Tribunal administratif de Nîmes

Jugement du 2 avril 2024 n° 2302263

02/04/2024

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un déféré enregistré le 20 juin 2023, la préfète du Gard demande au tribunal d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2022 par lequel le maire d'Euzet a délivré à la société à responsabilité limitée Lapierre un permis d'aménager en vue de la création d'un lotissement de dix lots à bâtir.

Elle soutient que :

- l'arrêté contesté est entaché d'illégalités externes dès lors que le maire d'Euzet ne s'est pas conformé à son avis défavorable émis en application du a) de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme et qu'aucune délibération motivée du conseil municipal n'a été adoptée sur le fondement du 4° de l'article L. 111-4 du même code ;

- le projet litigieux méconnaît l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme et les conditions de l'exception à la règle de la constructibilité limitée fixée par le 4° de l'article L. 111-4 de ce code ne sont pas remplies.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 juillet 2023, la commune d'Euzet, représentée par Me Audouin, conclut au rejet du déféré et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le déféré est irrecevable faute pour la préfète d'avoir respecté les formalités de notification prévues par l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme et le recours gracieux de la préfète n'a pas interrompu le délai de recours contentieux ;

- l'avis conforme défavorable émis par la préfète du Gard est illégal et le maire d'Euzet n'était pas nécessairement tenu de le suivre compte tenu de son caractère illégal ; à défaut, le Conseil constitutionnel devrait être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité s'il était jugé que le maire est, en toute hypothèse, tenu de suivre l'avis conforme défavorable, même illégal, émis en application de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme ;

- les moyens invoqués par la préfète du Gard ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mouret,

- les conclusions de Mme Bourjade, rapporteure publique,

- les observations de M. A, représentant le préfet du Gard, et celles de Me Audouin, représentant la commune d'Euzet.

Considérant ce qui suit :

1. La société Lapierre a déposé, le 22 juin 2022, une demande de permis d'aménager, ultérieurement complétée, en vue de la création d'un lotissement de dix lots à bâtir sur un terrain situé chemin de Peyregril sur le territoire de la commune d'Euzet, laquelle n'était alors dotée d'aucun document local d'urbanisme. Consultée en application du a) de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme, la préfète du Gard a émis un avis conforme défavorable au projet le 11 août 2022. Par un arrêté du 12 décembre 2022, le maire d'Euzet a néanmoins délivré le permis d'aménager sollicité. La préfète du Gard demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la commune d'Euzet :

2. Aux termes du I de l'article L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales : " Sont transmis au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement, dans les conditions prévues au II : () / 6° Le permis de construire et les autres autorisations d'utilisation du sol et le certificat d'urbanisme délivrés par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale, lorsqu'il a reçu compétence dans les conditions prévues aux articles L. 422-1 et L. 422-3 du code de l'urbanisme () ". Selon le premier alinéa de l'article L. 2131-6 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet () ".

3. Aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme : " En cas de déféré du préfet () à l'encontre () d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet () est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. () L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré () ". L'exercice par le préfet d'un recours administratif contre une autorisation d'urbanisme a pour conséquence de proroger le délai de recours contentieux, sous réserve du respect des formalités de notification de ce recours préalable prévues à l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme. La production du certificat de dépôt de la lettre recommandée suffit à justifier de l'accomplissement de la formalité de notification lorsqu'il n'est pas soutenu devant le juge qu'elle aurait eu un contenu insuffisant au regard de l'obligation d'information qui pèse sur l'auteur du recours.

4. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que le permis d'aménager en litige a été reçu en préfecture du Gard le 23 décembre 2022. Par un courrier du 21 février 2023, reçu le 24 février suivant en mairie d'Euzet, la préfète du Gard a présenté un recours gracieux tendant au retrait de cette autorisation d'urbanisme. Ce recours gracieux, qui a été notifié conformément aux dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme au vu des pièces versées aux débats par la préfète du Gard, a eu pour effet de proroger le délai de recours contentieux. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier que le présent déféré, qui a également été notifié conformément aux dispositions de cet article R. 600-1, a été enregistré au greffe du tribunal le 20 juin 2023, soit avant l'expiration du délai de recours contentieux qui a commencé à courir à nouveau, en vertu des dispositions citées ci-dessus de l'article R. 421-2 du code de justice administrative, à compter de la naissance de la décision implicite rejetant le recours gracieux de la préfète du Gard. Par suite, les fins de non-recevoir tirées du non-respect des dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme et de la tardiveté du déféré doivent être écartées.

Sur la légalité du permis d'aménager en litige :

5. Aux termes de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme : " Lorsque le maire () est compétent, il recueille l'avis conforme du préfet si le projet est situé : / a) Sur une partie du territoire communal non couverte par une carte communale, un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu () ". S'il résulte de ces dispositions que le maire est en principe tenu de refuser un permis lorsque le préfet a émis un avis conforme défavorable au projet, il ne commet cependant pas d'illégalité en délivrant le permis sollicité dans l'hypothèse où cet avis conforme est lui-même illégal.

6. Si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.

7. Aux termes de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme : " En l'absence de plan local d'urbanisme, de tout document d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, les constructions ne peuvent être autorisées que dans les parties urbanisées de la commune ". Ces dispositions interdisent en principe, en l'absence de plan local d'urbanisme, de tout document d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, les constructions implantées " en dehors des parties urbanisées de la commune ", c'est-à-dire des parties du territoire communal qui comportent déjà un nombre et une densité significatifs de constructions. Il en résulte qu'en dehors du cas où elles relèvent des exceptions expressément et limitativement prévues par l'article L. 111-4 du même code, les constructions ne peuvent être autorisées dès lors que leur réalisation a pour effet d'étendre la partie urbanisée de la commune. Pour apprécier si un projet a pour effet d'étendre une partie urbanisée de la commune, il est notamment tenu compte de la géographie des lieux, de la desserte par des voies d'accès, de la proximité avec les constructions existantes situées dans les parties urbanisées de la commune, du nombre et de la densité des constructions projetées, du sens du développement de l'urbanisation, ainsi que de l'existence de coupures d'urbanisation, qu'elles soient naturelles ou artificielles.

8. Les lotissements, qui constituent des opérations d'aménagement ayant pour but l'implantation de constructions, doivent respecter les règles tendant à la maîtrise de l'occupation des sols édictées par le code de l'urbanisme ou les documents locaux d'urbanisme, même s'ils n'ont pour objet ou pour effet, à un stade où il n'existe pas encore de projet concret de construction, que de permettre le détachement d'un lot d'une unité foncière. Il appartient, en conséquence, à l'autorité compétente de refuser le permis d'aménager sollicité ou de s'opposer à la déclaration préalable notamment lorsque, compte tenu de ses caractéristiques telles qu'elles ressortent des pièces du dossier qui lui est soumis, un projet de lotissement permet l'implantation de constructions dont la compatibilité avec les règles d'urbanisme ne pourra être ultérieurement assurée lors de la délivrance des autorisations d'urbanisme requises.

9. La préfète du Gard a retenu, dans son avis conforme défavorable émis le 11 août 2022 en application du a) de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme, que la réalisation du lotissement projeté aurait pour effet d'étendre l'une des parties urbanisées de la commune au sens de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme et que ce projet ne relève pas de l'une des exceptions prévues par l'article L. 111-4 du même code. Le maire d'Euzet, estimant que cet avis défavorable était illégal, a délivré le permis d'aménager sollicité par la société Lapierre.

10. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux prévoit la création d'un lotissement de dix lots à bâtir sur un tènement vierge de toute construction, d'une superficie totale de plus de 9 200 mètres carrés, et jouxtant plusieurs parcelles bâties. Ce tènement a conservé un caractère naturel et est bordé, au nord, par un vaste secteur non bâti à vocation agricole et naturelle, secteur auquel il appartient. Si le terrain d'assiette du projet est notamment situé à proximité d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes implanté au sud-ouest, il en est séparé par une voie de circulation au vu des pièces versées aux débats. En outre, les plans joints à la demande de permis d'aménager font apparaître que la société pétitionnaire envisage l'édification, sur ce terrain de près d'un hectare, de dix constructions implantées à proximité les unes des autres et d'une surface de plancher maximale de 3 000 mètres carrés. Compte tenu de la configuration des lieux en cause et des caractéristiques du projet, et alors même que le terrain d'assiette serait desservi par l'ensemble des réseaux, la réalisation du lotissement projeté aurait pour effet d'étendre la partie urbanisée de la commune d'Euzet à proximité de laquelle la société pétitionnaire envisage l'implantation de nouvelles constructions.

11. D'autre part, en l'absence de toute délibération motivée du conseil municipal d'Euzet autorisant la réalisation du lotissement projeté en dehors des parties urbanisées de la commune, le projet litigieux n'était pas susceptible d'être autorisé en application des dispositions du 4° de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme, contrairement à ce qu'a relevé, de façon subsidiaire, le maire d'Euzet dans l'arrêté contesté. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas allégué en défense, que le lotissement projeté relèverait de l'une des autres exceptions prévues par cet article L. 111-4.

12. Compte tenu de ce qui a été dit aux deux points précédents, la préfète du Gard n'a pas fait une inexacte application des dispositions des articles L. 111-3 et L. 111-4 du code de l'urbanisme. L'avis conforme défavorable émis par cette autorité n'étant ainsi pas illégal, contrairement à ce que fait valoir la commune défenderesse, le maire d'Euzet était tenu de refuser la délivrance du permis d'aménager sollicité. Par suite, l'arrêté du 12 décembre 2022 par lequel le maire d'Euzet a délivré un permis d'aménager à la société Lapierre est entaché d'illégalité.

13. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'apparaît susceptible, en l'état de l'instruction, de fonder l'annulation de l'arrêté contesté.

14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité présentée à titre subsidiaire par la commune défenderesse compte tenu de ce qui a été dit au point 5, que la préfète du Gard est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du maire d'Euzet du 12 décembre 2022.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la commune d'Euzet au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : L'arrêté du maire d'Euzet du 12 décembre 2022 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune d'Euzet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au préfet du Gard, à la commune d'Euzet et à la société à responsabilité limitée Lapierre.

Copie en sera transmise au procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Alès en application de l'article R. 751-10 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Roux, président,

M. Mouret, premier conseiller,

Mme Lahmar, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2024.

Le rapporteur,

R. MOURETLe président,

G. ROUX

La greffière,

N. LASNIER

La République mande et ordonne au préfet du Gard en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.