Cour administrative d'appel de Lyon

Ordonnance du 4 avril 2024 n° 23LY02712

04/04/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B A a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2013 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement nos 2001996 - 2100033 - 2108750 du 5 juillet 2023, le tribunal administratif de Grenoble a constaté un non-lieu à statuer partiel à concurrence de 162 001 euros (article 1er) et rejeté le surplus de ses demandes (article 2).

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 août 2023 et le 22 janvier 2024, Mme B A, représentée par Me Tournoud, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités demeurant à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens.

Par un mémoire distinct présenté en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58 1067 du 7 novembre 1958, enregistré le 5 février 2024, et un mémoire complémentaire enregistré le 12 mars 2024, Mme A demande à la cour, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 123 bis du code général des impôts.

Elle soutient que sont satisfaites les conditions requises pour transmettre la question de la conformité de ces dispositions, qui sont applicables au litige, au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 34 de la Constitution, au droit de propriété protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au principe d'annualité de l'impôt qui procède des principes du consentement à l'impôt et de l'annualité budgétaire et au principe de sécurité juridique garanti par la Constitution et son Préambule et que la question, bien que portant sur des dispositions déjà déclarées conformes par le Conseil constitutionnel, présente un caractère nouveau en ce que les sociétés de droit luxembourgeois sont assimilables aux sociétés de personnes visées au 4° de l'article 8 du code général des impôts en raison de l'interprétation qui en a été faite par le jugement attaqué, qui constitue une modification des circonstances de nature à justifier un nouvel examen de cet article par le Conseil constitutionnel.

Par un mémoire en observations, enregistré le 7 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que les conditions requises pour transmettre la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés invoqués ne sont pas satisfaites dès lors que le 4° de l'article 8 du code général des impôts n'est pas applicable au litige, qu'aucun grief d'inconstitutionnalité n'est invoqué s'agissant de ces dispositions, que la SARLU Addyx n'est pas assimilable à une société de personnes, que le 3 de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa version issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, a déjà été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-614 QPC du 1er mars 2017, sous la réserve que le contribuable soit autorisé à apporter la preuve que le revenu réellement perçu par l'intermédiaire de l'entité juridique établie dans un pays à fiscalité privilégiée est inférieur au revenu défini forfaitairement, et que la question ne présente pas un caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ainsi que son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 : " 1. Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette entité juridique sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. / Pour l'application du premier alinéa, le caractère privilégié d'un régime fiscal est déterminé conformément aux dispositions de l'article 238 A par comparaison avec le régime fiscal applicable à une société ou collectivité mentionnée au 1 de l'article 206. / 2. Les actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus indirectement par la personne physique mentionnée au 1, s'entendent des actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus par l'intermédiaire d'une chaîne d'actions, de parts, de droits financiers ou de droits de vote ; l'appréciation du pourcentage des actions, parts, droits financiers ou droits de vote ainsi détenus s'opère en multipliant entre eux les taux de détention desdites actions ou parts, des droits financiers ou des droits de vote successifs. / La détention indirecte s'entend également des actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus directement ou indirectement par le conjoint de la personne physique, ou leurs ascendants ou descendants. Toutefois, ces actions, parts, droits financiers ou droits de vote ne sont pas pris en compte pour le calcul du revenu de capitaux mobiliers de la personne physique mentionné au 1. / 3. Les bénéfices ou les revenus positifs mentionnés au 1 sont réputés acquis le premier jour du mois qui suit la clôture de l'exercice de l'entité juridique établie ou constituée hors de France ou, en l'absence d'exercice clos au cours d'une année, le 31 décembre. Ils sont déterminés selon les règles fixées par le présent code comme si l'entité juridique était imposable à l'impôt sur les sociétés en France. L'impôt acquitté localement sur les bénéfices ou revenus positifs en cause par l'entité juridique est déductible du revenu réputé constituer un revenu de capitaux mobiliers de la personne physique, dans la proportion mentionnée au 1, à condition d'être comparable à l'impôt sur les sociétés. (). / 4 bis. Le 1 n'est pas applicable, lorsque l'entité juridique est établie ou constituée dans un Etat de la Communauté européenne, si l'exploitation de l'entreprise ou la détention des actions, parts, droits financiers ou droits de vote de cette entité juridique par la personne domiciliée en France ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française. 4 ter. La condition de détention de 10 % prévue au 1 est présumée satisfaite lorsque la personne physique a transféré des biens ou droits à une entité juridique située dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A. ". Par une décision n° 2016-614 QPC du 1er mars 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots " lorsque l'entité juridique est établie ou constituée dans un État de la Communauté européenne, " figurant au 4 bis de l'article 123 bis du code général des impôts à compter de la date de publication de sa décision.

3. Par une décision n° 2017-659 QPC du 6 octobre 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le premier alinéa du 1 de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999, sous la réserve, énoncée au paragraphe 7 de sa décision, que ces dispositions ne fassent pas obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à prouver, afin d'être exempté de l'application de l'article 123 bis, que la participation qu'il détient dans l'entité établie ou constituée hors de France n'a ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude ou d'évasion fiscale, la localisation de revenus à l'étranger.

4. Mme A, qui, en 2013, était mariée et soumise à une imposition commune, fait valoir que la SARLU Addyx et la SARLU DP4, sociétés de droit luxembourgeois auxquelles elle et son ancien conjoint, alors fiscalement domiciliés en France, ont apporté, en 2012, les parts de la société Sytex finance, ayant son siège à Saint-Ismier (Isère) qu'ils détenaient en totalité, en contrepartie de l'attribution de la totalité des parts de ces deux sociétés, sont, eu égard à leurs caractéristiques et au droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, assimilables aux sociétés de personnes en droit français et ne relèvent pas du régime des sociétés de capitaux en droit luxembourgeois. Elle en déduit que l'imposition sur le fondement de l'article 123 bis du code général des impôts des bénéfices réalisés par les sociétés établies au Luxembourg au titre de l'exercice 2012 et réputés appréhendés au 1er janvier 2013 en tant que revenu des capitaux mobiliers pourrait conduire à une double imposition et donc à un montant cumulé d'impositions supérieur au revenu susceptible d'être imposé compte tenu du 4° de l'article 8 du code général des impôts selon lequel " l'associé unique, personne physique, d'une société à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, est personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société ", qui, selon elle, autoriserait l'imposition des résultats des sociétés luxembourgeoises au nom des associés au titre de l'année 2012.

5. Toutefois, à supposer même que le jugement attaqué puisse être lu comme interprétant l'article 123 bis précité en ce sens qu'il n'exclurait pas le cumul d'impositions d'un même revenu, il ne constitue pas, eu égard à sa portée, une circonstance nouvelle de nature à justifier que la conformité des dispositions du 1 de l'article 123 bis du code général des impôts à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel. Il ne constitue pas non plus, en tout état de cause, une interprétation jurisprudentielle constante dont la requérante pourrait se prévaloir pour contester la constitutionnalité de la portée effective de ces dispositions. Au demeurant, les dispositions du 4° de l'article 8 du code général des impôts, qui n'ont pas été mises en œuvre par l'administration pour établir l'impôt sur le revenu en cause dans la présente instance, ne sont pas applicables au litige.

6. Il suit de là que la condition tenant à ce que la disposition contestée n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution n'est pas satisfaite. Ainsi, et sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité, le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 123 bis du code général des impôts.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Fait à Lyon, le 4 avril 2024.

Le président de la 2ème chambre,

Dominique Pruvost

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2 QPC

Code publication

D