Tribunal administratif de Toulon

Jugement du 4 avril 2024 n° 2200878

04/04/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, respectivement enregistrés le 15 février 2022, et le

2 juin 2022, M. A B, doit être regardé comme demandant au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 14 décembre 2021 par laquelle le directeur de l'agence régionale de santé de Provence-Alpes-Côte-D'azur lui a notifié une interdiction d'exercer sa profession pour non-respect de l'obligation vaccinale à la covid-19 ;

2°) de condamner l'Etat à l'indemniser en réparation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux qu'il estime avoir subis résultant de l'interdiction d'exercer dont il a fait l'objet.

Il soutient que :

- il s'agit d'une sanction disciplinaire qui n'a pas été précédée d'un avis du conseil de discipline et qui a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire ; la décision méconnaît les dispositions de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les dispositions de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il est matériellement impossible de se vacciner ; les produits utilisés contre la COVID-19 ne sont pas des vaccins mais des substances géniques injectables qui ne peuvent être utilisés que dans le cadre d'essais cliniques ; ces produits génèrent une grande quantité d'effets indésirables ;

- l'obligation vaccinale n'était pas en vigueur à la date de la décision litigieuse ; le décret d'application instaurant l'obligation vaccinale n'étant pas intervenu en l'absence de l'avis de la haute autorité de santé postérieur à la loi du 5 août 2021 sur la question ; tous les détails mentionnés à l'article 12 de la loi du 5 août 2021 ne sont pas précisés par le décret du 7 août 2021 ;

Par un mémoire en défense enregistré le 13 mai 2022, le directeur de l'agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte-D'azur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est tardive ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 2 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée

au 5 février 2024, à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021, modifié par le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Karbal, rapporteur,

- et les conclusions de M. Kiecken, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B est neurochirurgien libéral et exerçait son activité, à la date de la décision attaquée, à Toulon. Suite au contrôle diligenté par l'agence régionale de santé de Provence-Alpes-Côte-D'azur, il a été informé, par courrier du 14 décembre 2021, de l'interdiction d'exercer son activité compte-tenu de la méconnaissance de l'obligation vaccinale prévue par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de crise sanitaire.

Sur le cadre du litige :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : () 2° Les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique, lorsqu'ils ne relèvent pas du 1° du présent I ; () ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. () / II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont salariées ou agents publics. / Pour les autres personnes concernées, les agences régionales de santé compétentes accèdent aux données relatives au statut vaccinal de ces mêmes personnes, avec le concours des organismes locaux d'assurance maladie. () / IV. - Les employeurs et les agences régionales de santé peuvent conserver les résultats des vérifications de satisfaction à l'obligation vaccinale contre la covid-19 opérées en application du deuxième alinéa du II, jusqu'à la fin de l'obligation vaccinale. Les employeurs et les agences régionales de santé s'assurent de la conservation sécurisée de ces documents et, à la fin de l'obligation vaccinale, de la bonne destruction de ces derniers. V. - Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité. Les agences régionales de santé compétentes sont chargées de contrôler le respect de cette même obligation par les autres personnes concernées () ". Et aux termes de l'article 14 de cette loi : " () / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / () / IV. - Les agences régionales de santé vérifient que les personnes mentionnées aux 2° et 3° du I de l'article 12 qui ne leur ont pas adressé les documents mentionnés au I de l'article 13 ne méconnaissent pas l'interdiction d'exercer leur activité prévue au I du présent article. V. - Lorsque l'employeur ou l'agence régionale de santé constate qu'un professionnel de santé ne peut plus exercer son activité en application du présent article depuis plus de trente jours, il en informe, le cas échéant, le conseil national de l'ordre dont il relève ".

3. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a institué une obligation de vaccination contre la covid-19 pour les professionnels de santé, y compris s'ils exercent en libéral. Le I de l'article 13 de la même loi prévoit que ces personnes sont tenues de justifier d'un certificat de statut vaccinal, d'un certificat de rétablissement valide ou d'un certificat médical de contre-indication. En vertu du B du I de l'article 14, à compter du 15 septembre 2021, elles ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises. Enfin, en vertu du IV de l'article 14, les agences régionales de santé vérifient que ces personnes ne méconnaissent pas l'interdiction d'exercer leur activité.

4. Dans sa décision n° 2015-458 QPC du 25 mars 2015, le Conseil constitutionnel a précisé qu'il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective au regard de l'objectif de protection de la santé et de son utilité eu égard à la gravité et la contagiosité des maladies contre lesquelles l'État entend lutter. Le droit à la protection de la santé garantie par le Préambule de la Constitution de 1946 n'impose pas de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé. En adoptant, pour l'ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, à l'exception de celles y effectuant une tâche ponctuelle, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, compléter les mesures de lutte contre la propagation de l'épidémie d'une obligation vaccinale pour les personnes exerçant leur activité dans certains secteurs du domaine médical, en qualité d'agent public ou privé, et dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé, garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des personnes qui y étaient hospitalisés. Il en résulte que l'obligation vaccinale prévue par les dispositions législatives précitées s'impose à toute personne travaillant régulièrement au sein de locaux relevant d'un établissement de santé mentionné à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, quel que soit l'emplacement des locaux en question et que cette personne ait ou non des activités de soins et soit ou non en contact avec des personnes malades ou des professionnels de santé et que faute de satisfaire à cette obligation, et sous les seules réserves d'une contre-indication médicale ou d'un certificat de rétablissement, la loi prévoit que les agents sont interdits par leur employeur d'exercer leur emploi et voient leur contrat de travail suspendu jusqu'à ce qu'ils remplissent les conditions nécessaires, soit, qu'ils soient à jour de leur schéma vaccinal. Cette suspension s'accompagne de l'arrêt du versement de la rémunération. En outre, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 août 2021 à propos du passe sanitaire, a rappelé que le législateur poursuit, en imposant la vaccination du personnel des établissements médicaux, l'objectif de valeur constitutionnel de protection de la santé. Plus précisément, selon les travaux parlementaires, l'obligation posée tend à éviter la propagation du virus par les personnes qui se trouveraient au contact de personnes vulnérables ainsi qu'à protéger les professionnels de santé eux-mêmes, en limitant leur risque d'exposition au virus, soit, à limiter la pression sur les structures de soins.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le vice de procédure :

5. En premier lieu, le requérant soutient que la décision attaquée a le caractère d'une sanction et qu'il n'a pu bénéficier d'une procédure contradictoire avant l'édiction de la décision. Cependant, la mesure de suspension mise en œuvre par l'agence régionale de santé lorsqu'elle constate que le professionnel de santé ne peut plus exercer son activité en application du I de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 s'analyse comme une mesure individuelle prise dans l'intérêt de la santé publique destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire, et n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautif commis par ce professionnel. Dès lors, une telle décision, qui se borne à constater que le professionnel de santé concerné ne remplit pas les conditions légales pour exercer son activité, ne présente pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'a pas à être précédée de la mise en œuvre des garanties procédurales attachées au prononcé d'une sanction administrative tenant à la mise en œuvre des droits de la défense. Ainsi, le moyen tiré par le requérant du vice de procédure ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'absence d'entrée en vigueur de l'obligation vaccinale :

6. Le requérant soutient qu'à la date de la décision attaquée, la Haute Autorité de santé n'avait rendu aucun avis préalablement à la parution du décret du 7 août 2021, empêchant l'entrée en vigueur de ce dernier et de l'obligation vaccinale pesant sur le personnel médical.

7. Le principe de l'obligation vaccinale ne résulte pas du décret en cause, mais uniquement de la loi du 5 août 2021, dont l'article 12 rappelé ci-dessus a institué une obligation de vaccination contre la Covid-19 pour les professionnels au contact direct des personnes les plus vulnérables dans l'exercice de leur activité professionnelle ainsi qu'à celles qui travaillent au sein des mêmes locaux, obligation qui s'impose, en particulier, aux professionnels médicaux et paramédicaux exerçant en établissement ou en libéral. Au surplus, il ressort des visas du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire qu'il a été pris suite à deux avis de la Haute Autorité de santé, l'un du 4 août 2021 relatif aux contre-indications à la vaccination contre la COVID-19 et du 6 août 2021 relatif à l'intégration des autotests de détection antigénique supervisés parmi les preuves justifiant l'absence de contamination par le virus SARS-CoV-2 dans le cadre du passe sanitaire et à l'extension de la durée de validité des résultats négatifs d'un examen de dépistage virologique. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'obligation vaccinale n'était pas en vigueur à la date de la décision litigieuse, à défaut d'avis de la Haute Autorité de santé préalablement à la parution du décret du 7 août 2021, manque en fait et doit être écarté.

En ce qui concerne la mise en œuvre de médicaments expérimentaux utilisés dans le cadre d'un essai clinique :

8. En premier lieu, le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

9. Le requérant soutient que les seuls vaccins permettant d'obtenir le schéma vaccinal mentionné par la loi du 5 août 2021 se trouvaient en phase d'essai clinique au 15 septembre 2021, date à laquelle la présentation dudit schéma vaccinal devenait obligatoire pour les professionnels de santé, et que ces vaccins produisent des effets indésirables.

10. Il ressort des pièces du dossier que les vaccins contre la covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché conditionnel de l'Agence européenne du médicament, qui procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées. Contrairement à ce que soutient le requérant, ils ne sauraient dès lors être regardés comme des médicaments expérimentaux au sens de l'article L. 5121-1-1 du code de la santé publique ou présentant un risque pour la santé. Est par suite inopérant le moyen tiré de ce qu'en imposant une vaccination par des médicaments expérimentaux, la loi du 5 août 2021 porterait atteinte au droit à l'intégrité physique, à la dignité de la personne humaine, au droit à la sécurité et à la vie et au droit de disposer de son corps garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au droit du patient à donner son consentement libre et éclairé aux soins qui lui sont prodigués ainsi que la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine. Il s'ensuit que l'obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans les établissements de santé ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la dignité de la personne humaine invoqué par la requérante au regard de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, du pacte international relatif aux droits civils et politiques et du pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, au droit du patient de donner son consentement libre et éclairé aux soins médicaux qui lui sont prodigués et à la liberté individuelle. Pour les mêmes motifs, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du code civil et du code de la santé publique relatives au consentement en matière de recherche médicale et d'essais cliniques et à la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent qu'être écartés.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ".

12. M. B conteste le principe même de l'obligation vaccinale posé par la loi du

5 août 2021. Ce moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi du 5 août 2021 n'a pas été présenté par un mémoire distinct. Il est par la suite irrecevable, et ne peut qu'être écarté.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par l'agence régionale de santé de Provence-Alpes-Côte-D'azur, que les conclusions aux fins d'annulation présentées par M. B doivent être rejetées et, par voie de conséquence, ses conclusions indemnitaires.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et à l'agence régionale de santé de Provence-Alpes-Côte-D'azur.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Harang, président,

M. Karbal, conseiller,

Mme Montalieu, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé

Z. KARBAL

Le président,

Signé

Ph. HARANGLe greffier,

Signé

F. POUPLY

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

Code publication

C