Conseil d'Etat

Décision du 5 mars 2024 n° 490142

05/03/2024

Renvoi

CONSEIL D'ETAT

statuant au contentieux

N° 490142

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 3ème et 8ème chambres réunies)

Sur le rapport de la 3ème chambre de la Section du contentieux

COMMUNE DE LA MADELEINE

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

M. B A a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler le premier paragraphe des articles 6 et 12, les articles 20 et 22, l'avant-dernier paragraphe des articles 28 et 30 et les articles 34 et 37 du règlement intérieur du conseil municipal de La Madeleine (Nord), adopté par une délibération du 12 octobre 2020 de ce conseil municipal. La commune de La Madeleine a soulevé en défense, par un mémoire distinct, enregistré le 16 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif de Lille, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 2123-24-2 du code général des collectivités territoriales.

Par une ordonnance n° 2008953 du 27 novembre 2023, enregistrée le 14 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Lille, avant qu'il soit statué sur la demande de M. A, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat cette question.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et un mémoire enregistré le 9 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de La Madeleine soutient que l'article L. 2123-24-2 du code général des collectivités territoriales, applicable au litige, méconnaît le principe d'égalité devant la loi.

Par un mémoire, enregistré le 6 février 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut à ce que la question prioritaire de constitutionnalité ne soit pas renvoyée au Conseil constitutionnel. Il soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question soulevée n'est ni nouvelle ni sérieuse.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à M. A, qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Levasseur, auditeur,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

3. Aux termes de l'article L. 2123-24-2 du code général des collectivités territoriales : " Dans des conditions fixées par leur règlement intérieur, le montant des indemnités de fonction que le conseil municipal des communes de 50 000 habitants et plus alloue à ses membres peut être modulé en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres. La réduction éventuelle de ce montant ne peut dépasser, pour chacun des membres, la moitié de l'indemnité pouvant lui être allouée ".

4. Les dispositions de l'article L. 2123-24-2 du code général des collectivités territoriales sont applicables au présent litige. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce que ces dispositions, en excluant les communes de moins de 50 000 habitants de la possibilité de moduler le montant des indemnités de fonction que le conseil municipal alloue à ses membres en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres, introduisent une différence de traitement qui n'est pas en rapport direct avec l'objectif que s'est assigné le législateur et qu'elles portent ainsi atteinte au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

D E C I D E :

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Article 1er : La question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 2123-24-2 du code général des collectivités territoriales est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de La Madeleine et à M. B A.

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au tribunal administratif de Lille.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 février 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, conseillers d'Etat et M. Paul Levasseur, auditeur-rapporteur.

Rendu le 5 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Paul Levasseur

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin

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