Tribunal administratif de Martinique

Ordonnance du 9 avril 2024 n° 2300717

09/04/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance du 27 novembre 2023, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a, en application de l'article R. 77-12-2 du code de justice administrative, attribué au tribunal administratif de la Martinique le jugement de la requête présentée par l'Association de défense des investisseurs en Nov'Accès (ADIN).

Par une requête, enregistrée le 8 septembre 2023 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat et enregistrée au greffe du tribunal administratif de la Martinique le 28 novembre 2023, et un mémoire en réplique, enregistré le 27 février 2024, au greffe du tribunal administratif de la Martinique, l'Association de défense des investisseurs en Nov'Accès (ADIN), représentée par Me Austry et Me Merchadier, demande au tribunal administratif de la Martinique :

1°) d'annuler la décision du 8 septembre 2023 par laquelle la direction générale des finances publiques a rejeté sa réclamation préalable tendant à la décharge des impositions au titre de l'année 2015 ;

2°) de reconnaître le droit à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes au titre de l'année 2015 à raison de la remise en cause du bénéfice de la réduction d'impôt sur le revenu prévue à l'article 199 undecies C du Code général des impôts en faveur de l'acquisition ou de la construction de logements neufs destinés au logement social ainsi qu'aux logements achevés depuis plus de vingt ans faisant l'objet de travaux de réhabilitation en outre-mer dans le cadre du programme Nov'Accès ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Par deux mémoires distincts, enregistrés les 27 février et 21 mars 2024, l'Association de défense des investisseurs en Nov'Accès (ADIN), représentée par Me Austry et Me Merchadier, demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la disposition du 9° du I de l'article 199 undecies C du code général des impôts, issue de l'article 21 de la loi n°2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, qui, en ce qu'elle prévoit que les contribuables peuvent bénéficier de la réduction d'impôt sur les logements acquis dans le cadre de ce dispositif sont financés par subvention publique à hauteur d'une fraction minimale de 5%, porte atteinte aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Elle soutient que :

- la disposition du 9° du I de l'article 199 undecies C du code général des impôts est applicable au litige dès lors que l'administration s'est fondée sur ces dispositions pour réclamer aux investisseurs les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2015 dans le cadre du programme Nov'Accès ;

- le 9° du I de l'article 199 undecies C du code général des impôts n'a jamais été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

- la question n'a pas le même objet que celle ayant donné lieu à l'ordonnance n° 2000373 du Tribunal en date du 1er avril 2021 qui portait sur les mêmes dispositions du code général des impôts contestées au regard de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans la mesure où elle concerne les mêmes dispositions du code général des impôts contestées au regard des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la question présente un caractère sérieux dans la mesure où si le Tribunal a déjà refusé par une ordonnance n° 2200527 du 9 février 2023 de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité, la présente demande comporte de nouveaux moyens d'inconstitutionnalité sur le fondement de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; les dispositions de l'article 21 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ont ajouté une condition supplémentaire exigeant un financement public à hauteur de 5% limitant ainsi le champ d'application de l'avantage fiscal et créant une différence de traitement entres les contribuables investisseurs fondée sur la date de l'investissement, en méconnaissance du principe constitutionnel d'égalité, et sans que cette nouvelle exigence soit en adéquation avec l'objectif du régime de faveur ; de plus, les dispositions du 9° du I de l'article 199 undecies C du code général des impôts sont contraires au principe d'égalité devant les charges publiques dans la mesure où elles ne sont pas en adéquation avec l'objectif initial de la loi cherchant à favoriser les investissements immobiliers en outre-mer dès lors qu'elles excluent les projets qui n'ont pas bénéficié de subvention publique.

Par un mémoire en défense distinct, enregistré le 12 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité.

Il fait valoir que la question prioritaire de constitutionnalité est partiellement irrecevable du fait de l'autorité de la chose jugée de l'ordonnance n° 2200527 par laquelle le Tribunal a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité identique posée par l'ADIN au Conseil d'Etat et qu'en toute hypothèse, elle ne présente pas de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Entre 2013 et 2018, des contribuables ont souhaité bénéficier de la réduction d'impôt sur le revenu, prévue au VI. de l'article 199 undecies C du code général des impôts, à raison d'investissements réalisées en outre-mer au travers de sociétés civiles immobilières, dans le cadre du programme de réhabilitation de logements anciens dénommé " Nov'accès ", commercialisé par la société SAS NB finances et patrimoine. A partir de 2018, l'administration fiscale a remis en cause les réductions d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2015 dont ont bénéficié les investisseurs du programme Nov'Accès, estimant que les conditions prévues aux dispositions du 7° et 9° du I de l'article 199 undecies C du code général des impôts n'étaient pas réunies. Par une réclamation du 2 mai 2023, l'Association de défense des investisseurs en Nov'Accès (ADIN) a demandé au ministre de l'Economie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, de reconnaître les droits individuels des personnes dont elle défend les intérêts de se voir décharger de la reprise des réductions d'impôt obtenues au titre des investissements en outre-mer. Le 8 septembre 2023, la direction générale des finances publiques a rejeté la réclamation de l'ADIN. Dans le cadre de cette instance, ADIN soulève, par un mémoire distinct, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la disposition du 9° du I. de l'article 199 undecies C du code général des impôts, issue de l'article 21 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé () ". L'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". L'article 23-2 du même texte dispose : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / () 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ". L'article R. 771-7 du code de justice administrative dispose : " Les présidents de tribunal administratif () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

3. Aux termes de l'article 199 undecies C du code général des impôts dispose, dans sa version applicable au litige : " I. - Les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison de l'acquisition ou de la construction de logements neufs dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et dans les îles Wallis et Futuna si les conditions suivantes sont réunies : / 1° Les logements sont donnés en location nue, dans les six mois de leur achèvement ou de leur acquisition si elle est postérieure et pour une durée au moins égale à cinq ans, à un organisme d'habitations à loyer modéré mentionné à l'article L. 411-2 du code de la construction et de l'habitation () / II. - La réduction d'impôt est égale à 50 % d'un montant égal au prix de revient des logements minoré, d'une part, des taxes et des commissions d'acquisition versées et, d'autre part, des subventions publiques reçues. Ce montant est retenu dans la limite mentionnée au 5 de l'article 199 undecies A appréciée par mètre carré de surface habitable et, dans le cas des logements mentionnés au 4° du I, de surface des parties communes dans lesquelles des prestations de services sont proposées. Cette limite est relevée chaque année, à la date et dans les conditions prévues au 5 de l'article 199 undecies A. / () VI. - La réduction d'impôt prévue au présent article est également ouverte au titre de l'acquisition de logements achevés depuis plus de vingt ans faisant l'objet de travaux de réhabilitation définis par décret permettant aux logements d'acquérir des performances techniques voisines de celles des logements neufs. Dans ce cas, la réduction d'impôt est assise sur le prix de revient des logements majoré du coût des travaux de réhabilitation et minoré, d'une part, des taxes et des commissions d'acquisition versées et, d'autre part, des subventions publiques reçues. La limite mentionnée au II est applicable () ". Et aux termes du I., C., 1°, c) de l'article 21 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a inséré un 9° au I. de l'article 199 undecies C, dans sa version applicable au litige : " 9° Les logements sont financés par subvention publique à hauteur d'une fraction minimale de 5 % ".

4. Ainsi qu'il ressort de la décision du Conseil constitutionnel n° 91-296 DC du 29 juillet 1991, il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. L'exercice de ce pouvoir ne doit cependant pas aboutir à priver de garanties légales des principes de valeur constitutionnelle.

5. L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse () ". Ainsi qu'il ressort de la décision du Conseil constitutionnel n° 89-254 DC du 4 juillet 1989, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. " Ainsi qu'il ressort de la décision du conseil Constitutionnel n° 2009-577 DC du 3 mars 1999, en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. En premier lieu, la disposition contestée du I., C., 1°, c) de l'article 21 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 modifie les conditions d'éligibilité ouvrant droit au bénéfice de la réduction d'impôt sur le revenu prévue à l'article 199 undecies C du code général des impôts et institue une condition nouvelle exigeant que les logements objets de l'investissement du contribuable soient financés par subvention publique à hauteur d'une fraction minimale de 5 %. Ainsi qu'il a été dit au point 4., le législateur a la possibilité à tout moment, dans le respect des principes constitutionnels et notamment du principe d'égalité, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci et de leur substituer, le cas échéant, d'autres dispositions. Dans ces conditions, la seule circonstance invoquée, à la supposer même établie, que la disposition contestée modifierait ou remettrait en cause les objectifs poursuivis par la loi initiale ayant institué la réduction d'impôt sur le revenu de l'article 199 undecies C du code général des impôts n'est pas, par elle-même, de nature à caractériser une méconnaissance du principe d'égalité, contrairement à ce que soutient l'Association de défense des investisseurs en Nov'Accès. Il s'ensuit que la question prioritaire de constitutionnalité est dépourvue sur ce point de caractère sérieux.

8. En deuxième lieu, en application du III. de l'article 21 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, la disposition contestée du I., C., 1°, c) du même article de loi s'applique à l'ensemble des investissements réalisés à compter du 1er juillet 2014, à l'exception des investissements listés par le texte qui avaient été engagés antérieurement au 1er juillet 2014 et qui avaient fait l'objet à cette date soit d'une demande d'agrément auprès de l'administration ou soit d'une commande et d'un versement d'acomptes à hauteur de la moitié du prix, pour lesquels les dispositions antérieures restent applicables. Il s'ensuit que le législateur n'a instauré entre les contribuables aucune différence de traitement autre que celle relative à la date de réalisation des investissements ou de l'accomplissement des démarches préalables à ces investissements, cette date conditionnant l'entrée en vigueur de la disposition contestée ou l'application de la loi antérieure. Toutefois, cette différence de traitement, qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n'est pas, en elle-même, contraire au principe d'égalité. Il s'ensuit que la question prioritaire de constitutionnalité est dépourvue sur ce point de caractère sérieux.

9. Il résulte de l'ensemble ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la question posée, qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Association de défense des investisseurs en Nov'Accès (ADIN) qui ne présente pas de caractère sérieux. Les conclusions présentées à ce titre doivent, par suite, être rejetées.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Association de défense des investisseurs en Nov'accès.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association de défense des investisseurs en Nov'Accès (ADIN) et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Fait à Schœlcher, le 9 avril 2024.

Le président,

J-M. Laso

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière