditions d'attribution et des barèmes de la nouvelle allocation. La loi peut mettre en effet à la charge des collectivités territoriales des obligations et des dépenses sans pour autant porter atteinte au principe de la libre administration résultant de l'article 72 de la Constitution. Seule serait constitutive d'une pareille atteinte une véritable entrave à la libre administration locale (par exemple n° 90-274 DC du 29 mai 1990, Rec. p. 61, cons. 16). Il pourrait en être ainsi, notamment parce que les dépenses obligatoires créées par la loi ne seraient pas supportables par les budgets locaux (n° 2000-432 DC du 12 juillet 2000, Rec. p. 104, cons. 5). Tel n'est pas le cas en l'espèce.

Par ailleurs, l'encadrement par la loi du pouvoir du PCG, s'agissant de l'allocation de la nouvelle prestation, trouve son fondement dans l'article 34 de la Constitution (il appartient à la loi de déterminer les principes fondamentaux des compétences locales) et ne prive pas d'attributions effectives un organe du département (n° 98-397 DC du 6 mars 1998, Rec. p. 186, cons. 5).

L'exercice de la compétence des départements en matière d'aide sociale est certes beaucoup plus contrainte par les nouvelles dispositions que pour l'ancienne « prestation spécifique dépendance », mais c'est au nom d'exigences constitutionnelles incontestables: égalité de traitement entre personnes âgées dépendantes; protection de la santé, de la sécurité matérielle et du repos des vieux travailleurs (onzième alinéa du Préambule de 1946) ; respect de la dignité de la personne humaine (n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Rec. p. 100, cons. 2 à 4). La remarque est importante car la libre administration ne peut être restreinte sans motif de valeur constitutionnelle ou d'intérêt général (n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Rec. p. 176, cons. 12). En outre, le législateur ne s'est pas manifestement évadé en l'espèce du domaine des « arbitrages constitutionnellement possibles » entre exigences constitutionnelles contradictoires. Dans sa décision n° 96-387 du 21 janvier 1997 rendue à propos de la « prestation spécifique dépendance » (Rec. p. 23, cons. 4), le Conseil avait au demeurant jugé qu'il appartient au législateur, lorsqu'il encadre une compétence locale dans un domaine comme la protection sociale, de le faire de façon assez stricte pour éviter que, au gré de la diversité des politiques locales, ne se creusent des écarts géographiques rompant de façon caractérisée le principe d'égalité.

Plus sérieux était le grief tiré de ce que la PCG attribue l'APA sur proposition d'une commission dont la loi ne précise que partiellement la composition, se bornant à disposer que cette commission réunit « notamment » des représentants du département et des organismes de sécurité sociale (nouvel article L. 232-12 CASF). Le renvoi au décret du soin de fixer la composition de ladite commission est délicat s'agissant d'une matière placée dans le domaine de la loi par les articles 34 et 72 de la Constitution (libre administration des collectivités territoriales, détermination de leurs compétences et de leurs charges) et alors que la commission prévue n'est pas purement consultative (a contrario : n° 94-358 DC du 26 janvier 1995, Rec. p. 183, cons. 7 à 9 ; n° 99-184 L du 18 mars 1999, Rec. p.65, cons. 3) [Voir aussi, si la compétence d'une commission touche à d'autres matières législatives que l'administration locale: 76-88 L du 3 mars 1976, Rec. p. 50; n° 80-120 L du 30 déc. 1980, Rec. p. 78, cons. 6; n° 98-183 L du 5 mai 1998, Rec. p. 243]. La position de la commission lie en effet en grande partie la compétence du président du conseil général, puisque celui-ci peut sans doute refuser une proposition de la commission, mais non désigner lui-même un allocataire.

Le Conseil n'a cependant pas eu à prononcer cette censure, car il a déduit de l'intention du législateur que le moyen était infondé. Il ressortait en effet des travaux parlementaires que les représentants du département constitueront la moitié au moins des membres de la commission. Dès lors, les dispositions critiquées, éclairées par les débats à l'issue desquels elles ont été adoptées, fixent, dans leurs grandes lignes, les proportions respectives des différents types d'intérêts représentés. Elles le font assez précisément au regard des exigences des articles 34 et 72 de la Constitution (a contrario : n° 83-168 DC du 20 janvier 1984, Rec. p. 38, cons. 6 à 8) et sans nullement léser les prérogatives départementales (en ce sens : n° 82-124 L du 23 juin 1982, Rec. p. 99, cons. 3). Le décret d'application, cela va de soi, devra respecter l'intention du législateur.

2 - Le nouvel article L 232-19 CASF prévoit pour l'APA, à l'inverse de ce que prévoyait la loi pour la « prestation spécifique dépendance » (PSD), que les sommes servies ne feront pas l'objet d'un recouvrement sur succession.

Il n'y a pas là, contrairement à ce que dénonçait la saisine, de rupture d'égalité car l'APA a vocation à se substituer à la PSD. Les deux régimes juridiques se succèdent dans le temps. Il est vrai que la loi prévoit une recouvrement provisoire des deux allocations, les bénéficiaires actuels de la PSD pouvant continuer à toucher cette prestation. Mais, il faut noter que la loi leur permet de substituer la nouvelle allocation personnalisée d'autonomie à la PSD. Aucune rupture d'égalité n'est donc à craindre, pendant cette période de chevauchement, entre les uns et les autres, ni entre les débiteurs d'aliments des uns et des autres.

3 - C'est le nouvel article L 232-21 CASF qui suscitait, de la part des requérants, les critiques les plus nourries.

Pour la clarté de l'exposé, on examinera d'abord celles qui portaient sur les recettes fiscales finançant la nouvelle prestation, puis celles qui visaient le dédommagement prévu en faveur des départements.

A/ Les recettes fiscales concourant au financement de l'APA

a) Il était d'abord soutenu que le dispositif méconnaissait l'article 14 de la Déclaration de 1789 (« tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique »). Les requérants déduisaient du principe du « consentement à l'impôt » énoncé par la Déclaration que seule une loi de finances ou de financement de la sécurité sociale aurait pu prévoir le financement de l'APA par voie de contributions obligatoires.

C'était donner une portée beaucoup trop précise au principe énoncé à l'article 14 de la Déclaration de 1789. Ni les dispositions fiscales, ni celles qui affectent le produit d'un impôt à un établissement public ne relèvent du domaine exclusif des lois de finances (en ce sens : n° 84-170 DC du 4 juin, Rec. p. 45, cons. 3 et 4 ; n° 99-422 DC du 21 décembre 1999, Rec. p. 143, cons. 5 à 10). Le principe du consentement à l'impôt est sauf dès lors que les contributions en cause (prélèvement sur la CSG et sur les régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse) sont bien prévues par la loi (articles 1er et 9), étant noté au surplus que l'information du Parlement sera assurée par le rapport prévu au troisième alinéa du I du nouvel article L 232-21 CASF. En tout état de cause, il appartiendra à la loi de finances et à la loi de financement de la sécurité sociale, chacune dans son domaine propre de compétences, de tirer les conséquences du nouveau dispositif (par exemple : n° 81-134 DC du 5 janvier 1982, Rec. p. 15, cons. 8 ; n° 97-388 DC, Rec. p. 31, cons. 21).

b) Les recettes du fonds de financement de l'APA (L. 232-21) étaient critiquées sur le terrain de l'incompétence négative du législateur lorsque celui-ci définit un impôt. Le grief n'était pas fondé.

Tout d'abord, le 1° du III du nouvel article L. 232-21 définit complètement l'assiette du prélèvement obligatoire opéré sur les régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse. La liste de ces régimes est connue (cf. LO 111-3 du code de la sécurité sociale). Pour chacun d'eux, l'assiette est en outre précisée : « sommes consacrées en 2000 aux dépenses d'aide ménagère à domicile au bénéficie des personnes âgées dépendantes remplissant la condition de perte d'autonomie mentionnée à l'article L. 232-2 ». La référence à l'année 2000 est objective. Comme l'expliquait le Gouvernement dans ses observations : « L'article L 232-2 renvoie à la grille nationale, fixée par voie réglementaire, qui permet de classer les personnes âgées en fonction de leur perte d'autonomie sur une échelle dite GIR allant de 1 à 6. » C'est à cette « photographie de la dépendance » établie par l'action des caisses en 2000 que se réfère sans ambiguïté la disposition critiquée.

S'agissant des taux du prélèvement, le Conseil admet des « fourchettes » à condition qu'elles ne soient pas trop larges (n° 2000442 DC du 28 décembre 2000, Rec. p. 211, cons. 32). Celle retenue en l'espèce n'est pas excessive (entre 50 % et 75 %).

Dans le silence de la loi déférée sur les modalités de recouvrement, s'appliqueront les règles de droit commun relatives au recouvrement de ses créances par un établissement public administratif.

Enfin, la répartition de la fraction (fixée par l'article 9 de la loi déférée à 0,1 point) du produit de la CSG prélevée au profit du Fonds de financement de l'APA entre les différentes missions de celui-ci (modernisation de l'aide sociale à domicile etc...) ne relève pas de la fiscalité, mais de l'affectation des ressources d'un établissement public. La répartition des recettes du Fonds entre ses diverses dépenses ne pouvait donc être utilement contestée par la saisine au regard des dispositions de l'article 34 de la Constitution relatives à la détermination par le législateur des règles concernant les impositions de toutes natures.

c) La mise à contribution du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) n'appellerait de critiques au regard de l'exigence constitutionnelle qui s'attache, depuis 1996, à l'équilibre financier de la sécurité sociale que si les lois de financements de la sécurité sociale (LFSS) pour 2002 et pour les années suivantes ne prenaient pas en compte les mesures contestées. Une réserve a été émise sur ce point en réponse à l'argumentation des requérants. Il faut souligner que la loi déférée n'affectera pas l'exercice en cours, puisque ses dispositions n'entrent en vigueur qu'en 2002.

d) Etait enfin inopérant le grief tiré de ce qu'en détournant du financement de la sécurité sociale une partie du produit de la CSG (0,1 point), la loi déférée aurait méconnu un « principe fondamental reconnu par les lois de la République ». Un nouveau « principe fondamental reconnu par les lois de la République » ne peut être dégagé par le Conseil que si plusieurs conditions sont réunies, notamment son antériorité à 1946. Ce n'est pas le cas ici.

B/ Les concours apportés aux départements

a) La saisine mettait d'abord en cause l'absence de pondération des trois critères (dépenses d'APA, potentiel fiscal, nombre d'allocataires du RMI) qui, en vertu du II de l'article L. 232-21, déterminent la dotation de chaque département. Le grief était délicat s'agissant d'une matière législative (détermination des ressources des collectivités territoriales), et alors surtout que les dispositions critiquées étaient probablement inséparables du reste du texte.

Les travaux parlementaires ont invoqué avec insistance l'importance essentielle du premier facteur, les deux autres ne jouant qu'un rôle correctif. Le silence du texte pouvait donc être comblé par une réserve d'interprétation fondée sur l'intention du législateur [Les coefficients de pondération pourraient être de 140 % pour les dépenses d'APA, de - 50 % pour le potentiel fiscal et de 10 % pour le nombre de " rmistes " (140 - 50 + 10 = 100).]. Par ailleurs la fixation précise de paramètres quantitatifs nécessaires à l'application de la loi relève, sauf en matière fiscale, du pouvoir réglementaire (par exemple : 61-17 L du 22 décembre 1961, Rec. p. 43, cons. 1 et 2 ; n° 85-139 L du 8 août 1985, Rec. p. 94, cons. 10).

b) Plusieurs griefs s'en prenaient à la complexité, voire à l'illisibilité du mécanisme de répartition entre départements des compensations à la charge du Fonds de financement de l'APA.

Il est vrai que le dispositif est difficile à comprendre. Ce manque de clarté pose problème dès lors que les dispositions concernent la libre administration des collectivités territoriales, matière législative (en ce sens : n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Rec. p. 176, cons. 12 et 13). Or, selon l'ordre dans lequel on combine les diverses opérations de répartition, d'écrêtement et de majoration énoncées au II du nouvel article L.232-21 CASF , la loi pourrait affecter de façon très différente les finances des différents départements, voire, en leur imposant des obligations contradictoires, entraver leur libre administration.

Toutefois, à la lumière des débats parlementaires et de considérations logiques, les observations du Gouvernement levaient toute ambiguïté sur l'articulation entre les opérations concourant à fixer la dotation finale de chaque département [On trouvera le texte de cette note sur le site internet du Conseil constitutionnel à l'adresse suivante: www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2001/2001447/tech.htm]. Le Conseil a repris à son compte l'ordre des opérations ainsi décrit, qui ne révèle ni contradiction, ni iniquité. Il va de soi que cette interprétation constituera la « grille de lecture » des dispositions critiquées et liera le pouvoir réglementaire pour fixer leurs modalités d'application.

Si la loi déférée accroît indiscutablement la complexité des circuits financiers relatifs à la protection sociale, elle énonce de façon précise et sans contradiction les nouvelles règles de financement qu'elle instaure. En particulier, elle détermine les recettes de chaque département et fixe les clés de répartition du produit des impositions affectées. La complexité introduite par la loi déférée n'est donc pas de nature à rendre celle-ci contraire à la Constitution (a contrario : n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000, Rec. p. 164 , cons. 52 et 53).

Dans ces conditions, le Conseil a rejeté les griefs tirés du manque de clarté de la loi, de l'incompétence négative du législateur et d'une entrave à la libre administration des départements.

S'agissant de cette dernière, il est important de souligner que le dixième alinéa du II permet à tout département dont les dépenses d'APA dépasseraient le seuil mentionné par cet alinéa d'appeler le fonds en garantie. Le dispositif critiqué ne restreint donc pas les ressources des départements au point d'entraver leur libre administration (par exemple : n° 91-291 DC du 6 mai 1991, Rec. p. 40, cons. 44).