Conseil d'Etat

Décision du 5 mars 2024 n° 461548

05/03/2024

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Mme C B a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 22 juin 2017 par lequel le maire de Mauves-sur-Loire (Loire-Atlantique) a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire d'abaissement d'échelons. Par un jugement n° 1706502 du 22 juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 20NT02291 QPC du 3 décembre 2020, le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 89 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, dans sa rédaction issue de l'article 31 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019.

Par un arrêt n° 20NT02291 du 21 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par Mme B contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 février et 10 mai 2022 et le 21 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Mauves-sur-Loire la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 21 février 2022, présenté en application de l'article R* 771-16 du code de justice administrative, et un nouveau mémoire, enregistré le 21 mars 2023, Mme B conteste le refus opposé par le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 89 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, dans sa rédaction issue de l'article 31 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Jau, auditeur,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet François Pinet, avocat de Mme C B et à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de la commune de Mauves-sur-Loire ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B, qui a été recrutée à compter du 1er juin 2001 en qualité de secrétaire de mairie de la commune de Mauves-sur-Loire, a été promue au grade d'attaché en août 2003. Après un congé de maladie, elle a repris ses fonctions à mi-temps thérapeutique en juillet 2012 sur un poste de chargée de mission aux affaires juridiques. Par un arrêté du 12 novembre 2013, elle a fait l'objet d'une sanction disciplinaire consistant en un abaissement de cinq échelons. Par un jugement du 22 juillet 2015, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision au motif que la sanction prononcée présentait un caractère disproportionné. Ce jugement a été confirmé en appel par la cour administrative d'appel de Nantes le 17 mars 2017. Par un arrêté du 22 juin 2017, le maire de Mauves-sur-Loire a pris à l'encontre de Mme B une nouvelle sanction disciplinaire d'abaissement de deux échelons. Mme B se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 décembre 2021 ayant rejeté son appel contre le jugement du 22 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette nouvelle décision.

Sur la contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Il résulte en outre des dispositions de l'article 23-5 de cette ordonnance que, lorsque le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. A l'appui de son pourvoi, Mme B demande au Conseil d'Etat d'annuler l'ordonnance du 3 décembre 2020 par laquelle le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle avait soulevée, à l'appui de son appel formé contre le jugement du 22 juillet 2020 du tribunal administratif de Nantes, à l'encontre de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de l'article 31 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, et de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel. Elle soutient que ces dispositions présentent un caractère plus doux et méconnaissent, à défaut de leur reconnaître une portée imposant d'en faire application pour apprécier la légalité de la sanction qu'elle conteste, le principe de nécessité des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

4. Aux termes de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa rédaction issue de l'article 31 de la loi du 6 août 2019, désormais codifié aux articles L. 533-1, L. 533-2 et L. 533-3 du code général de la fonction publique : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : / Premier groupe : / l'avertissement ; / le blâme ; / l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ; / Deuxième groupe : / la radiation du tableau d'avancement ; / l'abaissement d'échelon à l'échelon immédiatement inférieur à celui détenu par l'agent ; / l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ; / Troisième groupe : / la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à un échelon correspondant à un indice égal ou immédiatement inférieur à celui détenu par l'agent ; / l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans ; / Quatrième groupe : / la mise à la retraite d'office ; / la révocation. / () / La radiation du tableau d'avancement peut également être prononcée à titre de sanction complémentaire d'une des sanctions des deuxième et troisième groupes. / L'exclusion temporaire de fonctions, qui est privative de toute rémunération, peut être assortie d'un sursis total ou partiel. Celui-ci ne peut avoir pour effet, dans le cas de l'exclusion temporaire de fonctions du troisième groupe, de ramener la durée de cette exclusion à moins d'un mois. L'intervention d'une exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ou d'une sanction disciplinaire des deuxième et troisième groupes pendant une période de cinq ans après le prononcé de l'exclusion temporaire entraîne la révocation du sursis. En revanche, si aucune sanction disciplinaire, autre que l'avertissement ou le blâme, n'a été prononcée durant cette même période à l'encontre de l'intéressé, ce dernier est dispensé définitivement de l'accomplissement de la partie de la sanction pour laquelle il a bénéficié du sursis ".

5. Par les dispositions citées au point 4, entrées en vigueur postérieurement à l'édiction de la sanction prise à l'encontre de Mme B, le législateur a, d'une part, supprimé la possibilité, pour l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, de prononcer un abaissement de plusieurs échelons et limité la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à un échelon correspondant à un indice égal ou immédiatement inférieur à celui détenu par l'agent, mais aussi, d'autre part, prévu que cette même autorité pouvait désormais, dans la fonction publique territoriale, prononcer la radiation du tableau d'avancement, y compris à titre de sanction complémentaire d'une des sanctions des deuxième et troisième groupes, et étendu les cas de révocation du sursis à exécuter une exclusion temporaire de fonctions au cas où l'agent serait puni d'une exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours dans les cinq ans. En apportant, par ces dispositions qui présentent un caractère indivisible, ces différentes modifications à l'échelle des sanctions disciplinaires susceptibles d'être infligées aux fonctionnaires, le législateur ne peut être regardé comme ayant entendu que soient infligées aux fonctionnaires ayant commis une faute des peines moins sévères que celles résultant des dispositions antérieurement en vigueur. Par suite, et en tout état de cause, les dispositions issues de l'article 31 de la loi du 6 août 2019 ne peuvent être regardées comme étant applicables au litige, au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

6. Il y a lieu de substituer ce motif, qui n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait et qui justifie sur ce point le dispositif de l'ordonnance attaquée, à celui retenu par le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes pour juger qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée. Par suite, Mme B n'est pas fondée à demander l'annulation de cette ordonnance.

Sur les autres moyens du pourvoi :

7. En premier lieu, aux termes de l'article R. 222-26 du code de justice administrative : " La chambre siège en formation de jugement sous la présidence de son président ou, en cas d'absence ou d'empêchement, d'un magistrat désigné à cet effet par le président de la cour et ayant au moins le grade de président ". Contrairement à ce que soutient la requérante, la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a pu régulièrement siéger sans que son président fût présent et le défaut de mention de la qualité d'assesseur de M. A n'entache pas son arrêt d'irrégularité.

8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la première sanction prise contre Mme B a été annulée au seul motif qu'elle n'était pas proportionnée aux fautes commises, sans que ne soit censurée aucune irrégularité dans la procédure préalable à son intervention. Dès lors, en jugeant que l'autorité disciplinaire, qui s'était bornée à inviter Mme B à consulter son dossier et présenter ses observations avant de reprendre une nouvelle sanction à raison des faits ayant donné lieu à la sanction annulée, n'avait pas à solliciter un nouvel avis du conseil de discipline, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

9. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que les dispositions de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984, telles que modifiées par l'article 31 de la loi du 6 août 2019, ne peuvent être regardées comme moins sévères pour les agents ayant commis une faute que les dispositions antérieurement en vigueur. Mme B n'est donc, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la cour aurait méconnu le principe d'application immédiate de la loi répressive nouvelle plus douce en n'en faisant pas application.

10. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier en estimant que la contestation, par Mme B, de l'impartialité du directeur général des services dans le cadre d'une procédure de passation d'un marché public n'était étayée par aucun élément de preuve n'est pas assorti de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé et ne peut donc qu'être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de Mme B doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la commune de Mauves-sur-Loire.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de Mme B est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Mauves-sur-Loire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme C B et à la commune de Mauves-sur-Loire.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au Premier ministre et au Conseil constitutionnel.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 février 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, conseillers d'Etat et M. Nicolas Jau, auditeur-rapporteur.

Rendu le 5 mars 2024

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Nicolas Jau

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin

Code publication

B