Cour de cassation

Arrêt du 6 mars 2024 n° 23-40.023

06/03/2024

Non renvoi

COMM.

COUR DE CASSATION

HM1

______________________

QUESTION PRIORITAIRE

de

CONSTITUTIONNALITÉ

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Audience publique du 6 mars 2024

NON-LIEU A RENVOI

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 207 FS-P

Affaire n° D 23-40.023

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 MARS 2024

La cour d'appel de Douai (chambre 2, section 2) a transmis à la Cour de cassation, par arrêt rendu le 16 novembre 2023, une question prioritaire de constitutionnalité reçue le 8 décembre 2023, dans l'instance mettant en cause :

D'une part,

la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France, société coopérative à capital et personnel variables, représentée par Mme [W] [J], chef du service contentieux, dont le siège est [Adresse 1],

D'autre part,

1 °/ la société Jean Caby, société par actions simplifiée, ayant son siège [Adresse 3],

2°/ la société Alpha MJ, société civile professionnelle, en la personne de M. [R] [C], prise en qualité de mandataire ad hoc en charge de représenter les droits propres de la société Jean Caby, ayant son siège [Adresse 2],

3°/ la société MJS Partners, société d'exercice libéral par actions simplifiées, en la personne de M. [Z] [I], prise en qualité de co-liquidateur judiciaire de la société Jean Caby, ayant son siège [Adresse 5],

4°/ la société BTSG, société civile professionnelle, en la personne de M. [U] [B], prise en qualité de co-liquidateur judiciaire de la société Jean Caby, ayant son siège [Adresse 4],

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Coricon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Jean Caby, de la société MJS Partners, ès qualités, de la société BTSG, ès qualités, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et l'avis de Caroline Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Coricon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mme Vallansan, M. Riffaud, Mmes Fèvre, Guillou, MM. Bedouet, Calloch, Mme Schmidt, conseillers, Mmes Brahic-Lambrey, Champ, M. Boutié, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Labat greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. La société Jean Caby a souscrit, le 6 avril 2017, un prêt auprès de la Caisse d'Epargne et de prévoyance France Europe et de la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France d'un montant de 10 000 000 d'euros remboursable avec intérêts au taux variable Euribor 6 mois. Le 3 mai 2017, elle a conclu avec la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France (la banque) un contrat d'échange de conditions d'intérêts, dit contrat de swap de taux d'intérêts, échangeant le taux variable Euribor 6 mois contre un taux fixe.

2. Par un jugement du 4 décembre 2017, la société Jean Caby a été mise en redressement judiciaire. La banque a déclaré plusieurs créances dont l'une au titre du solde compensé du contrat d'échanges au 4 décembre 2017 et l'autre au titre de l'indemnité de résiliation prévue à ce contrat.

3. Le 27 juin 2018, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire. Les sociétés MJS Partners et MJ Valem, ultérieurement remplacée par la société BTSG, ont été nommées en qualité de liquidateurs judiciaires.

4. Les liquidateurs judiciaires ayant contesté les créances déclarées par la banque, le juge-commissaire a été saisi.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

5. Par arrêt du 16 novembre 2023, la cour d'appel de Douai a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article L. 211-40 alinéa 1 du code monétaire et financier, applicable aux conventions relatives aux obligations financières, par renvoi à l'article L. 211-36 du même code, lesquelles sont soumises à la résiliation de l'article L. 236-1-1 de ce code, qui déroge au principe d'ordre public de continuation des contrats en cours et à l'interdiction de résilier lesdits contrats à raison de l'ouverture d'une procédure collective, édicté par les dispositions de l'article L. 622-13 du code de commerce, L. 631-14 du code de commerce ainsi qu'à l'article L. 641-11-1 du même code, est-il conforme au principe d'égalité entre les créanciers garanti par l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

6. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la contestation des créances déclarées par la banque au passif de la procédure collective de la société Jean Caby, au titre du solde de résiliation du contrat d'échange de conditions d'intérêts.

7. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

8. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

9. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

10. En effet, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

11. Selon l'article L. 211-40, alinéa 1er, du code monétaire et financier, les dispositions du livre VI du code de commerce, parmi lesquelles celles des articles L. 622-13, L. 631-14 et L. 641-11-1 du code de commerce, ne font pas obstacle à l'application des dispositions du code monétaire et financier relatives aux règles communes applicables aux opérations sur instruments financiers, incluant les règles résultant de l'article L. 211-36-1 de ce code en vertu desquelles, notamment, les conventions relatives aux obligations financières mentionnées à l'article L. 211-36 sont résiliables.

12. Il en résulte, selon la nature du contrat, une différence de traitement entre les contractants liés à un débiteur en procédure collective par un contrat en cours à la date du jugement d'ouverture. Si le contrat constitue une opération sur instruments financiers soumise aux règles résultant de l'article L. 211-36-1 du code monétaire et financier, il sera susceptible de résiliation par l'organisme financier du seul fait de l'ouverture de la procédure collective de son cocontractant. Si tel n'est pas le cas, aucune résiliation du contrat ne pourra résulter du seul fait de l'ouverture d'une telle procédure, l'administrateur ou le liquidateur étant en mesure, à certaines conditions, d'en exiger l'exécution.

13. D'une part, la différence de traitement instituée à l'article L. 211-40, alinéa 1er précité, règle de façon différente les situations différentes des contractants concernés en rapport direct avec l'objet des règles communes applicables aux opérations sur instruments financiers, incluant les opérations de swap de taux d'intérêts, destinées à sécuriser ces opérations compte tenu de leur nature particulière.

14. D'autre part, la dérogation ainsi apportée à l'égalité devant la loi par l'article L. 211-40, alinéa 1er du code monétaire et financier, justifiée par un impératif de sécurité juridique et de stabilité du système financier, répond à un motif d'intérêt général également en rapport direct avec l'objet des règles communes applicables aux opérations sur instruments financiers.

15. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille vingt-quatre.

Code publication

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