Cour administrative d'appel de Toulouse

Ordonnance du 7 mai 2024 n° 24TL00629

07/05/2024

Renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête, Mme A B a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 7 octobre 2020 par laquelle la commune de Toulouse a refusé de rembourser des frais qu'elle a engagés du fait de son handicap pour prendre part aux séances des conseils municipal et de la métropole et d'enjoindre à la commune de Toulouse et à Toulouse Métropole de lui verser la somme de 6 683,48 euros et de prendre en charge les frais liés à l'aide dont elle a besoin pour l'exercice des fonctions de membre du conseil municipal et du conseil de la métropole.

Par un jugement n° 2103931 du 27 avril 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Par une seconde requête, Mme B a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 16 février 2022 par laquelle Toulouse Métropole a refusé de prendre en charge les frais liés à l'aide humaine qu'elle sollicite pour la préparation des séances et conseils en tant qu'élue de la métropole en situation de handicap ainsi que la décision implicite de rejet née le 14 juin 2022 à la suite de son recours gracieux formé le 14 avril 2022 et d'enjoindre à Toulouse Métropole de prendre en charge les frais dont elle a demandé le paiement.

Par un jugement n° 2104768 du 27 avril 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 mars 2024, Mme B, représentée par Me Hirtzlin-Pinçon, demande à la cour :

1°) d'annuler ces jugements ;

2°) d'annuler ces décisions de la commune de Toulouse et de Toulouse Métropole ;

3°) de condamner la commune de Toulouse et Toulouse Métropole à lui verser la somme de 27 868,66 euros correspondant aux frais déjà exposés et à lui rembourser l'ensemble des frais qu'elle exposera pour l'exercice de ses fonctions de membre du conseil municipal et du conseil de la métropole ;

4°) d'enjoindre à la commune de Toulouse et à Toulouse Métropole de l'autoriser à utiliser pour ses activités professionnelles et personnelles le même ordinateur portable mis à sa disposition ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse et de Toulouse Métropole la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct enregistré le 4 avril 2024, Mme A B, représentée par Me Hirtzlin-Pinçon, demande à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, à l'appui de sa requête d'appel, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution :

- des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2123-18-1 du code général des collectivités territoriales, relatives aux membres du conseil municipal, rédigées comme suit : " Lorsqu'ils sont en situation de handicap, ils peuvent également bénéficier du remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique qu'ils ont engagés pour les situations visées à l'alinéa précédent, ainsi que pour prendre part aux séances du conseil municipal et aux réunions des commissions et des instances dont ils font partie ès qualités qui ont lieu sur le territoire de la commune " ;

- et des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 5211-13 du même code, relatives aux membres des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale, rédigées comme suit : " Lorsque lesdits membres sont en situation de handicap, ils peuvent également bénéficier du remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique qu'ils ont engagés pour les situations mentionnées au premier alinéa, dans des conditions fixées par décret ".

Elle soutient que :

a) les dispositions dont la constitutionnalité est contestée sont applicables au litige ;

b) elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution ;

c) la question posée n'est pas dépourvue de caractère sérieux pour les motifs suivants :

- les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2123-18-1 et du dernier alinéa de l'article L. 5211-13 du code général des collectivités territoriales ne sont pas claires et méconnaissent ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ;

- ces articles, qui ne permettent pas de couvrir tous les frais afférents à un handicap ou à un cumul de handicaps et limitent ainsi la liberté politique des personnes en situation de handicap, créent une différence de traitement non justifiée entre les élus handicapés et ceux qui ne le sont pas, ce qui méconnaît le principe d'égalité devant la loi ;

- ils instituent une différence de traitement non justifiée entre les élus municipaux en situation de handicap et les élus de la métropole en situation de handicap, la prise en charge des frais pour ces derniers étant limitée aux seules séances organisées en dehors du territoire de la commune qu'ils représentent au sein de l'établissement public de coopération intercommunale, ce qui méconnaît le principe d'égalité devant la loi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé () ". Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ". L'article R. 771-7 du code de justice administrative dispose que : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. D'autre part, aux termes de l'article L. 2123-18-1 du code général des collectivités territoriales : " Les membres du conseil municipal peuvent bénéficier du remboursement des frais de transport et de séjour qu'ils ont engagés pour se rendre à des réunions dans des instances ou organismes où ils représentent leur commune ès qualités, lorsque la réunion a lieu hors du territoire de celle-ci. / Lorsqu'ils sont en situation de handicap, ils peuvent également bénéficier du remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique qu'ils ont engagés pour les situations visées à l'alinéa précédent, ainsi que pour prendre part aux séances du conseil municipal et aux réunions des commissions et des instances dont ils font partie ès qualités qui ont lieu sur le territoire de la commune () ". Aux termes de l'article L. 5211-13 du même code : " Lorsque les membres des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale mentionnés à l'article L. 5211-12 engagent des frais de déplacement à l'occasion des réunions de ces conseils ou comités, du bureau, des commissions instituées par délibération dont ils sont membres, des comités consultatifs prévus à l'article L. 5211-49-1, de la commission consultative prévue à l'article L. 1413-1 et des organes délibérants ou des bureaux des organismes où ils représentent leur établissement, ces frais peuvent être remboursés lorsque la réunion a lieu dans une commune autre que celle qu'ils représentent, dans les conditions fixées par décret. / La dépense est à la charge de l'organisme qui organise la réunion. / Lorsque lesdits membres sont en situation de handicap, ils peuvent également bénéficier du remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique qu'ils ont engagés pour les situations mentionnées au premier alinéa, dans des conditions fixées par décret ".

3. Il ressort des pièces du dossier que, dans sa décision du 7 octobre 2020, la commune de Toulouse a opposé à Mme B les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2123-18-1 du code général des collectivités territoriales pour rejeter sa demande tendant à ce que des frais exposés pour la préparation des séances du conseil municipal soient pris en charge par la collectivité. Dans la décision du 16 février 2022, Toulouse Métropole a rejeté la demande de Mme B au motif notamment que les dispositions applicables aux conseillers des établissements publics de coopération intercommunale ne permettent la prise en charge des frais que lorsque les élus de la métropole participent à des réunions qui ont lieu dans une commune autre que celle qu'ils représentent et qu'ainsi les frais exposés par Mme B qui sont afférents aux réunions des instances de la métropole qui se déroulent à Toulouse ne peuvent plus être financés. Toulouse Métropole s'appuie ainsi sur les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 5211-13 du code général des collectivités territoriales, qui se réfèrent aux situations mentionnées au premier alinéa de cet article et qui excluent donc la prise en charge de tels frais, contrairement à ce qui est prévu pour les membres d'un conseil municipal. Il ressort, en outre, des tableaux de suivi des frais produits par Mme B que ce refus de remboursement au motif que la réunion a lieu à Toulouse est susceptible de lui être effectivement opposé, par exemple pour une réunion du 10 février 2022. Ainsi, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2123-18-1 et du dernier alinéa de l'article L. 5211-13 du code général des collectivités territoriales sont applicables au litige.

4. Ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

5. Enfin, ces dispositions limitent le type de frais qui sont susceptibles d'être pris en charge par la collectivité territoriale pour les membres d'un conseil municipal ou d'un conseil d'un établissement public de coopération intercommunale qui sont en situation de handicap. Ces dispositions impliquent aussi une différence de traitement entre les membres d'un conseil municipal en situation de handicap et les membres d'un organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale dans la même situation de handicap, les premiers pouvant bénéficier des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique quand les séances et réunions des instances où ils siègent officiellement ont lieu sur le territoire de la commune et en dehors de celle-ci, alors que les seconds ne peuvent bénéficier du remboursement de tels frais que lorsque les réunions liées à leur mandat se déroulent dans une commune autre que celle qu'ils représentent. Le moyen tiré de ce que les dispositions en cause portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, soulève une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

6. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la cour. Par suite, il y a lieu de surseoir à statuer sur la requête n° 24TL00629 jusqu'à ce qu'il ait été statué par le Conseil d'Etat ou, s'il a été saisi, par le Conseil constitutionnel, sur la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.

O R D O N N E :

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2123-18-1 et du dernier alinéa de l'article L. 5211-13 du code général des collectivités territoriales est transmise au Conseil d'Etat.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête n° 24TL00629 jusqu'à ce qu'il ait été statué par le Conseil d'Etat ou, s'il a été saisi, par le Conseil constitutionnel, sur la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A B, à la commune de Toulouse et à Toulouse Métropole.

Fait à Toulouse, le 7 mai 2024.

Le président de la 1ère chambre,

A. Barthez

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2 QPC

Code publication

C