Conseil constitutionnel

Décision n° 2024-1085 QPC du 25 avril 2024

25/04/2024

Non conformité totale - effet différé

( vidéo de l'audience du 26 mars 2024 )

 

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 janvier 2024 par le Conseil d’État (décision n° 489088 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la commune de Saint-Cloud par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024‑1085 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du b de l’article L. 5219‑8 du code général des collectivités territoriales.

Au vu des textes suivants :
– la Constitution ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 ;
– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :
– les observations présentées pour la commune requérante par la SCP Foussard-Froger, enregistrées le 15 février 2024 ;
– les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
– les observations en intervention présentées pour la commune de Vaucresson par la SCP Foussard-Froger, enregistrées le même jour ;
– les secondes observations présentées pour la commune requérante par la SCP Foussard-Froger, enregistrées le 29 février 2024 ;
– les secondes observations en intervention présentées pour la commune de Vaucresson par la SCP Foussard-Froger, enregistrées le même jour ;
– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Georges Salon, avocat au barreau de Paris, pour la commune requérante et la partie intervenante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 26 mars 2024 ;

Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 3 avril 2024 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1) La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du b de l’article L. 5219‑8 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2021 mentionnée ci‑dessus.

2) L’article L. 5219‑8 du code général des collectivités territoriales, dans cette rédaction, est relatif aux règles dérogatoires de contribution au fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales applicables aux ensembles intercommunaux de la métropole du Grand Paris. Le b de cet article prévoit :

"Le reste du prélèvement de chaque ensemble intercommunal est réparti entre les communes membres d’un même établissement public territorial en fonction des prélèvements de chaque commune calculés en 2015 en application du premier alinéa du II de l’article L. 2336-3 et, pour les communes n’appartenant pas à un groupement à fiscalité propre en 2015, en fonction des prélèvements calculés en 2015 en application du I du même article".

3) La commune requérante, rejointe par la partie intervenante, reproche à ces dispositions de prévoir, pour l’alimentation du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, que la répartition du reste du prélèvement de chaque établissement public territorial entre les communes qui en sont membres est figée en fonction des prélèvements que chaque commune avait dû verser en 2015. Or, en vertu de la jurisprudence du Conseil d’État, cette règle de répartition prend en compte le plafonnement des prélèvements dont certaines communes avaient bénéficié au titre de cette année. Dès lors, ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les communes membres d’un même établissement public territorial, selon qu’elles avaient bénéficié ou non d’un tel plafonnement en 2015, sans qu’il soit tenu compte de l’évolution de leurs capacités contributives depuis cette date. Il en résulterait une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques ainsi que des exigences du dernier alinéa de l’article 72-2 de la Constitution.

Sur le fond :

4) Selon l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : "Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés". En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

5) En application de l’article L. 2336-3 du code général des collectivités territoriales, le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales est alimenté par un prélèvement sur les ressources fiscales des ensembles intercommunaux et des communes n’appartenant à aucun groupement à fiscalité propre, dont le potentiel financier est supérieur à un certain niveau. Les sommes dues par les ensembles intercommunaux et les communes de la région Île-de-France au titre de ce fonds ainsi que du fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France ne peuvent excéder un pourcentage du produit perçu au titre de leurs ressources, qui était fixé à 13 % en 2015. Pour les ensembles intercommunaux, le prélèvement ainsi calculé est réparti entre l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et ses communes membres en fonction d’un coefficient d’intégration fiscale, et, pour la part due par les communes, entre chacune d’elles en fonction de son potentiel financier par habitant et de sa population.

6) Par dérogation, l’article L. 5219-8 du code général des collectivités territoriales prévoit, pour le territoire de la métropole du Grand Paris, des modalités particulières d’alimentation du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales.

7) D’une part, les établissements publics territoriaux, qui constituent les ensembles intercommunaux pour lesquels sont calculés les prélèvements, sont soumis à un prélèvement égal à la somme de ceux supportés en 2015 par les groupements à fiscalité propre qui leur préexistaient.

8) D’autre part, en application des dispositions contestées, le reste du prélèvement de chaque ensemble intercommunal est réparti entre les communes membres de l’établissement public territorial en fonction des prélèvements de chaque commune tels qu’ils avaient été calculés en 2015. Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État que cette règle de répartition prend en compte les plafonnements dont avaient pu bénéficier certaines communes, à cette date, en application de l’article L. 2336-3 du code général des collectivités territoriales.

9) En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu limiter les conséquences de la création de la métropole du Grand Paris sur le montant des prélèvements à la charge des communes situées sur son territoire.

10) Toutefois, en figeant une règle de répartition qui est fondée sur les prélèvements des communes calculés en 2015 et qui intègre le plafonnement dont certaines avaient bénéficié au titre de cette année, ces dispositions instaurent une différence de traitement entre les communes membres d’un même établissement public territorial, sans qu’il soit tenu compte de l’évolution de leurs capacités contributives depuis cette date.

11) S’il était loisible au législateur de prévoir, à titre transitoire, une règle de répartition dérogatoire pour les prélèvements des communes membres d’un établissement public territorial de la métropole du Grand Paris tenant compte de ceux calculés au titre de l’année 2015, il ne pouvait, compte tenu de l’objet du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, laisser subsister de façon pérenne une telle différence de traitement sans porter une atteinte caractérisée à l’égalité devant les charges publiques.

12) Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :

13) Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : "Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause". En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.

14) En l’espèce, d’une part, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de remettre en cause l’ensemble des prélèvements opérés sur leur fondement. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2025 la date d’abrogation de ces dispositions.

15) D’autre part, afin de préserver l’effet utile de la présente décision pour la solution des instances en cours ou à venir, il appartient aux juridictions saisies de surseoir à statuer jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu’au 1er janvier 2025 dans les procédures dont l’issue dépend de l’application des dispositions déclarées inconstitutionnelles.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. – Le b de l’article L. 5219‑8 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021‑1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022, est contraire à la Constitution.

Article 2. – La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 14 et 15 de cette décision.

Article 3. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 avril 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Rendu public le 25 avril 2024.

Abstracts