Cour administrative d'appel de Bordeaux

Ordonnance du 11 avril 2024 n°24BX00652

11/04/2024

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

M. A et Mme C B, représentés par Me de Oliveira, ont saisi la cour, le 14 mars 2024, d'un appel dirigé contre le jugement n° 2200303 du 11 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations de taxes sur les cessions à titre onéreux de terrains nus devenus constructibles auxquelles ils ont été assujettis à raison de cessions intervenues entre les années 2018 et 2020.

Par un mémoire distinct, enregistré le 15 mars 2023, déposé au titre des articles 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 modifiée du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et R. 771-12 du code de justice administrative, M. et Mme B, représentés par Me de Oliveira, contestent le jugement n° 2200303 du 11 janvier 2024 en tant qu'il refuse de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité des articles 1529 III, 1605 nonies II et 150 VA III du code général des impôts et de l'article 41 duovicies H de l'annexe 3 au même code et demandent à la cour de transmettre cette question au Conseil d'Etat.

Ils soutiennent que :

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, les dispositions contestées créent une rupture d'égalité et c'est à tort que les premiers juges ont refusé de retenir cette rupture d'égalité ;

- les dispositions contestées sont applicables au litige ;

- elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution ;

- la question de la constitutionnalité de ces dispositions présente un caractère nouveau et sérieux ;

- les taxes prévues par ces dispositions sont calculées sur une assiette propre correspondant à une plus-value de cession distincte de la plus-value de cession calculée en matière d'impôt sur le revenu ; les dépenses déduites pour la détermination du prix de cession ne tiennent pas compte des travaux de viabilisation ; cette impossibilité de déduire ces dépenses méconnaît le principe d'égalité devant la loi fiscale prévu par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le principe d'égalité devant les charges publiques prévu à l'article 13 de la même déclaration ; les articles L. 442-1 à L. 414-14 du code de l'urbanisme imposent certaines obligations au vendeur d'un terrain situé dans un lotissement, dont celle de viabilisation et de délimitation des terrains ; ils ont supporté des frais de cette nature en vue de la vente des terrains ayant donné lieu aux impositions contestées ; il s'agit de dépenses contraintes qui engendrent une augmentation du prix du terrain surpassant l'augmentation de la valeur du terrain du simple fait de son changement de nature ; les taxes concernées ont pour objet de taxer la survaleur automatique induite par le fait que le terrain devient constructible et se retrouvent ainsi, du fait de ces dispositions, à taxer aussi la survaleur relative aux investissements de viabilisation du terrain ; les dispositions contestées créent ainsi une inégalité réelle et très importante entre le contribuable qui vend son terrain devenu constructible sans avoir réalisé d'investissement et celui qui vend son terrain après avoir réalisé de telles dépenses obligatoires ; en l'espèce, les dépenses engagées ont été de 743 485,38 euros ; la déduction de ces dépenses permettrait de réduire considérablement l'imposition voire de la rendre nulle ; l'assiette des taxes ne repose sur aucune différence de traitement en rapport avec l'objectif ou la finalité poursuivie par le législateur ; aucun élément objectif ni rationnel ne justifie cette différence de traitement ; l'objectif recherché par le législateur est de favoriser pour les collectivités la libération de foncier en ayant l'assurance de disposer du financement nécessaire aux aménagements indispensables à l'accueil des nouveaux habitants des communes ; la non prise en compte des frais de viabilisation ne s'inscrit pas dans cette volonté du législateur ; au contraire, c'est la déduction de ces frais qui permettrait d'encourager la cession de terrains ; si l'administration affirme que la déduction appauvrirait les communes et réduirait donc l'effet incitatif recherché, il est difficilement concevable que certaines charges soient au contraire admises en déduction ; l'objectif du législateur s'agissant de l'article 1605 nonies du code général des impôts, est de lutter contre la cession des terrains agricoles pour qu'ils soient affectés à un usage autre qu'agricole ; mais les frais de viabilisation consistent à assurer un confort élémentaire en vue de la construction d'une habitation et si un contribuable souhaite affecter son terrain à un usage autre qu'agricole mais non à des fins d'habitation, il se trouvera dans une situation plus avantageuse que le lotisseur ; cette différence de traitement ne répond pas davantage à l'objectif du législateur et ne repose sur aucun critère objectif et rationnel en rapport direct avec l'objet de la loi ; les textes incitent les propriétaires à vendre les terrains à des professionnels qui procèderont eux-mêmes ensuite à la viabilisation mais ne seront pas soumis à la taxe prévue par les articles 1529 et 1605 nonies du code général des impôts ; cette situation ne permet pas de lutter contre la spéculation et la disparition du foncier agricole ; l'absence de droit à déduction des frais de viabilisation crée donc une différence de traitement injustifiée entre les contribuables qui procèdent eux-mêmes aux travaux, soumis à la taxe sans pouvoir imputer les frais correspondants, les contribuables qui vendent à des professionnels sans engager les travaux, qui supporteront une taxe plus faible et, enfin, les professionnels qui achèteront le terrain et procèderont à la viabilisation et ne seront pas soumis à la taxe lors de la revente ; la loi fait ainsi peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive et sans justification ni critère rationnel et objectif.

Par un mémoire enregistré le 2 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté numérique conclut à ce que la cour décide qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée par les requérants.

Il soutient que :

- la condition tenant au caractère sérieux de la question n'est pas remplie ;

- en effet, les requérants ne sont pas fondés à invoquer une atteinte au principe d'égalité devant la loi ; selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ; le cédant d'un terrain devenu constructible après son acquisition qui le revend non aménagé se trouve dans une situation juridique et économique différente du cédant qui revend un terrain après avoir choisi d'y effectuer des travaux d'aménagement et de viabilisation pour le lotir ; la différence de traitement résultant de l'absence de déduction des frais correspondant à ces travaux n'est pas contraire à l'objet de la loi ; il résulte des travaux préparatoires à la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 que le législateur, en instaurant la taxe communale facultative prévue à l'article 1529 du code général des impôts, a entendu encourager les maires à la construction en permettant aux commune de profiter, si elles le souhaitent, d'une partie de la plus-value résultant de l'ouverture des terrains à l'urbanisation ; cette intention n'obligeait pas le législateur à limiter la taxation à la survaleur consécutive à la seule décision de classement en terrain constructible ; au contraire, la déduction des frais d'aménagement réduirait l'assiette de la taxe et donc l'effet incitatif recherché ; de même, il ressort de l'exposé des motifs de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 à l'origine de la taxe prévue par l'article 1605 nonies du code général des impôts que l'objectif de la taxe est de réduire le rythme d'artificialisation des terres agricoles ; en décidant que l'assiette de la taxe ne serait pas réduite à raison des frais d'aménagement, le législateur a défini l'assiette de cette taxe, dont le produit est affecté à un fonds destiné à financer des mesures en faveur de l'installation et de la transmission en agriculture, en cohérence avec l'objectif de soutien au maintien de l'agriculture ; il serait contradictoire de permettre la déduction des frais d'aménagement, qui contribuent directement à la consommation des terres agricoles ; s'agissant de la taxe nationale, le Conseil d'Etat, dans sa décision du 10 février 2023, a d'ailleurs écarté le grief tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen s'agissant de la taxe prévue à l'article 1605 nonies du code général des impôts ;

- les requérants ne sont pas non plus fondés à invoquer une atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques ; en se référant au seul prix de cession pour déterminer l'assiette des taxes concernées, le législateur a agi conformément aux buts respectifs d'incitation des communes à la construction et de protection des terres agricoles qu'il s'est assignés et a mis en place des critères objectifs et rationnels en relation avec les objectifs ainsi poursuivis ; de plus, le Conseil constitutionnel n'exerce qu'un contrôle restreint des modalités retenues par le législateur pour atteindre l'objectif qu'il s'est fixé ; en l'espèce, les modalités retenues par le législateur ne sont pas manifestement inappropriées et le caractère confiscatoire des taxes n'est ni allégué ni a fortiori établi ; si le défaut de prise en compte des frais d'aménagement peut s'avérer défavorable au lotisseur, l'impact financier de ce désavantage doit être relativisé au regard du champ d'application limité et du montant relativement faible du taux des taxes ; le grief tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne peut donc pas être retenu, ainsi qu'en a jugé le Conseil d'Etat dans sa décision précitée s'agissant de la taxe prévue à l'article 1605 nonies du code général des impôts.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. En application de l'article LO 771-1 du code de justice administrative : " La transmission par une juridiction administrative d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ". Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. M. et Mme B ont cédé, entre les années 2018 et 2020, des parcelles de terrains situées à Pompignac et ont acquitté, à ce titre et pour un montant de 514 079 euros, les taxes sur la cession des terrains nus rendus constructibles prévues aux articles 1529 et 1605 nonies du code général des impôts. Estimant que ces terrains étaient constructibles depuis plus de 18 ans, et que ces cessions étaient exonérées de ces taxes, ils en ont sollicité la restitution. L'administration fiscale a prononcé le dégrèvement de la somme de 514 079 euros par plusieurs décisions intervenues entre le 25 janvier 2021 et le 3 mars 2021. Toutefois, par courrier du 8 juillet 2021, l'administration a informé M. et Mme B qu'après nouvel examen des documents d'urbanisme de la commune de Pompignac, elle estimait que les conditions d'exonération dont ils s'étaient prévalu n'étaient pas remplies et qu'elle persistait dans sa volonté de les assujettir à cette taxe. M. et Mme B ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge de la somme de 514 079 euros qui leur a de nouveau été réclamée et qui a été mise en recouvrement le 19 août 2021. Ils font appel du jugement du 11 janvier 2024 par lequel le tribunal a refusé de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité des articles 1529 III, 1605 nonies II et 150 VA III du code général des impôts et de l'article 41 duovicies H de l'annexe 3 au même code et rejeté leur demande. Par un mémoire distinct produit en appel, ils contestent le refus des premiers juges de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité.

3. Aux termes de l'article 1529 du code général des impôts issu de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement : " I. - Les communes peuvent, sur délibération du conseil municipal, instituer une taxe forfaitaire sur la cession à titre onéreux de terrains nus qui ont été rendus constructibles du fait de leur classement par un plan local d'urbanisme ou par un document d'urbanisme en tenant lieu dans une zone urbaine ou dans une zone à urbaniser ouverte à l'urbanisation ou par une carte communale dans une zone constructible. () II. - La taxe s'applique aux cessions réalisées par les personnes physiques et les sociétés et groupements, soumis à l'impôt sur le revenu afférent à la plus-value dans les conditions prévues à l'article 150 U, et par les contribuables qui ne sont pas fiscalement domiciliés en France assujettis à l'impôt sur le revenu, soumis au prélèvement, dans les conditions prévues à l'article 244 bis A. Elle ne s'applique pas : a. aux cessions mentionnées aux 3° à 8° du II de l'article 150 U ; b. aux cessions portant sur des terrains qui sont classés en terrains constructibles depuis plus de dix-huit ans ; c. lorsque le prix de cession du terrain, défini à l'article 150 VA, est inférieur au prix d'acquisition, effectivement acquitté par le cédant et tel qu'il a été stipulé dans l'acte de cession, majoré d'un montant égal à 200 % de ce prix. III. - La taxe est assise sur un montant égal au prix de cession du terrain défini à l'article 150 VA diminué du prix d'acquisition stipulé dans les actes, actualisé en fonction du dernier indice des prix à la consommation hors tabac publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques. En l'absence d'éléments de référence, la taxe est assise sur les deux tiers du prix de cession défini au même article. La taxe est égale à 10 % de ce montant. Elle est exigible lors de la première cession à titre onéreux du terrain intervenue après son classement en terrain constructible. Elle est due par le cédant. () ".

4. Selon l'article 1605 nonies du même code issu de la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche : " I. - Il est perçu une taxe sur la cession à titre onéreux des terrains nus ou des droits relatifs à des terrains nus rendus constructibles du fait de leur classement, postérieurement au 13 janvier 2010, par un plan local d'urbanisme ou par un autre document d'urbanisme en tenant lieu, en zone urbaine ou à urbaniser ouverte à l'urbanisation ou par une carte communale dans une zone où les constructions sont autorisées ou par application de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme. Le produit de cette taxe est affecté, dans la limite du plafond prévu au I de l'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, à un fonds inscrit au budget de l'Agence de services et de paiement. Ce fonds finance des mesures en faveur de l'installation et de la transmission en agriculture. Il permet de soutenir notamment des actions facilitant la transmission et l'accès au foncier, des actions d'animation, de communication et d'accompagnement, des projets innovants et des investissements collectifs ou individuels. Celles de ces mesures qui sont dans le champ de compétences de l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer mentionné à l'article L. 621-1 du code rural et de la pêche maritime sont mises en œuvre par cet établissement dans le cadre d'une convention avec l'Agence de services et de paiement. II. - La taxe est assise sur un montant égal au prix de cession défini à l'article 150 VA, diminué du prix d'acquisition stipulé dans les actes ou, à défaut, de la valeur vénale réelle à la date d'entrée dans le patrimoine du cédant d'après une déclaration détaillée et estimative des parties, actualisé en fonction du dernier indice des prix à la consommation hors tabac publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques. L'assiette de la taxe est réduite d'un dixième par année écoulée à compter de la date à laquelle le terrain a été rendu constructible au-delà de la huitième année. III. - La taxe ne s'applique pas : 1° Aux cessions de terrains pour lesquels une déclaration d'utilité publique a été prononcée en vue d'une expropriation, ni aux terrains dont le prix de cession défini à l'article 150 VA est inférieur à 15 000 € ; 2° Lorsque le rapport entre le prix de cession et le prix d'acquisition ou la valeur vénale, définis au II, est inférieur à 10. IV. - Le taux de la taxe est de 5 % lorsque le rapport entre le prix de cession du terrain et le prix d'acquisition ou la valeur vénale définis au II est supérieur à 10 et inférieur à 30. Au-delà de cette limite, la part de la plus-value restant à taxer est soumise à un taux de 10 %. La taxe est exigible lors de la première cession à titre onéreux intervenue après que le terrain a été rendu constructible. Elle est due par le cédant. () ".

5. Enfin, aux termes de l'article 150 VA de ce code : " () III. - Le prix de cession est réduit, sur justificatifs, du montant de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée et des frais, définis par décret, supportés par le vendeur à l'occasion de cette cession. ". L'article 41 duovicies H du code général des impôts précise que : " Pour l'application du III de l'article 150 VA du code général des impôts, les frais supportés par le vendeur à l'occasion de la cession ne peuvent être admis en diminution du prix de cession que si leur montant est justifié. Ils s'entendent exclusivement : 1° Des frais versés à un intermédiaire ou à un mandataire ; 2° Des frais liés aux certifications et diagnostics rendus obligatoires par la législation en vigueur au jour de la cession ; 3° Des indemnités d'éviction versées au preneur par le propriétaire qui vend le bien loué libre d'occupation ; 4° Des honoraires versés à un architecte à raison de travaux permettant d'obtenir un accord préalable à un permis de construire ; 5° Des frais exposés par le vendeur d'un immeuble en vue d'obtenir d'un créancier la mainlevée de l'hypothèque grevant cet immeuble. ".

6. Les dispositions législatives précitées n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et sont applicables au litige.

7. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.

8. Ainsi que l'a jugé le tribunal, en prévoyant la prise en compte, pour la définition du champ d'application des taxes et celle de leur assiette, d'une part, du prix de cession du terrain, d'autre part, de son prix d'acquisition ou d'une valeur par défaut sans distinguer le cas dans lequel le cédant a exposé des frais d'aménagement et de viabilisation avant la cession du terrain, les dispositions contestées traitent de la même manière tous les contribuables. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doit être écarté.

9. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.

10. S'agissant de la taxe prévue à l'article 1529 du code général des impôts, en prévoyant qu'elle ne s'applique pas à certaines opérations et notamment aux biens dont le prix de cession est inférieur ou égal à 15 000 euros, aux terrains qui sont classés en terrains constructibles depuis plus de dix-huit ans et à ceux dont le prix de cession est inférieur à trois fois le prix d'acquisition, et en fixant le taux de cette taxe à 10 % du prix de cession diminué du prix d'acquisition actualisé ou, à défaut, d'un montant égal aux deux tiers du prix de cession, le législateur a adopté des modalités d'imposition qui ne revêtent pas un caractère confiscatoire ni ne font peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives quand bien même les frais d'aménagement et de viabilisation exposés avant la cession du terrain ne sont pas pris en compte pour la détermination du prix d'acquisition. Il en va de même, s'agissant de la taxe instituée par l'article 1605 nonies du code général des impôts, le législateur ayant prévu que la taxe sur la cession des terrains nus rendus constructibles n'est applicable que si le rapport entre prix de cession et prix d'acquisition ou la valeur vénale est supérieur à 10, que l'assiette est diminuée d'un abattement de 10 % par année de détention au-delà de la huitième année suivant la date à laquelle le terrain a été rendu constructible et que le taux de la taxe n'excède pas 5 % lorsque le rapport entre le prix de cession du terrain et le prix d'acquisition ou la valeur vénale est supérieur à 10 et inférieur à 30, et 10 % au-delà de cette limite pour la part d'assiette restant à taxer,

11. En outre, en créant la taxe prévue à l'article 1529 du code général des impôts, le législateur a entendu soutenir la construction de logements dans les communes, ainsi que l'indique l'intitulé du chapitre VI de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, dans lequel figure l'article 26 dont est issu l'article 1529. En incluant dans le champ de la taxe les cessions de terrains devenus constructibles à l'exclusion notamment de ceux faisant l'objet d'une déclaration d'utilité publique en vue d'une expropriation et de ceux cédés à un organisme en charge du logement social ou à un autre cessionnaire qui s'engage à réaliser et à achever des logements sociaux et en définissant l'assiette de la taxe sans exclure les frais de travaux d'aménagement et de viabilisation du terrain, le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels, en vue de permettre aux communes ou à leurs groupements de favoriser la libération de terrains en vue de la réalisation de logements sociaux ou de bénéficier de ressources financières leur permettant de soutenir la construction de logements. Il ressort par ailleurs des travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de l'article 55 de la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche, dont les dispositions de l'article 1605 nonies du code général des impôts sont issues, que le législateur a entendu lutter contre la disparition des terres agricoles, en freinant notamment leur transformation en terrains à bâtir à des fins spéculatives. En définissant le champ d'application de la taxe, dont le produit est affecté à un fonds destiné à financer des mesures en faveur de l'installation et de la transmission en agriculture, et son assiette sans prendre en compte certains frais engagés, le cas échéant, par le vendeur, notamment ceux résultant des travaux d'aménagement et de viabilisation du terrain, lesquels ont pour effet de rendre celui-ci impropre à tout usage agricole, le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l'objectif poursuivi.

12. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. et Mme B est dépourvue de caractère sérieux. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a refusé de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Les conclusions de M. et Mme B dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par eux, sont rejetées.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A et Mme C B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Une copie en sera adressée à la direction du contrôle fiscal du Sud-Ouest.

Fait à Bordeaux, le 11 avril 2024.

La présidente,

Elisabeth Jayat

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2 QPC

Code publication

C