Conseil d'Etat

Décision du 6 mars 2024 n° 488534

06/03/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 11 décembre 2023 et 1er février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, Mme A B demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt n° 22PA01320 du 11 avril 2023 de la cour administrative d'appel de Paris rejetant sa demande indemnitaire dirigée contre l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 3211-2 et L. 3222-5-1 du code de la santé publique, en ce qu'ils ne prévoient pas que les mesures de contention prises à l'égard des patients hospitalisés avec leur consentement s'accompagnent de garanties adéquates contre les abus, telles que celles que prévoit l'article L. 3222-5-1 pour les patients hospitalisés sans consentement, en particulier en matière de contrôle par le juge.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 66 et 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- la décision n° 2020-844 QPC du Conseil constitutionnel du 19 juin 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mme B ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. La question prioritaire soulevée par Mme B à l'appui de son pourvoi contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris dans le litige indemnitaire qui l'oppose à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à la suite de sa prise en charge par le service des urgences de l'hôpital Saint-Antoine, en raison de la faute qui aurait selon elle été commise dans l'imposition d'une mesure de contention, est dirigée en premier lieu contre l'article L. 3222-5-1, inséré dans un chapitre du code de la santé publique relatif aux établissements de santé chargés d'assurer les soins psychiatriques sans consentement. Cet article énonçait, dans sa version en vigueur à la date des faits en litige et au demeurant déjà déclarée contraire à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020, que " L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin ".

3. Toutefois, ces dispositions ne régissent que la seule situation des personnes recevant des soins psychiatriques sans leur consentement. Alors qu'il est constant que Mme B n'a pas fait l'objet de tels soins, l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique ne peut être regardé comme étant applicable au litige au sens et pour l'application du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Au demeurant, la critique adressée par Mme B à ces dispositions ne conteste pas les insuffisances propres de ce dispositif applicable aux patients hospitalisés sans leur consentement mais revendique la création d'un régime distinct applicable aux autres patients. Or la question prioritaire de constitutionnalité est destinée à saisir le Conseil constitutionnel de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de dispositions législatives applicables, à raison le cas échéant des insuffisances du dispositif qu'elles ont instauré, et non à contraindre le législateur de légiférer sur un autre sujet que celui traité par les dispositions contestées.

4. En deuxième lieu, la requérante critique les dispositions de l'article L. 3211-2 du code de la santé publique, qui énonce qu'" une personne faisant l'objet de soins psychiatriques avec son consentement pour des troubles mentaux est dite en soins psychiatriques libres. Elle dispose des mêmes droits liés à l'exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades soignés pour une autre cause. Cette modalité de soins est privilégiée lorsque l'état de la personne le permet ".

5. En l'état des dispositions applicables, une personne faisant l'objet de soins psychiatriques avec son consentement ne saurait légalement faire l'objet de mesures de contention telles que celles dont l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique détermine les conditions de mise en œuvre en les réservant aux seuls soins psychiatriques sans consentement. Les mesures mises en œuvre envers les personnes en soins psychiatriques libres, outre qu'elles doivent, en application des dispositions critiquées de l'article L. 3211-2, garantir le respect pour les patients concernés des mêmes droits en matière d'exercice des libertés que pour les malades soignés pour d'autres causes et qu'elles ne peuvent par leur durée ni par leurs conditions de mise en œuvre être comparables à celles prévues par l'article L. 3222-5-1, doivent respecter le principe posé par l'article L. 1111-4 du code de la santé publique qui, tout en réservant le cas où le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, pose le principe selon lequel " aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne ". Dans ces conditions, les griefs tirés par la requérante de ce que, faute de prévoir les mêmes garanties que celles que prévoit l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique pour les mesures de contention qu'elles régissent, les dispositions contestées de l'article L. 3211-2 du même code seraient contraires au principe posé par l'article 66 de la Constitution qui fait de l'autorité judiciaire la gardienne de la liberté individuelle et au droit au recours effectif et priverait de garanties légales les libertés protégées par les articles 2 et 4 de la Constitution, qui ne sont pas nouveaux, ne présentent pas un caractère sérieux.

6. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A B, à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 février 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 6 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Sylvie Pellissier

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras

Code publication

C