Conseil d'Etat

Décision du 10 mai 2024 n° 490152

10/05/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 22 février et 22 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Les Entreprises du médicament demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2023-518 du 27 juin 2023 relatif aux modalités d'autorisation et de prise en charge des médicaments en association de traitement en application de l'article L. 162-18-1 du code de la sécurité sociale, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 162-18-1 du code de la sécurité sociale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 avril 2024, présentée par le syndicat Les Entreprises du médicament ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. A l'appui de son recours pour excès de pouvoir contre le décret du 27 juin 2023 relatif aux modalités d'autorisation et de prise en charge des médicaments en association de traitement en application de l'article L. 162-18-1 du code de la sécurité sociale, le syndicat Les Entreprises du médicament soutient que cette disposition législative méconnaît la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration du 26 août 1789 ainsi que les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de cette Déclaration.

3. L'article L. 162-18-1 du code de la sécurité sociale dispose, dans sa rédaction applicable à la date de ce décret, que : " I.- L'entreprise assurant l'exploitation, l'importation ou la distribution parallèles de toute spécialité pharmaceutique : / 1° Inscrite, au moins pour l'une de ses indications, sur la liste prévue à l'article L. 162-22-7 ; / 2° Susceptible d'être utilisée en association, concomitamment ou séquentiellement, avec d'autres spécialités pharmaceutiques qui bénéficient, pour cette ou ces indications, en association avec la spécialité considérée, soit d'une autorisation de mise sur le marché et d'une inscription sur l'une des listes prévues aux deux premiers alinéas de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, soit d'une autorisation d'accès précoce en application de l'article L. 5121-12 du même code ; / 3° Et ne disposant, pour cette indication ou ces indications en association, ni d'une autorisation de mise sur le marché, ni d'une autorisation d'accès précoce, ni d'une autorisation au titre de l'accès compassionnel ou d'un cadre de prescription compassionnelle en application de l'article L. 5121-12-1 du même code, / Informe, au plus tard le 15 février de chaque année, le Comité économique des produits de santé du chiffre d'affaires réalisé l'année civile précédente en France pour cette spécialité. / II.- A.- Sur demande des entreprises mentionnées au I du présent article ou à leur initiative, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale peuvent directement autoriser l'utilisation et la prise en charge par les régimes d'assurance maladie des spécialités pharmaceutiques répondant aux critères mentionnés au même I et dispensées en association aux patients dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 162-22-6 ou les hôpitaux des armées dans une indication pour lesquelles sont remplies les conditions mentionnées aux 2° et 3° du I du présent article. / La prise en charge mentionnée au premier alinéa du présent A est subordonnée à la transmission, lors de la facturation, de l'information qu'il s'agit d'une utilisation effectuée dans le cadre ainsi défini. / Le non-respect de cette obligation peut donner lieu à une procédure de recouvrement de l'indu, selon les modalités prévues à l'article L. 133-4. / B.- L'utilisation et la prise en charge mentionnées au A du présent II sont subordonnées, tant que les entreprises mentionnées au I n'ont pas obtenu, au titre des indications en association mentionnées au A du présent II, une autorisation de mise sur le marché et une inscription sur la liste prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ou une autorisation d'accès précoce en application de l'article L. 5121-12 du même code, au versement de remises par ces entreprises. Ces remises sont reversées chaque année aux organismes mentionnés à l'article L. 213-1 du présent code désignés par le directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Elles sont calculées sur la base du chiffre d'affaires hors taxes facturé aux établissements de santé et aux hôpitaux des armées au titre des indications en association mentionnées au A du présent II pour les spécialités et la période considérées. / Les taux de ces remises sont définis selon un barème progressif, par tranche de chiffre d'affaires, fixé par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. / Les remises conventionnelles dues, le cas échéant, en application de l'article L. 162-18, sur la même partie de chiffre d'affaires sont déductibles du résultat du calcul découlant de l'application du barème mentionné au deuxième alinéa du présent B. / Pour l'application des deux premiers alinéas du présent B, le chiffre d'affaires facturé au titre des indications en association mentionnées au A du présent II est obtenu en multipliant le chiffre d'affaires total facturé par l'entreprise pour la spécialité considérée par la part de son utilisation dans les indications mentionnées au même A. "

4. L'article L. 162-18-1 du code de la sécurité sociale vise à encadrer la prise en charge par l'assurance maladie de spécialités inscrites sur la liste prévue à l'article L. 162-22-7, dite " liste en sus ", dans le cas où ces spécialités sont dispensées en association de traitement avec une autre spécialité mais n'ont pas, à la différence de cette autre spécialité, fait l'objet, pour cette indication en association de traitement, d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autre autorisation assortie d'une prise en charge par l'assurance maladie. L'article contesté prévoit que, dans ce cas, les ministres compétents peuvent, à leur initiative ou sur demande des entreprises en assurant l'exploitation, l'importation ou la distribution parallèles, autoriser l'utilisation et la prise en charge de ces spécialités dans cette indication en association de traitement. Il subordonne cette utilisation et cette prise en charge au reversement, aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales désignées par le directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, de remises calculées sur la base du chiffre d'affaires hors taxes facturé au titre des indications en association de traitement, tant que ces entreprises n'ont pas obtenu, pour cette indication, une autorisation de mise sur le marché et une inscription sur la liste prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, dite " liste collectivités ", ou une autorisation d'accès précoce en application de l'article L. 5121-12 du même code.

5. En premier lieu, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

6. Le législateur a entendu, en adoptant ces dispositions, qui ne portent aucune atteinte à la commercialisation des spécialités concernées, satisfaire aux exigences de valeur constitutionnelle qui s'attachent tant à la protection de la santé que, par la maîtrise de l'évolution des dépenses de santé, à l'équilibre financier de la sécurité sociale. Si elles permettent aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale de prendre l'initiative d'étendre à une indication en association de traitement l'autorisation d'utilisation et la prise en charge de ces spécialités par les régimes d'assurance maladie et si cette utilisation et cette prise en charge dans cette nouvelle indication sont subordonnées au versement de remises jusqu'à l'obtention par les entreprises d'une autorisation de mise sur le marché ainsi que d'une inscription sur la liste prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ou d'une autorisation d'accès précoce en application de l'article L. 5121-12 du même code, l'atteinte ainsi portée à la liberté d'entreprendre est justifiée au regard des objectifs poursuivis et n'est pas disproportionnée.

7. En second lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. () ". Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Si cet article n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

8. D'une part, les dispositions contestées traitent de manière identique les entreprises concernées s'agissant de la déductibilité, pour le calcul de la remise qu'elles instaurent, des remises conventionnelles dues, le cas échéant, en application de l'article L. 162-18 du code de la sécurité sociale. Par suite, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir qu'elles méconnaîtraient à cet égard le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

9. D'autre part, les remises qu'elles instaurent, qui sont la contrepartie de la prise en charge par les régimes d'assurance maladie des spécialités utilisées en association de traitement, doivent être regardées, non comme des impositions de toute nature au sens de l'article 34 de la Constitution ou des prélèvements obligatoires de caractère non fiscal, mais comme une modalité de régulation du prix des spécialités remboursables en cause, dont l'autorisation d'utilisation et la prise en charge se trouvent étendues à une nouvelle indication, au regard des volumes supplémentaires de vente résultant de cette extension. Par suite, le syndicat requérant ne peut utilement soutenir que les dispositions contestées, en ce qu'elles instaureraient un prélèvement obligatoire susceptible de revêtir un caractère confiscatoire, méconnaîtraient l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question de constitutionnalité soulevée par le syndicat Les Entreprises du médicament, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de la renvoyer au Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que l'article L. 162-18-1 du code de la sécurité sociale porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat Les Entreprises du médicament.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat Les Entreprises du médicament et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 avril 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Jean-Dominique Langlais, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire ; M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes et M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 10 mai 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Noël

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé HerberOGLZLAYU

Code publication

C