Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 16 avril 2024 n° 23PA03276

16/04/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B A a demandé au Tribunal administratif de Melun de prononcer, d'une part, la décharge, en droits, intérêts de retard et majorations, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2015 et 2016, d'autre part, la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période courue du 1er janvier 2015 au 31 octobre 2017.

Par un jugement n° 1908668/2 du 22 juin 2023, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2023, M. A, représenté par la SCP Nataf et Planchat, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 juin 2023 ;

2°) de prononcer la décharge, en droits, intérêts de retard et majorations, des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Par des mémoires distincts, enregistrés les 15 et 29 mars 2024, M. A, représenté par la SCP Nataf et Planchat, demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts alors en vigueur.

Il soutient que, conformément à la décision du Conseil d'Etat n° 407999 du 9 mai 2017, les dispositions en cause sont applicables au litige malgré le dégrèvement annoncé par le ministre dès lors que le juge de l'impôt n'a, à ce jour, pas prononcé de non-lieu à statuer, que si le Conseil constitutionnel a déjà déclaré conformes ces dispositions dans sa décision n° 2010-16 QPC du 23 juillet 2010, l'intervention de l'arrêt Waldner c. France rendu le 7 décembre 2023 par la Cour européenne des droits de l'homme constitue un changement des circonstances et que la question est sérieuse au motif que ces dispositions portent atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'elles prévoient que le revenu imposable entre les mains d'un contribuable qui n'a pas adhéré à un organisme ou à une association de gestion agréé est majoré de ce seul fait de 25 %, de sorte que l'impôt porte sur un revenu dont le contribuable n'a en réalité pas disposé.

Par des observations en réponse, enregistrées le 29 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour de ne pas faire droit à la transmission demandée.

Il soutient que les dispositions arguées d'inconstitutionnalité ne sont pas applicables au litige compte tenu du dégrèvement annoncé, qui porte sur la majoration litigieuse de 25 %.

Vu la décision du 3 avril 2024 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a prononcé le dégrèvement correspondant à la majoration litigieuse de 25 %.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

4. Aux termes de l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérise de l'égalité devant les charges publiques.

5. Le 7 de l'article 158 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur, disposait que : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1,25. Ces dispositions s'appliquent : / 1° Aux titulaires de revenus passibles de l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles, réalisés par des contribuables soumis à un régime réel d'imposition : / a) Qui ne sont pas adhérents d'un centre de gestion ou d'une association agréés définis aux articles 1649 quater C à 1649 quater H, à l'exclusion des membres d'un groupement ou d'une société mentionnés aux articles 8 à 8 quinquies et des conjoints exploitants agricoles de fonds séparés ou associés d'une même société ou groupement adhérant à l'un de ces organismes ; / b) Ou qui ne font pas appel aux services d'un expert-comptable, d'une société membre de l'ordre ou d'une association de gestion et de comptabilité, autorisé à ce titre par l'administration fiscale et ayant conclu avec cette dernière une convention en application des articles 1649 quater L et 1649 quater M () ".

6. M. A soutient que si les dispositions litigieuses ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par la décision n° 2010-16 QPC rendue le 23 juillet 2010 par le Conseil constitutionnel, l'arrêt Waldner c. France rendu le 7 décembre 2023 (n° 26604/16) par la Cour européenne des droits de l'homme, qui juge que la majoration litigieuse de 25 % appliquée du fait de la non-adhésion du contribuable à une association de gestion agréée viole l'article 1 du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, constitue un changement des circonstances au sens du 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

7. Toutefois, eu égard aux motifs retenus par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 juillet 2010 pour écarter les griefs d'inconstitutionnalité des dispositions contestées au regard, notamment, de l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'arrêt Waldner c. France rendu le 7 décembre 2023 par la Cour européenne des droits de l'homme ne peut, contrairement à ce que soutient M. A, être regardé comme constituant un changement des circonstances au sens du 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

8. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au directeur départemental des finances publiques de Seine-et-Marne.

Fait à Paris, le 16 avril 2024.

Le président,

B. AUVRAY

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2 QPC n°2