Cour administrative d'appel de Lyon

Décision du 4 avril 2024 n° 23LY01634

04/04/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B A a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler les décisions du 4 avril 2023 par lesquelles le préfet du Puy-de-Dôme l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ainsi que d'annuler la décision du 4 avril 2023 par laquelle le préfet du Puy-de-Dôme l'a assigné à résidence pendant une durée de quarante-cinq jours dans l'arrondissement de Clermont-Ferrand.

Par jugement n° 2300720 du 8 avril 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 12 mai 2023, M. A, représenté par Me Gauché, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 avril 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;

2°) d'annuler les décisions du 4 avril 2023 susvisées ;

3°) d'enjoindre au préfet du Puy-de-Dôme d'instruire sa demande de titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de deux jours suivant cette notification, le cas échéant sous astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est entaché de plusieurs omissions à statuer et d'une insuffisance de motivation ;

- le jugement est entaché d'une erreur de droit dès lors que le premier juge a fait porter sur le requérant l'intégralité de la charge de la preuve alors même que le préfet n'avait pas produit de mémoire en défense et n'était pas présent à l'audience ;

- le premier juge s'est mépris sur l'état de l'instruction de la demande de titre de séjour qu'il avait présentée le 13 juin 2022 ;

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français, refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français ont été prises en méconnaissance de l'article 8 de la directive n° 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 et des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elles ont pour effet d'empêcher le requérant d'assister à l'audience correctionnelle à laquelle il est convoqué le 27 juin 2023 ;

- il ne pourra plus bénéficier de l'aide juridictionnelle française en cas de retour dans son pays d'origine ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un vice de procédure et d'une méconnaissance des dispositions du 9°) de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen, d'une erreur de fait et d'erreurs de droit ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision lui refusant un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur de fait ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'interdiction de retour édictée est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision portant assignation à résidence est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation au regard des dispositions de l'article L. 632-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle ne pouvait légalement être fondée sur les dispositions de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais devait être fondée sur celles de l'article L. 752-1 du même code ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire distinct, enregistré le 18 juin 2023, M. A, représenté par Me Gauché, demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat la question de la constitutionnalité des articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

Il soutient que :

- les dispositions des articles L. 611-1, L.612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont applicables au litige et la convocation devant une juridiction pénale n'entre pas dans les impossibilités prévues par l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais ne s'est pas prononcé sur la constitutionnalité des dispositions contestées en ce qu'elles peuvent concerner une personne convoquée par la justice pénale ;

- une disposition déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel peut de nouveau être soumise à son examen lorsqu'un tel réexamen est justifié par les changements intervenus depuis la précédente décision ;

- par un arrêt rendu le 15 septembre 2022 la Cour de justice de l'Union européenne a jugé dans l'affaire C420/20 que l'article 8, paragraphe 2 de la directive 2016/343 doit être interprété comme s'opposant à une réglementation d'un Etat membre permettant la tenue d'un procès en l'absence du suspect ou de la personne poursuivie, alors que cette personne se trouve en dehors de cet Etat membre et dans l'impossibilité d'entrer sur le territoire de celui-ci, en raison d'une interdiction d'entrée adoptée à son égard par les autorités compétentes dudit Etat membre, cette décision constituant un changement de circonstances en ce qui concerne le prononcé d'une interdiction de retour ;

- l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen garantit le droit à un procès équitable, ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition, dès lors une mesure administrative qui compromet le droit au procès équitable et les droits de la défense méconnaît cette norme constitutionnelle.

La requête a été communiquée au préfet du Puy-de-Dôme qui n'a pas produit d'observations.

M. A a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 9 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 et son préambule ;

- la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

- la directive n° 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 de la ministre des affaires sociales et de la santé et du ministre de l'intérieur relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 425-11 à R. 425-13 et R. 611-1 et R. 611-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1.M. A, ressortissant géorgien né le 16 novembre 1979, est entré en France en mai 2022. Sa demande d'asile a été rejetée par décisions de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) le 29 juillet 2022 et de la Cour nationale du droit d'asile le 9 décembre 2022 ainsi que sa demande de réexamen par décision de l'OFPRA le 6 mars 2023. Il a demandé son admission au séjour au titre des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le 13 juin 2022. Par décisions du 4 avril 2023, le préfet du Puy-de-Dôme l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Le préfet du Puy-de-Dôme l'a, par décision du même jour, assigné à résidence pendant une durée de quarante-cinq jours dans l'arrondissement de Clermont-Ferrand. L'intéressé relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2.Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution () peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. / () / La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ".

3.Il doit être procédé à la transmission au Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité concernant une disposition législative à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4.D'une part, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution. ".

5.D'autre part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; / 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; / 6° L'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois a méconnu les dispositions de l'article L. 5221-5 du code du travail. / Lorsque, dans le cas prévu à l'article L. 431-2, un refus de séjour a été opposé à l'étranger, la décision portant obligation de quitter le territoire français peut être prise sur le fondement du seul 4°. ". Aux termes de l'article L. 611-3 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; / 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; / 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; / 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; / 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; / 6° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; / 7° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant étranger relevant du 2°, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessée depuis le mariage ; / 8° L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ; / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. / Par dérogation au présent article, l'étranger mentionné aux 2° à 8° peut faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 611-1 s'il vit en France en état de polygamie. ". Aux termes de l'article L. 612-2 de ce code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-6 dudit code : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ".

6.M. A, convoqué à une audience le 27 juin 2023 au tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand, conteste la question de la constitutionnalité des articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, en tant qu'ils ne font pas obstacle au prononcé d'une mesure d'éloignement sans délai avec interdiction de retour alors que l'intéressé est convoqué devant une juridiction pénale. Toutefois le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur la constitutionnalité des dispositions dont sont issues les articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par des décisions 2011-631 DC du 9 juin 2011 et 2018-770 DC du 6 septembre 2018, en retenant que les mesures prises en application de ces dispositions ne constituent pas des sanctions mais des mesures de police. La décision de la Cour de justice de l'Union européenne C-420/20 du 15 septembre 2022, indiquant que l'article 8, paragraphe 2 de la directive 2016/343 doit être interprété comme s'opposant à une réglementation permettant la tenue d'un procès en l'absence du suspect ou de la personne poursuivie, concerne le déroulement des procédures pénales et est sans incidence sur la possibilité pour un Etat membre de prendre des mesures de police à l'encontre de ressortissants étrangers en situation irrégulière. Par suite, la question soulevée n'est pas nouvelle et est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

Sur la légalité des décisions édictées le 4 avril 2023 :

7.Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. () ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2016 susvisé : " L'étranger qui dépose une demande de délivrance ou de renouvellement d'un document de séjour pour raison de santé est tenu, pour l'application des articles R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de faire établir un certificat médical relatif à son état de santé par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier. / A cet effet, le préfet du lieu où l'étranger a sa résidence habituelle lui remet un dossier comprenant une notice explicative l'informant de la procédure à suivre et un certificat médical vierge, dont le modèle type figure à l'annexe A du présent arrêté. " et aux termes de l'article 2 de cet arrêté : " Le certificat médical, dûment renseigné et accompagné de tous les documents utiles, est transmis sans délai, par le demandeur, par tout moyen permettant d'assurer la confidentialité de son contenu, au service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dont l'adresse a été préalablement communiquée au demandeur. ". Aux termes des dispositions de l'article R. 425-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 425-11 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa du même article. Le médecin de l'office peut solliciter, le cas échéant, le médecin qui suit habituellement le demandeur ou le médecin praticien hospitalier. Il en informe le demandeur. Il peut également convoquer le demandeur pour l'examiner et faire procéder aux examens estimés nécessaires. Le demandeur présente au service médical de l'office les documents justifiant de son identité. A défaut de réponse dans le délai de quinze jours, ou si le demandeur ne se présente pas à la convocation qui lui a été fixée, ou s'il n'a pas présenté les documents justifiant de son identité le médecin de l'office établit son rapport au vu des éléments dont il dispose et y indique que le demandeur n'a pas répondu à sa convocation ou n'a pas justifié de son identité. Il transmet son rapport médical au collège de médecins. () Le demandeur dispose d'un délai d'un mois à compter de l'enregistrement de sa demande en préfecture pour transmettre à l'office de l'immigration et de l'intégration le certificat médical mentionné au premier alinéa. Lorsque la demande est fondée sur l'article L. 431-2, le certificat médical est transmis dans le délai mentionné à ce même article. ".

8.Il ressort des termes de l'arrêté en litige que le préfet du Puy-de-Dôme a estimé qu'il n'y avait plus lieu d'examiner la demande de titre de séjour présentée le 13 juin 2022 par l'intéressé en raison de l'absence de transmission " dans les délais impartis " à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du certificat médical qui lui avait été remis le 10 août 2022. Toutefois, s'il ressort des pièces versées au dossier et notamment de la convocation qui a été adressée à M. A par l'OFII que ce dernier a transmis aux services de l'OFII son certificat médical le 26 octobre 2022 soit postérieurement au délai d'un mois imparti par le dernier alinéa de l'article R. 425-12 précité, il est constant que le requérant a été convoqué pour un examen médical le 7 mars 2023 par ces services et qu'ainsi, à la date d'édiction de la décision portant obligation de quitter le territoire français le 4 avril 2023, sa demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade était toujours en cours d'instruction. Par suite, M. A est fondé à soutenir qu'en raison de cette demande en cours d'instruction, le préfet du Puy-de-Dôme ne pouvait légalement prendre à son encontre l'obligation de quitter le territoire français fondée sur le 4°) de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette décision doit ainsi être annulée, ainsi que les décisions subséquentes.

9.Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ni d'examiner les autres moyens soulevés, que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet du Puy-de-Dôme portant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de renvoi et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ainsi que celle l'assignant à résidence pendant une durée de quarante-cinq jours dans l'arrondissement de Clermont-Ferrand.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, () l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Le motif de l'annulation prononcé par le présent arrêt implique que le préfet du Puy-de-Dôme examine la situation de l'intéressé au regard de son droit au séjour dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt. En outre, le présent arrêt annulant l'obligation faite à l'intéressé de quitter le territoire et les décisions subséquentes implique nécessairement, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le préfet du Puy-de-Dôme délivre sans délai à M. A une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu d'assortir ces injonctions d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Le requérant a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Gauché, avocat du requérant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me Gauché de la somme de 1 500 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2300720 du 8 avril 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.

Article 2 : Les arrêtés du 4 avril 2023 du préfet du Puy-de-Dôme pris à l'encontre de M. A sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Puy-de-Dôme d'examiner la situation de M. A au regard de son droit au séjour dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Il est enjoint au préfet du Puy-de-Dôme de délivrer, sans délai, une autorisation provisoire de séjour à M. A.

Article 5 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à Me Gauché, conseil de M. A, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à la part contributive de l'Etat.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. B A, à Me Gauché, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet du Puy-de-Dôme.

Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Dèche, présidente,

Mme Mauclair, première conseillère,

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.

La rapporteure,

V. Rémy-NérisLa présidente,

P. Dèche

La greffière,

C. Driguzzi

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

Code publication

C