Tribunal administratif d'Orléans

Ordonnance du 4 avril 2024 n° 2102820

04/04/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire enregistré le 29 janvier 2024, la SAS Solodis demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à la décharge des cotisations supplémentaires de taxe sur les surfaces commerciales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2015 à 2017 ainsi qu'à la réduction des cotisations primitives de cette même taxe qu'elle a acquittées au titre des mêmes années, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés.

La SAS Solodis soutient que :

- l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972, notamment en ce qu'il prévoit que les dispositions prévues à l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale sont applicables pour la détermination du chiffre d'affaires pris en compte pour la taxe sur les surfaces commerciales, est applicable au présent litige ;

- le Conseil constitutionnel a eu uniquement à connaître de l'alinéa de cet article relatif à la majoration de 50 % du montant de la taxe sur les surfaces commerciales avant modulation pour les établissements dont la surface de vente excède 2 500 mètres carrés, de l'alinéa relatif au seuil d'assujettissement à la taxe dans le cas des ensembles intégrés d'établissements, ainsi que des dispositions ayant pour objet d'élargir l'assiette de la taxe aux surfaces consacrées à la vente au détail de carburants et d'augmenter les taux lorsque l'établissement assujetti a une activité de vente au détail de carburants ;

- la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution est une question nouvelle et a un caractère sérieux : ces dispositions, en raison de la méconnaissance par le législateur, qui n'a pas pleinement exercé sa compétence, des principes de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, sont interprétées par les juridictions administratives en ce sens que le chiffre d'affaires issu des ventes de fioul domestique doit être pris en compte pour déterminer le taux de la taxe ; en s'abstenant d'instituer un mécanisme permettant de limiter le taux de la taxe sur les surfaces commerciales en cas de vente de fioul domestique réalisée sans surface de vente, le législateur n'a pas respecté les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; la différence de traitement ainsi créée a pour effet de modifier l'objet même de la loi en instituant une taxe sur le chiffre d'affaires déguisée, contraire au droit communautaire.

Par un mémoire enregistré le 8 février 2024, le directeur de la direction spécialisée de contrôle fiscal Centre-Ouest demande au tribunal de ne pas transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS Solodis.

Il fait valoir que :

- les dispositions contestées sont applicables au litige et le Conseil constitutionnel n'a pas été amené à se prononcer sur leur constitutionnalité ;

- toutefois, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée est dépourvue de sérieux : le grief tiré de l'incompétence négative du législateur manque en fait ; la méconnaissance du principe de clarté et d'intelligibilité de la loi ne peut pas être invoquée isolément à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité ; la détermination du taux de la taxe sur les surfaces commerciales par la loi n'est pas contraire aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, dès lors que deux entreprises exploitant chacune un hypermarché ayant la même surface taxable mais dont l'une exerce en complément une activité de vente de fioul domestique stocké au sein de son établissement pour être ensuite livré au domicile des clients ne se trouvent objectivement pas dans la même situation ; admettre l'analyse de la requérante méconnaîtrait l'objectif du législateur qui était de mettre en place un système de taxation progressif en fonction du chiffre d'affaires réalisé par chaque établissement, afin de garantir un développement équilibré du commerce de détail en tenant compte de la rentabilité de l'établissement pris dans son ensemble et des capacités contributives des exploitants.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ". Enfin aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. Aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certains commerçants et 'artisans âgés : " Il est institué une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse 400 mètres carrés, des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite () / La surface de vente des magasins de commerce de détail, prise en compte pour le calcul de la taxe, et celle visée à l'article L. 720-5 du code de commerce, s'entendent des espaces affectés à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, de ceux affectés à l'exposition des marchandises proposées à la vente, à leur paiement, et de ceux affectés à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente. / La surface de vente des magasins de commerce de détail prise en compte pour le calcul de la taxe ne comprend que la partie close et couverte de ces magasins () / Pour les établissements dont le chiffre d'affaires au mètre carré est inférieur à 3 000 €, le taux de cette taxe est de 5,74 € au mètre carré de surface définie au troisième alinéa. Pour les établissements dont le chiffre d'affaires au mètre carré est supérieur à 12 000 €, le taux est fixé à 34,12 € () / Lorsque le chiffre d'affaires au mètre carré est compris entre 3 000 et 12 000 €, le taux de la taxe est déterminé par la formule suivante : 5,74 € + [0,00315 × (CA / S-3 000)] €, dans laquelle CA désigne le chiffre d'affaires annuel hors taxe de l'établissement assujetti, exprimé en euros, et S désigne la surface des locaux imposables, exprimée en mètres carrés () / Les dispositions prévues à l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale sont applicables pour la détermination du chiffre d'affaires imposable () ".

3. Il résulte des dispositions citées au point 2 que le chiffre d'affaires à prendre en compte pour déterminer le taux de la taxe sur les surfaces commerciales dont est redevable, à raison de ses surfaces de vente, un établissement exerçant une activité de vente au détail est celui correspondant à l'ensemble des ventes au détail en l'état que cet établissement réalise annuellement, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que ces ventes sont ou non réalisées dans des locaux dont la surface est prise en compte dans l'assiette de la taxe. Sont notamment incluses dans ce chiffre d'affaires les ventes de fioul domestique réalisées par l'établissement, alors même que la surface de stockage du fioul est exclue de la surface taxable et que, d'une part, la livraison est faite au domicile de l'acheteur, d'autre part, les commandes seraient prises par téléphone.

4. En premier lieu, les dispositions de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 fixent avec une clarté et une précision suffisante les règles concernant l'assiette et le taux de la taxe sur les surfaces commerciales, notamment en ce qui concerne le chiffre d'affaires à prendre en compte pour déterminer le taux applicable. Par suite, les griefs tirés de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa propre compétence ainsi que le principe de clarté de la loi et l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité ne présentent pas, en tout état de cause, un caractère sérieux.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse () ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet d'un traitement différent, sous réserve que le législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

6. Si, en raison des seuils fixés par les dispositions critiquées, deux sociétés qui exploitent une même surface de vente et réalisent le même chiffre d'affaires dans les locaux pris en compte dans l'assiette de la taxe, mais dont l'une réalise en outre des ventes de fioul domestique hors de ces locaux et accroît par suite son chiffre d'affaires, pourront se voir appliquer des taux différents, ces deux sociétés se trouvent toutefois dans une situation différente au regard de l'objet de la loi du 13 juillet 1972, qui est de favoriser un développement équilibré du commerce. Le législateur, en fixant les modalités de détermination du taux de la taxe, a ainsi fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels. Par ailleurs, le taux de la taxe variant en fonction croissante du chiffre d'affaires par mètre carré de surface commerciale, le législateur, même en incluant dans le chiffre d'affaires retenu pour déterminer le taux de la taxe les ventes réalisées hors des locaux dont la surface est prise en compte dans l'assiette de cette taxe - et notamment les ventes de fioul domestique -, a établi la taxe dans le respect des capacités contributives des établissements concernés, sans entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Par suite, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques ne présentent pas un caractère sérieux.

7. En troisième lieu, si la SAS Solodis invoque la méconnaissance par le législateur des règles du droit de l'Union européenne relatives à la taxe sur la valeur ajoutée, de telles règles ne sont pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution et ne peuvent, dès lors, être utilement invoquées à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

8. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS Solodis est dépourvue de caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS Solodis.

metArticle 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Solodis et au directeur de la direction spécialisée de contrôle fiscal Centre-Ouest.

Fait à Orléans, le 4 avril 2024.

Le président,

Frédéric DORLENCOURT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.