Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 14 mai 2024 n° 2403786

14/05/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 16 février 2024, M. A B, représenté par Me Michaud et Me Royer, demande au tribunal :

1°) la décharge de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2023 au titre d'un bien immobilier situé 366, rue de Vaugirard à Paris 15ème ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct et un mémoire complémentaire enregistrés le 22 février 2024 et le 24 avril 2024, M. B représenté par Me Michaud et Me Royer, demande au tribunal à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 3 de la loi n° 80-10 du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale ainsi que des dispositions de l'article 1518 bis du code général des impôts.

Il soutient que :

- ces dispositions sont applicables au litige ;

- elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution ;

- elles revêtent un caractère sérieux :

Sur l'article 3 de la loi n° 80-10 du 10 janvier 1980 :

-ces dispositions qui permettent aux collectivités territoriales de fixer le taux de la taxe foncière porte atteinte au principe de légalité de l'impôt protégé par l'article 34 de la Constitution ;

- en ne prévoyant pas de garde-fous spécifiques pour la Ville de Paris, elles portent atteinte aux dispositions de l'article 72-2 de la Constitution ;

- en ne fixant qu'une limite très relative aux collectivités territoriales qui peuvent multiplier le taux de la taxe foncière par deux fois et demi chaque année, entrainant ainsi des augmentations démesurées de la taxe foncière, ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité protégé par l'article 6 de la loi Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789.

Sur l'article 1518 bis du code général des impôts :

-ces dispositions méconnaissent l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi dès lors que le dernier aliéna de l'article 1518 bis du CGI, modifié par l'article 99 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, qui indique que la revalorisation opérée est réalisée en prenant en compte l'IPCH qui n'est pas un indice pertinent pour évaluer la variation des loyers est contraire à son premier alinéa qui précise que les valeurs locatives foncières " sont majorées par application de coefficients forfaitaires fixés par la loi de finances en tenant compte des variations des loyers " ;

-elles portent atteinte au droit de propriété dès lors que les contribuables parisiens ont vu leur taxe foncière assise sur la valeur locative de leur bien augmenter de 7,1% alors qu'en parallèle l'augmentation réelle des loyers a été plafonnée à 3,5% et que depuis 2018, la taxe foncière est indexée sur un indice inapproprié qui n'est ni révélateur de l'inflation en France, ni révélateur de l'augmentation des loyers.

Par un mémoire en réponse, enregistré le 26 mars 2024, la directrice régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris conclut à la non transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.

Elle soutient que les conditions de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ne sont pas réunies, les questions ainsi soulevées étant dépourvues de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1,

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée,

- la loi n°80-10 du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale,

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales,

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État (). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".

2. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

Sur l'article 3 de la loi n° 80-10 du 10 janvier 1980 :

3. L'article 3 de la loi n° 80-10 du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale prévoit que :" I - A partir de 1981, les taux des taxes foncières, de la taxe d'habitation et de la taxe professionnelle votés par une commune ne peuvent excéder deux fois et demie le taux moyen constaté l'année précédente pour la même taxe dans l'ensemble des communes du département ou deux fois et demie le taux moyen constaté au niveau national s'il est plus élevé. Pour les communes membre d'un groupement doté d'une fiscalité propre, ces taux-plafonds sont réduits du taux appliqué l'année précédente au profit du groupement. II - Les communes qui ont perçu en 1980 les taxes foncières, la taxe d'habitation ou la taxe professionnelle à un taux supérieur au taux-plafond défini au paragraphe I du présent article reçoivent pour une ou plusieurs de ces taxes, une compensation égale au produit des bases d'imposition de 1980 par la différence entre leur taux de 1980 et le taux-plafond. Cette compensation est versée intégralement aux communes concernées pendant cinq ans à partir de 1981 ; à partir de 1986, son montant est ensuite réduit chaque année d'un cinquième jusqu'à 1990. Cette compensation prend la forme d'un concours particulier attribué aux communes intéressées au titre de leur dotation globale de fonctionnement ; elle s'ajoute à la somme globale attribuée aux concours particuliers en application de l'article L. 243-12 du code des communes. III - Cette compensation est financée par un relèvement à due concurrence des frais d'assiette, de dégrèvements et de non-valeurs perçus par l'Etat ".

4. Le point I de cet article a été codifié à l'article 1636 B septies du CGI qui prévoit également en son point IX que " Les taux de la taxe foncière sur les propriétés non bâties et de la taxe d'habitation votés par la Ville de Paris ne peuvent excéder deux fois et demie le taux moyen communal constaté l'année précédente au niveau national. Le taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties voté par la Ville de Paris ne peut excéder deux fois et demie la somme des taux moyens constatés l'année précédente au niveau national respectivement pour l'ensemble des communes et des départements " qui constitue la disposition applicable au litige.

5. En premier lieu, aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant () l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ". Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, il appartient au législateur de déterminer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales sont autorisées à déterminer l'assiette et le taux des impôts locaux. Dès lors, les dispositions litigieuses qui permettent aux collectivités territoriales de fixer le taux de la taxe foncière ne sauraient être regardées, de ce seul fait, comme contraires au principe de légalité de l'impôt protégé par l'article 34 de la Constitution ni comme portant atteinte au principe du consentement à l'impôt

6. En deuxième lieu, l'article 72-2 de la Constitution a posé le principe de libre administration des collectivités territoriales en prévoyant que " La loi détermine les principes fondamentaux : - de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources () " et que " Les collectivités territoriales () peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine ".

7. En l'espèce ainsi qu'il a été dit au point 4 le législateur a prévu que le taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties voté par la Ville de Paris ne peut excéder deux fois et demie la somme des taux moyens constatés l'année précédente au niveau national respectivement pour l'ensemble des communes et des départements et a instauré ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, des limites dans lesquelles la collectivité est habilitée à faire varier le taux des différentes impositions qu'elle perçoit, notamment celui de la taxe foncière.

8. Par ailleurs, le requérant soutient qu'en ne prévoyant aucun " garde-fou " spécifique pour la Ville de Paris qui est à la fois une commune et un département et n'est donc soumise qu'à la seconde limitation prévue par l'article 3 de la loi susvisée du 10 janvier 1980, les dispositions en litige ont méconnu l'article 72-2 de la Constitution et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC).

9. Toutefois, d'une part, ainsi qu'il a été dit, le taux de la taxe foncière est déterminé dans les limites instituées par la loi de sorte que les dispositions litigieuses ne peuvent être regardées comme ayant méconnu l'article 72-2 de la Constitution. D'autre part, le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Ainsi, les propriétaires fonciers parisiens ne peuvent être regardés comme placés dans une situation identique aux propriétaires fonciers situés en dehors de Paris, ville qui concentre une densité de population au sein d'une aire urbaine sans commune mesure par rapport aux autres communes voire à certains départements, de sorte que le législateur a pu tenir compte des spécificités de l'organisation territoriale de la Ville de Paris sans méconnaître, à l'égard des autres propriétaires fonciers, le principe d'égalité régi par l'article 6 de la DDHC.

10. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient les articles 34 et 72-2 de la Constitution ainsi que l'article 6 de la DDHC ne présentent pas un caractère sérieux.

Sur l'article 1518 bis du code général des impôts :

11. Les dispositions de l'article 1518 bis du CGI, dans leur version applicable au litige, issues de l'article 99 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, prévoient que : " Dans l'intervalle de deux actualisations prévues par l'article 1518, les valeurs locatives foncières, à l'exception de celles des propriétés évaluées dans les conditions prévues à l'article 1498, sont majorées par application de coefficients forfaitaires fixés par la loi de finances en tenant compte des variations des loyers. () À compter de 2018, dans l'intervalle de deux actualisations prévues à l'article 1518, les valeurs locatives foncières sont majorées par application d'un coefficient égal à 1 majoré du quotient, lorsque celui-ci est positif, entre, d'une part, la différence de la valeur de l'indice des prix à la consommation harmonisé du mois de novembre de l'année précédente et la valeur du même indice au titre du mois de novembre de l'antépénultième année et, d'autre part, la valeur du même indice au titre du mois de novembre de l'antépénultième année ".

12. En premier lieu, la méconnaissance par le législateur de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

13. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ". En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

14. Le requérant soutient que, depuis 2018, la taxe foncière est indexée sur un indice inapproprié qui n'est ni révélateur de l'inflation en France, ni de l'augmentation des loyers, portant ainsi atteinte au droit de propriété protégé par l'article 17 de la DDHC.

15. D'une part, les dispositions en litige n'entraînent aucune privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789. D'autre part, ces dispositions se bornent à prévoir les modalités de revalorisation annuelle des valeurs locatives foncières dans l'intervalle de deux actualisations, par application d'un coefficient forfaitaire. Si le requérant soutient que, depuis 2018, la taxe foncière est indexée sur un indice inapproprié il résulte des travaux parlementaires relatifs à l'article 99 de la loi n°2016-1917 du 29 décembre 2016, qui a institué cette disposition, que le législateur a souhaité que la mise à jour périodique forfaitaire des valeurs locatives foncières soit liée au dernier taux constaté d'inflation annuelle totale pour les valeurs locatives qui ne font pas l'objet de la révision applicable aux locaux professionnels, ayant constaté que le coefficient de revalorisation forfaitaire des valeurs locatives qui était précédemment fixé annuellement par la loi de finances en tenant compte de l'évolution des loyers a été le plus souvent identique, ces dernières années, à l'inflation prévisionnelle, mais nettement supérieure à l'inflation constatée. Ainsi, l'objectif de cette modification législative, était que l'évolution des bases nettes de taxe d'habitation et de taxe foncière ne résultent pas uniquement de l'évolution des loyers mais tiennent, plus généralement, compte de l'inflation. Il résulte de ce qui précède que les limitations apportées à l'exercice du droit de propriété par les dispositions contestées, qui retiennent l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH ), indice qui permet d'estimer, entre deux périodes données, la variation du niveau général des prix des biens et des services consommés par les ménages sur le territoire français, pour fixer le coefficient de revalorisation annuelle des valeurs locatives foncières, trouvent leur justification dans la poursuite d'un objectif d'intérêt général pour tenir compte davantage de l'inflation et n'apparaissent pas, eu égard à leur portée et aux modalités de leur mise en œuvre, disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

16. Dans ces conditions, le grief tiré de ce que les dispositions contestées porteraient atteinte au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne présentent pas un caractère sérieux

17. Il résulte de tout ce qui précède que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par le requérant ne présentent pas un caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de les transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. B.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C B, à la directrice régionale des finances publiques d'Ile de France et de Paris et à la Ville de Paris.

Fait à Paris le 14 mai 2024.

La présidente de la 2ème section,

J. EVGENAS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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