Conseil d'Etat

Décision du 29 mars 2024 n° 490541

29/03/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 décembre 2023 et 7 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société à responsabilité limitée (SARL) Formavenir demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a rejeté sa demande en date du 24 octobre 2023 tendant à l'abrogation du paragraphe n° 45 des commentaires administratifs publiés le 16 octobre 2019 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 mars 2024, présentée par la société Formavenir ;

Considérant ce qui suit :

1. Le paragraphe n° 45 des commentaires administratifs publiés le 16 octobre 2019 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50 énonce que les prestations de soutien scolaire sont exonérées de taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elles sont dispensées dans des établissements d'enseignement ou réalisées par des organismes privés sans but lucratif, répondant aux conditions des organismes d'utilité générale fixées au a et au b du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts. La société à responsabilité limitée (SARL) Formavenir, qui exerce une activité commerciale de soutien scolaire, demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a refusé d'abroger ces commentaires, en tant qu'ils n'indiquent pas que l'exonération bénéficie aux prestations de soutien scolaire réalisées par les organismes privés à but lucratif.

2. En application des dispositions de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ".

3. D'une part, aux termes du 4 de l'article 261 du code général des impôts, sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : " 4. b. les cours ou leçons relevant de l'enseignement scolaire (), dispensés par des personnes physiques qui sont rémunérées directement par leurs élèves ; () ".

4. D'autre part, aux termes du 7 du même article, sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : " 1° a. les services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leurs membres par les organismes légalement constitués agissant sans but lucratif, et dont la gestion est désintéressée () b. les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient ". Il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucune autre disposition législative que les prestations de soutien scolaire délivrées par des personnes morales de droit privé à but lucratif seraient exonérées de taxe sur la valeur ajoutée.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

6. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. La société Formavenir soutient que les dispositions précitées du a du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts, en tant qu'elles excluent les organismes privés à but lucratif délivrant des prestations de soutien scolaire du bénéfice de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient, alors qu'en application du b du 4° du 4 de ce même article, en bénéficient les cours ou leçons relevant de l'enseignement scolaire dispensés par des personnes physiques qui sont rémunérées directement par leurs élèves, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, dès lors qu'elles créent une différence de traitement qui ne se fonde sur aucune raison objective ou aucun motif d'intérêt général et qui ne saurait être regardée comme en rapport avec l'objet des dispositions mettant en place la taxe sur la valeur ajoutée.

8. Les personnes physiques dispensant, pour leur propre compte et sous leur propre responsabilité, des cours de soutien scolaire pour lesquels elles sont directement rémunérées par leurs élèves, dont les prestations ne sont exonérées de taxe sur la valeur ajoutée qu'à la condition qu'elles ne soient pas rendues avec le concours de personnes salariées ou de collaborateurs, ne se trouvent pas, pour ce qui concerne la réalisation de ces prestations et les conditions dans lesquelles elles les délivrent, dans une situation identique à celle des organismes privés à but lucratif proposant, au sein d'une offre de soutien scolaire, des cours relevant de l'enseignement scolaire dispensés par des personnes aux services desquels ils recourent. Il suit de là que la différence des règles d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée qui découle de la combinaison de ces dispositions, expressément autorisée par les dispositions combinées des i) et j) du 1 de l'article 132 et de l'article 133 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, repose sur une différence de situation objective en rapport avec l'objet de la loi. Les dispositions en cause, qui se fondent sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec le but poursuivi, n'instaurent pas davantage de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

9. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux.

Sur le recours pour excès de pouvoir :

10. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 ci-dessus que le paragraphe 45 des commentaires administratifs attaqués, en tant qu'il ne prévoit pas que le bénéfice de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée bénéficie aux prestations de soutien scolaire délivrées par des organismes privés à but lucratif, se borne à expliciter la loi sans la méconnaître ou y ajouter. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre en défense, la société n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Formavenir.

Article 2 : La requête de la société Formavenir est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Formavenir et au ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 mars 2024 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, président de chambre, présidant ; M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 29 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Thomas Andrieu

La rapporteure :

Signé : Mme Marie Prévot

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

Code publication

C