Chance pour la démocratie et la contribution des avocats [LA1]

26/06/2023

Bernard Fau

Bernard Fau, avocat à la Cour de Paris

Une chance pour la démocratie et pour la contribution qu’y apportent les avocats

Lorsque la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit le nouvel article 61-1 dans le texte de la Constitution du 4 octobre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité a été accueillie avec enthousiasme par le Barreau de France, invité à contribuer à une avancée démocratique annoncée dès les travaux du Comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par Georges Vedel.

Soulever, au cours d'une instance devant le juge de droit commun, un moyen d'inconstitutionnalité susceptible d'être renvoyé au Conseil constitutionnel moyennant le double filtrage du juge du fond et de la juridiction supérieure correspondante ouvrait un nouveau chapitre dans l'histoire de la justice constitutionnelle française en permettant, pour la première fois, un accès du justiciable et de son avocat au Conseil constitutionnel et en élargissant de manière substantielle les perspectives du contrôle de la constitutionnalité de la loi.

Le dispositif de ce contrôle a posteriori était certes perfectible. Il a accompagné le développement progressif des contributions extérieures lors du contrôle exercé a priori.

Le Conseil national des barreaux, associé dès l’origine à la mise en œuvre de cette "procédure dans la procédure", en a aussitôt promu la mise en œuvre et l’enseignement dans la formation initiale comme dans la formation continue et de nombreux avocats des 164 barreaux établis sur tout le territoire national s’en sont emparés. La mise en place des audiences plaidées en a renforcé l’attractivité, la vigueur et l’intérêt auprès des praticiens.

Sous le mouvement combiné d’une complexité excessive de l’exercice professionnel et d’une course aux réformes parfois confuses des procédures judiciaires de droit commun en première instance et en appel, il est vrai que le terrain de la QPC a pu paraitre évoluer vers un domaine de spécialistes, loin de la vision politique initiale de ses promoteurs.

Ce sentiment peu propice au développement harmonieux et vivace, a été mécaniquement alimenté par l’impossibilité en l’état pour les avocats, de soutenir à l’échelon des deux juridictions supérieures, la QPC dont ils ont pourtant obtenu la transmission par les juges du fond et dont ils pourront poursuivre la défense devant le Conseil constitutionnel lui-même, ce qui crée une rupture évidente de la dynamique procédurale. Il l’a été aussi, par le caractère parfois déceptif de décisions de non-transmission, dont la motivation laconique prise d’une "absence de caractère sérieux" ou de l’affirmation définitive d’une "absence de question nouvelle", a pu décourager bien des initiatives. Il l’a enfin assurément été par l’absence corrélative de toute visibilité d’ensemble d’un corpus des décisions notamment judiciaires, rendues sur questions prioritaires, dont on ignore à dire vrai, le nombre exact et plus encore le contenu surtout en cas de non-transmission.

La démarche volontariste du président Laurent Fabius, avec la création du portail "QPC 360°", est l’occasion, pour le Conseil constitutionnel, de faire accéder la question prioritaire de constitutionnalité à une nouvelle maturité et pour les avocats, l’occasion de prendre conscience de l’impérieuse nécessité d’investir à nouveau un domaine qui ne doit pas céder, sauf à en renier l’ambition politique originaire, à l’attraction d’un club de spécialistes.

Le portail "QPC 360°" offre pour cela un instrument de connaissance et de travail, déjà irremplaçable.

Le décret du 13 octobre 2022 relatif notamment à la mise à disposition du public des décisions rendues par les juridictions judiciaires en matière de QPC, sans attendre l’open data promis mais pour plus tard, apportera s’il est mis en œuvre comme le texte le commande, une visibilité nouvelle, une saine émulation et les instruments d’une jurisprudence unifiée, sur le plan national.

Enfin, inauguré le 19 juin 2023, placé sous la présidence du Président du Conseil constitutionnel, l’observatoire de la question prioritaire de constitutionnalité, qui est une indispensable tour de contrôle de la fluidité du dispositif, permettra de poser régulièrement les éléments de diagnostic sur l’activité de l’examen a posteriori de la constitutionnalité des lois.

Associé à la création du portail "QPC 360°" et à l’observatoire, le Conseil national des barreaux a adhéré aussitôt à la démarche, conscient du rôle éminent de relais qu’il doit jouer. Il s’attache à y contribuer déjà par plusieurs actions initiées en quelques mois : la création à l’adresse particulière des 71 000 avocats d’un vade-mecum simple et clair de la QPC en français et en anglais, pour des publics étrangers, avec des modèles d’actes, disponible en ligne sur le site du CNB et directement accessible à tous depuis le portail "QPC 360°", la relance et la montée en puissance des enseignements dispensés en formation initiale et continue aux élèves avocats et aux avocats par les 16 écoles du barreau en métropole et outre-mer, le développement des webinaires à visée pratique à l’adresse des avocats, la participation active au premier diplôme universitaire "QPC et Libertés" de l’Université de Bordeaux en lien avec l’École nationale de la magistrature, pour ne mentionner que cela.

L’initiative du président Fabius est ainsi une chance pour la démocratie et pour la contribution qu’y apportent les avocats.

Le Conseil national des barreaux, par l’ensemble de ses élus, s’engage résolument à ses côtés. On devra pouvoir dire qu’en France, la loi a elle-même un juge, partout où il y a des plaideurs.

Mis à jour le 08/09/2023