Tribunal administratif de Pau

Jugement du 15 avril 2024 n° 2103113

15/04/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 novembre 2021, M. B C demande au tribunal d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2021 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours des Pyrénées-Atlantiques l'a suspendu de son engagement de sapeur-pompier volontaire à compter du 15 septembre 2021 jusqu'à ce qu'il présente les justificatifs requis par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

Il soutient que :

- la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, qui impose une obligation vaccinale, méconnaît les valeurs de la République en ce qu'elle est ségrégationniste et prive une partie des citoyens de leur liberté ;

- l'obligation vaccinale contre le virus SARS-CoV-2 ne peut lui être imposée dès lors que le vaccin présente un caractère expérimental comme en atteste son autorisation de mise conditionnelle sur le marché ;

- au regard des effets secondaires graves et du risque de mourir encourus en cas de vaccination, cette obligation porte atteinte à l'intégrité de la personne et au droit à la vie protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les articles L. 1110 à L. 1115-3 du code de la santé publique ;

- elle constitue un chantage au sens des articles 312-10 à 312-12 du code pénal dès lors qu'en l'accusant de mettre en danger la santé des personnes, sans aucun fondement scientifique et alors qu'il s'est toujours soumis aux tests de dépistage qui lui ont été demandés et que la vaccination n'empêche pas la transmission du virus, la décision attaquée porte atteinte à son honneur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2022, le service départemental d'incendie et de secours des Pyrénées-Atlantiques conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Genty,

- les conclusions de Mme Réaut, rapporteure publique,

- et les observations de Mme A, représentant le service départemental d'incendie et de secours des Pyrénées-Atlantiques.

Considérant ce qui suit :

1. M. C, sapeur-pompier volontaire de 2ème classe, exerce ses fonctions au sein du centre d'incendie et de secours de Lasseube (Pyrénées-Atlantiques). Par un arrêté du 20 octobre 2021, le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours des Pyrénées-Atlantiques a suspendu son engagement à compter du 15 septembre 2021 jusqu'à présentation des justificatifs mentionnés au I de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. M. C demande l'annulation de cet arrêté.

2. Les mesures de santé publique destinées à prévenir la circulation du virus de la covid-19 prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ont été remplacées, après l'expiration de celui-ci le 1er juin 2021, par celles de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, modifiée et complétée par la loi du 5 août 2021 afin de rendre obligatoire la vaccination pour un certain nombre de professionnels. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / () 6° Les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers des services d'incendie et de secours () / II. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la covid-19 des personnes mentionnées au I du présent article. Il précise les différents schémas vaccinaux et, pour chacun d'entre eux, le nombre de doses requises. / Ce décret fixe les éléments permettant d'établir un certificat de statut vaccinal pour les personnes mentionnées au même I et les modalités de présentation de ce certificat sous une forme ne permettant d'identifier que la nature de celui-ci et la satisfaction aux critères requis. Il détermine également les éléments permettant d'établir le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 et le certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19. / () ". Aux termes de l'article 13 de cette même loi : " I - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. () / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité. / () ". Aux termes de l'article 14 de la même loi : " I. - () / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. () ".

3. En premier lieu, à supposer qu'en soutenant que la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire méconnaît les valeurs de la République en ce qu'elle est ségrégationniste et prive une partie des citoyens de leur liberté, M. C a entendu exciper de l'inconstitutionnalité des dispositions de cette loi, il n'appartient pas au juge administratif, en dehors de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution relative à la transmission de questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil d'Etat et au Conseil constitutionnel, de connaître de la constitutionnalité de la loi. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant aurait soulevé par mémoire distinct la question prioritaire de constitutionnalité ainsi formulée, conformément à l'article R. 771-3 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de l'atteinte, par la décision attaquée, aux valeurs de la République est irrecevable.

4. En deuxième lieu, si M. C se prévaut de ce qu'il ne peut être soumis à l'obligation vaccinale imposée par les dispositions précitées de la loi du 5 août 2021 en se bornant à soutenir que le vaccin présente un caractère expérimental au motif qu'il fait l'objet d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché, il n'étaye pas ce moyen des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. ". Aux termes de l'article 8 de la même convention : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

6. A supposer que M. C a entendu se prévaloir des articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et en soutenant que la décision attaquée méconnaîtrait ces deux dispositions, il doit être regardé comme remettant ainsi en cause le respect, par la loi du 5 août 2021 de ces stipulations. S'il se prévaut pour lui-même des risques d'effets secondaires et du risque de mourir en cas d'injection de l'un des vaccins administrés en France, il n'allègue d'abord, ni n'établit présenter une contre-indication médicale prévue par l'autorisation de mise sur le marché des vaccins disponibles. Le requérant n'apporte ensuite aucun élément de nature à corroborer que les cas d'effets secondaires des vaccins qui ont fait l'objet d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché seraient suffisamment nombreux et établis pour ne pas compenser les bénéfices de la vaccination. Enfin, M. C ne soutient pas davantage, ni n'établit que l'obligation vaccinale imposée aux sapeurs-pompiers auraient apporté au droit au respect de leur vie privée une restriction qui ne serait pas justifiée par un objectif de protection de la santé publique, ni proportionnée à ce but dès lors que le législateur a, en outre, prévu que l'interdiction d'exercer une activité professionnelle, imposée à un agent qui a méconnu ses obligations sanitaires, cesse dès que celui-ci s'y est conformé. Dans ces conditions, compte tenu des circonstances de l'espèce, la décision attaquée n'a pas porté au droit à la vie du requérant et au droit au respect de sa vie privée, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle n'a, par suite, pas méconnu les stipulations des articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. En quatrième lieu, aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique : " Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. ".

8. Les dispositions précitées de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire qui instaurent une obligation de vaccination contre la covid-19 pour les sapeurs-pompiers, constituent une restriction au droit institué par l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, qui n'a pas un rang supérieur dans la hiérarchie des normes, de ne pas recevoir de traitement sans consentement libre et éclairé. Par ailleurs, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur l'opportunité du contenu des dispositions législatives. Par suite, M. C ne peut utilement se prévaloir de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique à l'encontre de l'arrêté attaqué pris par l'autorité administrative pour mettre en œuvre une obligation de vaccination également établie par le législateur pour lutter contre l'épidémie de Covid 19.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 312-10 du code pénal : " Le chantage est le fait d'obtenir, en menaçant de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque. ".

10. M. C ne peut utilement soutenir qu'en l'accusant de mettre en danger la santé des personnes par son refus de la vaccination, il a été porté atteinte à son honneur en vue d'obtenir son consentement à l'obligation vaccinale dès lors que cette obligation imposée aux sapeurs-pompiers résulte des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. C doit être rejetée.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de M. C est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B C et au service départemental d'incendie et de secours des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. de Saint-Exupéry de Castillon, président,

Mme Genty, première conseillère,

M. Diard, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2024.

La rapporteure,

signé

F. GENTY

Le président,

signé

F. DE SAINT-EXUPERY DE CASTILLONLa greffière,

signé

P. SANTERRE

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

Pour expédition :

La greffière,

Code publication

C