Cour de cassation

Arrêt du 13 mars 2024 n° 23-90.027

13/03/2024

Renvoi partiel

N° F 23-90.027 F-D

 

N° 00457

 

13 MARS 2024

 

MAS2

 

QPC PRINCIPALE : RENVOI AU CC

QPC PRINCIPALE : NON LIEU A RENVOI AU CC

QPC PRINCIPALE : NON LIEU A RENVOI AU CC

 

M. BONNAL président,

 

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________________________

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

 

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 13 MARS 2024

 

Le tribunal correctionnel de Rouen, par jugement en date du 21 décembre 2023, reçu le 28 décembre 2023 à la Cour de cassation, a transmis trois questions prioritaires de constitutionnalité dans la procédure suivie contre M. [W] [B] du chef de non respect d'une mesure internationale de restriction des relations économiques et financières avec l'étranger.

 

Des observations ont été produites.

 

Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [W] [B], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de la direction générale des douanes et droits indirects, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 mars 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

 

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

 

1. La première question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

 

« L'article 459, 1 bis, du code des douanes, est-il conforme aux articles 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 et aux articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et en particulier au principe de légalité des délits et des peines, ainsi qu'à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité, en ce qu'il se borne à renvoyer à la réglementation communautaire ou aux traités et accords internationaux sans définir avec la clarté et la précision requises par la Constitution, l'élément matériel constitutif de l'infraction, en l'espèce, les mesures de restriction des relations économiques et financières ? ».

 

2. La deuxième question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

 

« L'article 459 du code des douanes est-il conforme aux articles 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 et aux articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et en particulier au principe de légalité criminelle, en ce que le législateur, en méconnaissance de sa compétence exclusive en matière répressive, n'a pas prévu les garanties propres à assurer, de manière effective, la protection de la propriété privée, la liberté de circulation des biens et des hommes, l'égalité des citoyens devant la loi et les droits de la personne poursuivie ou sanctionnée ? ».

 

3. La troisième question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

 

« L'article 459 du code des douanes, et en particulier les § 1, 1 bis et 5 de ce texte, est-il conforme aux articles 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 et aux articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et en particulier au principe de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines en ce que, d'une part, les peines principales prévues par ces textes excèdent le régime applicable en matière de contravention sans, néanmoins, de prévision relative à l'élément moral de l'infraction et en ce que, d'autre part, les peines accessoires prévues aux § 4 et 5 de ce texte apparaissent automatiques ? ».

 

4. Le 1 bis de l'article 459 du code des douanes, à l'exception de la référence « 75 » et des mots « ou par les traités et accords internationaux régulièrement approuvés et ratifiés par la France », le 2, le 4 et le 5 de l'article 459 du même code, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2020-1342 du 4 novembre 2020, sont applicables au litige.

 

5. En revanche, le demandeur étant poursuivi sur le fondement du 1 bis de l'article 459 précité pour avoir contrevenu aux mesures de restriction des relations économiques et financières prévues par un règlement pris en application de l'article 215 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ni le 1 et le 3, qui prévoient des délits distincts, ni la référence « 75 », qui renvoie à l'article 75 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et les mots « ou par les traités et accords internationaux régulièrement approuvés et ratifiés par la France » figurant au 1 bis de l'article 459, ni le 1 ter, relatif aux personnes morales poursuivies pour l'infraction prévue au 1 bis, de l'article 459 ne sont applicables au litige.

 

6. Les dispositions contestées n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

7. Les questions, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.

 

8. Les dispositions contestées ne se bornent pas à tirer les conséquences nécessaires de l'article 15 du règlement (UE) n° 269/2014 du Conseil du 17 mars 2014, qui ne pose que le principe d'une sanction des mesures prévues par ce règlement, ni de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive ou des dispositions d'un autre règlement de l'Union européenne.

 

9. La première question ne présente pas un caractère sérieux.

 

10. En effet, les dispositions contestées sanctionnent uniquement les manquements aux mesures de restriction des relations économiques et financières prévues par la réglementation communautaire prise en application de l'article 215 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Or, l'adoption d'un tel règlement doit être précédée d'une décision, adoptée conformément au chapitre 2 du titre V de ce Traité, qui prévoit l'interruption ou la réduction, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec un ou plusieurs pays tiers. Par ailleurs, le règlement, qui est adopté ensuite selon la même procédure, ne peut prévoir que des mesures restrictives à l'encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d'entités non étatiques. La notion de mesures de restriction des relations économiques et financières, ainsi délimitée, est donc suffisamment précise au regard du principe de légalité des délits et des peines.

 

11. La seconde question posée ne présente pas un caractère sérieux.

 

12. En effet, il est soutenu que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant les droits et libertés cités par cette question dès lors que la sanction prévue au 1 bis de l'article 459 n'est pas précédée d'une notification préalable et effective de la mesure restrictive adoptée à la personne visée. Toutefois, d'une part, seule une personne ayant agi de mauvaise foi peut être condamnée pour le délit prévu par le 1 bis de l'article 459 du code des douanes. D'autre part, les règlements de l'Union européenne ne sont applicables qu'une fois publiés au Journal officiel de l'Union européenne.

 

13. La troisième question ne présente pas un caractère sérieux en tant qu'elle soutient que les dispositions contestées méconnaissent le principe de proportionnalité des peines.

 

14. En effet, il est soutenu que les peines réprimant le délit prévu par le 1 bis de l'article 459 seraient disproportionnées au motif qu'elles sanctionnent un délit pouvant être non intentionnel. Or, comme indiqué ci-dessus, seule une personne ayant agi de mauvaise foi peut être condamnée pour le délit prévu par le 1 bis de l'article 459 du code des douanes.

 

15. La troisième question ne présente pas non plus un caractère sérieux en tant qu'elle soutient que le 5 de l'article 459 méconnaît le principe d'individualisation des peines.

 

16. En effet, si le juge qui prononce une condamnation pour le délit prévu au 1 bis de l'article 459 est tenu d'ordonner la publication de cette décision de condamnation, il peut, en application de l'article 369, f, du code des douanes dispenser le condamné de cette peine. Il lui appartient en outre de désigner le ou les journaux dans lesquels la publication aura lieu ainsi que de déterminer si la décision sera publiée dans son intégralité ou non.

 

17. La troisième question présente en revanche un caractère sérieux en tant qu'elle porte sur le 4 de l'article 459 dès lors que la peine d'incapacité qu'il prévoit doit obligatoirement être prononcée et que, si le juge peut dispenser le condamné de cette peine ou l'assortir du sursis en application de l'article 369, f, du code des douanes, il ne peut en moduler la durée, laquelle est perpétuelle en l'absence d'un relèvement.

 

18. En conséquence, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la troisième question prioritaire de constitutionnalité en tant qu'elle porte sur le 4 de l'article 459 du code des douanes.

 

19. Il n'y a pas lieu de renvoyer les première et deuxième questions prioritaires de constitutionnalité et la troisième question en tant qu'elle porte sur le surplus de l'article 459 du code des douanes.

 

PAR CES MOTIFS, la Cour :

 

RENVOIE au Conseil constitutionnel la troisième question prioritaire de constitutionnalité en tant qu'elle porte sur le 4 de l'article 459 du code des douanes ;

 

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les première et deuxième questions prioritaires de constitutionnalité et la troisième question en tant qu'elle porte sur le surplus de l'article 459 du code des douanes ;

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre.

Code publication

n