Tribunal administratif d'Orléans

Jugement du 5 mars 2024 n° 2104334

05/03/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2021 et des mémoire enregistrés le 18 octobre 2023 et le 11 décembre 2023, M. C A, représenté en dernier lieu par Me Annoot, demande au tribunal :

1°) d'annuler l'arrêté en date du 4 octobre 2021 par lequel la maire de la commune de Fleury-les-Aubrais l'a suspendu de ses fonctions sans rémunération ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Fleury-les-Aubrais la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;

- elle est privée de base légale, l'article 12 de la loi du 5 août 2021 n'ayant pas pu entrer en vigueur, en l'absence, à la date de la décision attaquée, du décret d'application prévu par la loi pour déterminer les conditions de vaccination contre la covid-19 des personnes mentionnées au I de l'article 12, et notamment préciser les différents schémas vaccinaux et, pour chacun d'entre eux, le nombre de doses requises ;

- cette décision constitue une sanction disciplinaire, laquelle n'a pas été précédée des garanties de nature à assurer les droits de la défense et notamment, sans mise en place d'une procédure contradictoire préalable ;

- la décision contestée porte une atteinte disproportionnée au droit à l'emploi garanti par l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, l'article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, l'article 1er de la Charte sociale européenne de 1961, l'article 10 de la convention n° 168 de l'organisation internationale du travail sur la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage de1988 et les articles 5 et 10 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; la disproportion est établie par le caractère indéterminé de la durée de la suspension alors qu'il existait d'autres mesures propres à enrayer la transmission du virus ;

- elle méconnaît son droit d'obtenir les moyens d'assurer sa subsistance, garanti par l'article 10 de la convention n° 168 de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) sur la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage du 21 juin 1988 ;

- la décision attaquée méconnaît son droit au respect de sa vie privée garanti par l'article 10 de la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention sur les droits de l'homme et de la biomédecine d'Oviedo du 4 avril 1997), par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par l'article 9 du code civil et par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique ;

- la mesure de suspension des personnels et agents publics travaillant au sein des établissements de santé qui ne justifient pas d'un certificat de vaccination, n'est plus appropriée à l'objectif poursuivi dans un contexte épidémiologique considérablement amélioré et alors que la couverture vaccinale des agents est comprise entre 84 et 90 % ;

- elle méconnaît le principe de non-discrimination consacré en particulier par l'article 1er de la Déclaration universelle des droits de l'homme, par l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par la déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail du 18 juin 1988, par la convention n° 111 de l'OIT concernant la discrimination (emploi et profession) du 25 juin 1958, par les dispositions de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, par l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, par le règlement (UE) n° 2021-953 du 14 juin 2021, par l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux ;

- elle est de nature à créer une rupture d'égalité entre les personnes concernées par l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 selon qu'elles sont vaccinées ou non vaccinées ; dès lors qu'aucun vaccin sur le marché ne correspondait à la définition donnée à l'article 2-2 du décret du 1er juin 2021, aucun vaccin n'était disponible qui aurait permis aux personnes visées à l'article 12 précité d'attester d'un statut vaccinal complet pour satisfaire à l'obligation mise à leur charge, de sorte qu'aucune méconnaissance de cette obligation ne pouvait lui être reprochée et fonder la décision de suspension attaquée ;

- elle est illégale faute de lui avoir proposé une affectation qui aurait évité sa suspension : à partir du moment où il ne remplissait plus les conditions légales, ce qui est contesté, pour occuper son emploi, ce qui conduisait à le suspendre et à le priver de rémunération, il appartenait à l'administration employeur de lui proposer tout autre emploi vacant susceptible de lui être proposé ; elle méconnaît donc l'obligation de reclassement car sa situation n'est pas celle d'un professionnel de santé qui devait être vacciné où qu'il travaille, mais d'un professionnel qui devait être vacciné en raison du lieu dans lequel il travaillait et il suffisait qu'il travaille ailleurs pour se voir décharger de cette obligation vaccinale, tout en continuant à occuper un emploi identique ; la collectivité employeur pouvait le reclasser dans un emploi lui permettant de ne pas se faire vacciner s'il ne le souhaitait pas et avait une telle obligation de reclassement liée à l'obligation de loyauté dans l'exercice de la relation de travail ;

- à compter de mai 2022, son emploi de chef de cuisine au sein de la résidence n'existait plus, de sorte que n'exerçant plus son activité dans un établissement visé à l'article 12 de la loi du 5 août 2021, sa suspension aurait dû prendre fin et tout emploi vacant (et pas seulement de cuisinier d'ailleurs) lui être proposé ; à la fin du mois de mai 2022, le responsable de cuisine de l'école Jourdain a bénéficié d'un arrêt de travail d'une durée 12 mois environ mais l'emploi à pourvoir ne lui a pas été proposé de même que le remplacement de l'agent en congé maladie au sein de l'école Jourdain en septembre 2021.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 juin 2022, le 16 novembre 2023 et le 15 décembre 2023, la commune de Fleury-les-Aubrais, représentée par Me Rainaud conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de mettre à la charge de M. A la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 18 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 20 janvier 2024.

Vu la décision attaquée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;

- la Convention sur les droits de l'homme et de la biomédecine d'Oviedo ;

- la Convention de l'organisation internationale du travail n° 111 du 25 juin 1958 ;

- la Convention de l'organisation internationale du travail n° 168 du 21 juin 1988 ;

- la Déclaration de l'organisation internationale du travail relative aux principes et droits fondamentaux au travail du 18 juin 1988 ;

- la Charte des droits fondamentaux ;

- la Charte sociale européenne ;

- le règlement (UE) n° 2021-953 du 14 juin 2021 ;

- la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lefebvre-Soppelsa, présidente-rapporteure,

- les conclusions de M. Joos, rapporteur public,

- et les observations de Me Annoot représentant M. A et de Me Tissier-Lotz représentant la commune de Fleury-les-Aubrais.

Considérant ce qui suit :

1. M. C A a été recruté en 2002 par la commune de Fleury-les-Aubrais au grade d'adjoint technique titulaire pour exercer les fonctions de cuisinier puis de chef cuisinier et affecté au sein de la résidence autonomie pour personnes âgées (RAPA) Ambroise Croizat. Le 20 août 2021, il a été rendu destinataire d'un courrier l'invitant à fournir le document permettant de justifier son schéma vaccinal complet avant le 15 septembre 2021. En l'absence de fourniture de ce justificatif dans le délai prescrit, le maire de la commune de Fleury-les-Aubrais, par un arrêté du 4 octobre 2021 notifié le même jour, l'a suspendu de ses fonctions et a interrompu sa rémunération jusqu'à ce qu'il produise un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination. M. A demande l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, relative à la gestion de la crise sanitaire, dans sa version applicable au présent litige : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () 2° Les professionnels de la santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique, lorsqu'ils ne relèvent pas du 1° du présent I ; () ". L'article 13 de la même loi dispose, dans sa version alors en vigueur : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. () 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication () ". Selon l'article 14 de cette loi : " I. () B - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I (). La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public ".

3. En premier lieu, la décision attaquée a été signée par Mme B, maire de Fleury-les-Aubrais, autorité territoriale compétente en sa qualité de chef des services municipaux pour prendre les mesures relatives à l'organisation interne des services de la commune et à la gestion de ses agents. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée doit être écarté.

4. En deuxième lieu, M. A soutient que l'arrêté attaqué, qui revêt le caractère d'une sanction, est entaché d'un vice de procédure, la procédure disciplinaire visées aux articles 89 et 90 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale n'ayant pas été mise en œuvre. Toutefois, lorsque l'autorité administrative suspend un agent public de ses fonctions ou de son contrat de travail en application des dispositions rappelées ci-dessus et interrompt, en conséquence, le versement de sa rémunération, elle ne prononce pas une sanction mais se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité. Dès lors le moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " ". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1 ".

6. Si le requérant soutient que la décision en méconnaît les articles 5 et 10 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 ainsi que les principes constitutionnels des droits de la défense et d'égalité, il conteste en réalité, ce faisant, le principe même de l'obligation vaccinale posé par la loi du 5 août 2021. Or, ces moyens tirés de l'inconstitutionnalité de cette loi n'ont pas été présentés dans un mémoire distinct conformément aux dispositions précitées. Ils sont par suite irrecevables et ne peuvent dès lors qu'être écartés.

7. En quatrième lieu, M. A doit être regardé comme excipant de l'inconventionnalité de la loi du 5 août 2021 au regard des stipulations des articles 1er, 14 et 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 et des articles 7.3.1 et 7.3.2 de la résolution n° 2361 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe du 27 janvier 2021. Toutefois, d'une part la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ne faisant pas partie des textes diplomatiques ratifiés par la France dans les conditions fixées à l'article 55 de la Constitution, le requérant ne peut utilement invoquer sa méconnaissance. D'autre part, les résolutions du Conseil de l'Europe sont elles-mêmes dépourvues de force juridique. Dès lors le moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant.

8. En cinquième lieu, M. A doit être regardé comme excipant de l'inconventionnalité de la loi du 5 août 2021 au regard des stipulations de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, de l'article 1er de la Charte sociale européenne du 18 octobre 1961 et de l'article 10 de la Convention n° 168 de l'organisation internationale du travail sur la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage du 21 juin 1988 en ce qu'elle porte atteinte à son droit au travail et à son droit d'obtenir les moyens d'assurer sa subsistance. Toutefois, les dispositions de la loi du 5 août 2021 ne portent par elles-mêmes aucune atteinte au droit à l'emploi, notamment pour des personnes qui étaient employées dans un EHPAD et qui refusent de se soumettre, en dehors des motifs prévus par la loi, à l'obligation vaccinale, dès lors qu'elles prévoient non pas la rupture de leur contrat de travail ou la cessation de leurs fonctions, mais la suspension du contrat de travail ou des fonctions exercées jusqu'à ce que l'agent produise les justificatifs requis.

9. En sixième lieu, le requérant soutient que la mesure de suspension de fonctions assortie de l'interruption de sa rémunération est disproportionnée au regard de son droit au respect de la vie privée et familiale tel que protégé par les stipulations de l'article 10 de la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine du 4 avril 1997, par celles de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, par l'article 9 du code civil et par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique.

10. Aux termes de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 10 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine du 4 avril 1997 dite Convention d'Oviedo : " toute personne a droit au respect de sa vie privée s'agissant des informations relatives à sa santé. () ".

11. Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

12. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé et les établissements sociaux et médico-sociaux, afin notamment de protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la covid-19. Il s'ensuit que, eu égard à l'objectif de santé publique poursuivi et alors même qu'aucune dérogation personnelle à l'obligation de vaccination n'est prévue en dehors des cas de contre-indication, l'obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans un établissement de santé, qui ne saurait être regardée comme incohérente et disproportionnée au regard de l'objectif de santé publique poursuivi, ne porte pas d'atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'intégrité physique garanti par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par la Convention d'Oviedo.

13. L'article 13 de la même loi du 5 août 2021 prévoit que l'obligation de vaccination ne s'applique pas aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Le champ de cette obligation apparaît ainsi cohérent et proportionné au regard de l'objectif de santé publique poursuivi, alors même que l'obligation ne concerne pas l'ensemble de la population mais seulement les professionnels qui se trouvent dans une situation qui les expose particulièrement au virus et au risque de le transmettre aux personnes les plus vulnérables à ce virus.

14. Le III de l'article 14 précité de la loi du 5 août 2021 prévoit qu'un agent public ne satisfaisant pas à son obligation vaccinale fait l'objet d'une interdiction d'exercer et peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. L'interruption du versement de la rémunération prend fin dès que l'agent public satisfait à son obligation vaccinale. La période de suspension, à laquelle il est loisible à l'agent de mettre fin, n'est donc pas indéfinie et le préjudice financier en résultant n'est pas, à lui seul, suffisamment grave pour caractériser une méconnaissance par les dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des stipulations de la Convention d'Oviedo.

15. Ainsi les dispositions critiquées, dont la décision fait application, ont apporté au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l'objectif d'amélioration de la couverture vaccinale en vue de la protection de la santé publique et proportionnée à ce but. Par suite, le moyen tiré de l'incompatibilité des articles 12, 13 et 14 de la loi du 5 août 2021 avec l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 10 de la Convention d'Oviedo doit être écarté.

16. En septième lieu, M. A doit être regardé comme excipant de l'inconventionnalité de la loi du 5 août 2021 au regard des stipulations de l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et du règlement n° 2021/953 du 14 juin 2021 eu égard à la discrimination qu'elle crée. Eu égard à ce qui a été dit précédemment et alors que M. A se borne à soutenir qu'une discrimination est instituée entre les personnels vaccinés et non vaccinés, les dispositions de la loi du 5 août 2021 ne créent aucune discrimination prohibée par les dispositions précitées.

17. En huitième lieu, selon l'article 5 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 : " Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu'après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. / Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l'intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. / La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. ". Aux termes de son article 26 : " L'exercice des droits et les dispositions de protection contenus dans la présente

Convention ne peuvent faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé publique ou à la protection des droits et libertés d'autrui. / Les restrictions visées à l'alinéa précédent ne peuvent être appliquées aux articles 11, 13, 14, 16, 17, 19, 20 et 21. ". Ces stipulations créent des droits dont les particuliers peuvent directement se prévaloir.

18. Une vaccination obligatoire constitue une restriction au droit institué par l'article 5 de la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, qui peut être admise si elle remplit les conditions prévues à son article 26 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

19. Si M. A soutient que les bénéfices attendus des vaccins à acide ribonucléique (ARN) messager contre la covid-19 sont limités, tandis que les risques de moyen et de long terme liés à ces vaccins ne sont pas connus eu égard à leur caractère expérimental, d'une part, aucun des éléments qu'il apporte n'est de nature à remettre en cause le large consensus scientifique selon lequel la vaccination contre la covid-19 prémunit contre les formes graves de la maladie et présente des effets indésirables limités au regard de son efficacité et, d'autre part, la circonstance que ces vaccins feraient l'objet d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle ne saurait, en tout état de cause, conduire à les regarder comme expérimentaux. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'obligation vaccinale qu'institue l'instruction du 5 août 2021 serait incompatible avec les stipulations de l'article 5 de la Convention d'Oviedo ne peut qu'être écarté.

20. En neuvième lieu, M. A soutient que la décision attaquée est privée de base légale dès lors que la loi du 5 août 2021 sur laquelle elle se fonde n'était pas entrée en vigueur à cette date faute d'édiction d'un décret d'application, qu'elle prévoyait pourtant expressément, devant lui-même être pris après l'avis de la Haute autorité de santé. Toutefois, il est constant que les conditions de vaccination des personnels ont été précisées par un décret n° 2021-1059 du 7 août 2021, pris après des avis de la Haute autorité de santé des 4 et 6 août 2021. Par suite, le moyen doit être écarté comme manquant en fait.

21. En dixième lieu, M. A soutient que la décision attaquée est illégale en l'absence de vaccins disponibles propres à satisfaire l'obligation prescrite, les vaccins accessibles ne bénéficiant que d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle. Toutefois, ainsi qu'il a déjà été dit, la circonstance que les vaccins accessibles feraient l'objet d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle ne saurait, en tout état de cause, conduire à les regarder comme expérimentaux au sens de l'article L. 5121-1-1 du code de la santé publique. En ce sens, ils satisfont donc à l'obligation prescrite par la loi du 5 août 2021. Le moyen doit par suite être écarté.

22. En onzième lieu, M. A soutient que la décision méconnaît l'obligation de reclassement incombant à l'employeur. Toutefois, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 5 août 2021 ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire que l'employeur de l'agent public suspendu à défaut de respecter son obligation vaccinale serait soumis à une quelconque obligation de reclassement, obligation qui au demeurant ne s'applique que lorsqu'un avis d'inaptitude au travail est émis par le médecin du travail, après la visite nécessaire à sa constatation. Le moyen doit par suite être écarté. Par ailleurs contrairement à ce qui est soutenu, l'obligation de loyauté dans l'exercice de la relation de travail n'imposait pas à son employeur de lui proposer tout autre emploi vacant susceptible de lui être proposé.

23. En dernier lieu, à supposer que M. A entende soutenir que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au motif qu'il occupait depuis le 4 octobre 2021 un poste au sein de l'école Jourdain non soumis à l'obligation vaccinale à la suite de travaux entrepris au sein de la résidence pour l'autonomie des personnes âgées, il n'établit, face aux dénégations de la commune sur ce point, ni la réalité de son changement d'affectation, ni moins encore sa pérennité à la date d'édiction de la décision attaquée. Dans ces conditions, le moyen ne peut qu'être écarté.

24. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Fleury-les-Aubrais, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le requérant demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du requérant la somme demandée par la commune de Fleury-les-Aubrais sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Fleury-les-Aubrais présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C A et à la commune de Fleury-les-Aubrais.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Lefebvre-Soppelsa, présidente,

Mme Best-de Gand, première conseillère,

Mme Defranc-Dousset, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2024.

La présidente-rapporteure,

Anne LEFEBVRE-SOPPELSA

L'assesseure la plus ancienne,

Armelle BEST-DE GAND

Le greffier,

Vincent DUNET

La République mande et ordonne à la préfète du Loiret en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C