Conseil d'Etat

Décision du 6 mars 2024 n° 488422

06/03/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 13 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. A B demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt n° 22LY00492 du 21 juillet 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a statué sur sa demande d'indemnisation de ses préjudices consécutifs à sa vaccination contre la grippe H1N1, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droit et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. B ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. M. B a demandé au tribunal administratif de Dijon de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique, l'indemnisation des préjudices subis du fait de sa vaccination contre le virus de la grippe H1N1. Par un arrêt du 21 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Lyon, statuant sur son appel, n'a que partiellement fait droit à ses conclusions, notamment en ce qu'elle a déduit de l'indemnisation accordée au titre du préjudice professionnel les montants perçus par M. B au titre de l'allocation adulte handicapé instituée par l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale. A l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de cet arrêt en tant qu'il lui est défavorable, M. B demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la portée effective que la jurisprudence constante du Conseil d'Etat confère à ces dispositions de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale.

3. Aux termes de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale : " Toute personne résidant sur le territoire métropolitain ou dans les collectivités mentionnées à l'article L. 751-1 ou à Saint-Pierre-et-Miquelon ayant dépassé l'âge d'ouverture du droit à l'allocation prévue à l'article L. 541-1 et dont l'incapacité permanente est au moins égale à un pourcentage fixé par décret perçoit, dans les conditions prévues au présent titre, une allocation aux adultes handicapés () ".

4. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité des personnes publiques, une personne morale de droit public ne peut jamais être condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas. Afin de concilier le respect de ce principe avec le principe de réparation intégrale du préjudice subi, il appartient au juge administratif, lorsqu'il condamne une personne publique à indemniser la victime d'un dommage corporel, de déduire de l'indemnisation allouée, le cas échéant, le montant des prestations dont la victime bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge des frais subis en raison des mêmes préjudices. Une telle déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement si le bénéficiaire revient à meilleure fortune. A ce titre, selon la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, il y a lieu de déduire, notamment, les sommes perçues au titre de l'allocation aux adultes handicapés de l'indemnisation accordée au titre d'un préjudice professionnel.

5. En premier lieu, si M. B soutient que les dispositions de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat, méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi, parce que la jurisprudence du Conseil d'Etat diffère de celle de la Cour de cassation quant à la déduction de l'allocation aux adultes handicapés du montant des indemnités accordées en réparation des préjudices subis par la victime d'un accident corporel, les personnes qui recherchent auprès de l'ONIAM, sur le fondement de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique, la réparation de dommages corporels causés par un accident médical, comme au demeurant toutes celles qui recherchent la responsabilité d'une personne publique, ne sont pas placées dans la même situation que celles qui cherchent à mettre en cause la responsabilité d'une personne privée. Par suite et en tout état de cause, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité par les dispositions législatives contestées ne présente pas un caractère sérieux.

6. En second lieu, contrairement à ce que soutient M. B, les dispositions de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale ne sauraient, en tout état de cause, être regardées comme méconnaissant le principe de responsabilité garanti par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ainsi qu'il a été dit au point 4, il appartient au juge administratif de concilier le principe selon lequel une personne morale de droit public ne peut être condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas avec le principe de réparation intégrale du préjudice, ce dont il résulte qu'il y a lieu, en cas de condamnation d'une personne publique à indemniser la victime d'un dommage corporel, de déduire de l'indemnisation allouée, le cas échéant, le montant des prestations dont la victime bénéficie par ailleurs et qui ont déjà pour objet la prise en charge des frais subis en raison des mêmes préjudices, afin que l'indemnisation mise à la charge de la personne publique tenue à la réparation du dommage n'excède pas le montant du préjudice effectivement subi.

7. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A B et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 février 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Sara-Lou Gerber, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 6 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Sara-Lou Gerber

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras

Code publication

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