Tribunal administratif de Montpellier

Jugement du 4 mars 2024 n° 2202943

04/03/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 10 juin 2022, la société par actions simplifiée (SAS) Appart' City, représentée par Me Davidian, demande au tribunal :

1°) de prononcer la réduction de la cotisation supplémentaire de contribution économique territoriale à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2014 pour un montant de 77 792 euros ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- pour la détermination de la valeur ajoutée, conformément aux dispositions du 4 du I de l'article 1586 sexies du code général des impôts, elle peut déduire le produit des sous-locations des biens qu'elle propose pour une durée de plus de six mois, que la sous-location soit ou non effective pendant une telle durée ;

- ces dispositions, si elles sont interprétées comme imposant que la sous-location soit effective pendant une durée de six mois vont à l'encontre de l'objectif de la loi et portent atteinte au principe d'égalité devant la loi fiscale ;

- l'appréciation de cette durée de six mois s'effectue au niveau de la résidence de tourisme et non pas au niveau de chaque appartement donné en sous-location ;

- ces dispositions, si elles sont interprétées comme signifiant que la durée de six mois s'apprécie au niveau de chaque appartement, portent atteinte à sa liberté de gestion commerciale ;

- les taux moyens d'occupation de plus de 50% à l'échelle des résidences qu'elle produit lui permettent de déduire les loyers versés pour le calcul de la valeur ajoutée ;

- selon la doctrine administrative exprimée dans le BOI-CVAE-BASE-20 du 23 septembre 2014 et notamment son paragraphe n°280, il suffit que les biens soient seulement proposés à la sous-location pour que les loyers soient admis en déduction de sa valeur ajoutée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2022, le directeur départemental des finances publiques de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Appart' City ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Viallet, rapporteure,

- et les conclusions de Mme Villemejeanne, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Appart' City exploite des résidences de tourisme classées composées d'appartements qu'elle prend à bail auprès d'investisseurs particuliers pour les proposer, sous une forme quasi-hôtelière, en sous-location à une clientèle pour des séjours d'une nuit à plusieurs semaines. Après avoir été assujettie à une cotisation supplémentaire de contribution économique territoriale au titre de l'année 2014, elle a demandé à bénéficier, sur le fondement de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, du plafonnement de la contribution en fonction de la valeur ajoutée. Par sa requête, la SAS Appart' City demande au tribunal de prononcer la réduction de la cotisation supplémentaire de contribution économique territoriale à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2014 pour un montant de 77 792 euros.

Sur les conclusions à fin de réduction :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1647 B sexies du code général des impôts : " I. Sur demande du redevable effectuée dans le délai légal de réclamation prévu pour la cotisation foncière des entreprises, la contribution économique territoriale de chaque entreprise est plafonnée en fonction de sa valeur ajoutée. Cette valeur ajoutée est () b) Pour les autres contribuables, celle définie à l'article 1586 sexies () ". Le 1 du I de l'article 1586 quinquies du même code dispose que : " () la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est déterminée en fonction du chiffre d'affaires réalisé et de la valeur ajoutée produite au cours de l'année au titre de laquelle l'imposition est établie ou au cours du dernier exercice de douze mois clos au cours de la même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année civile ". Aux termes du 4 du I de l'article 1586 sexies du même code : " La valeur ajoutée est égale à la différence entre : a) D'une part, le chiffre d'affaires () / b) Et, d'autre part : () - les services extérieurs diminués des rabais, remises et ristournes obtenus, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus en six mois () ; toutefois, lorsque les biens pris en location par le redevable sont donnés en sous-location pour une durée de plus de six mois, les loyers sont retenus à concurrence du produit de cette sous-location () ".

3. Il ressort clairement de ces dispositions que, pour la détermination de la valeur ajoutée servant au plafonnement de la contribution économique territoriale, le locataire intermédiaire peut déduire les loyers afférents aux biens pris en location et donnés en sous-location, dans la limite du produit de cette sous-location, à la condition que ces biens aient été sous-loués pour une durée de plus de six mois. Pour apprécier si cette condition est satisfaite lorsqu'un même bien fait l'objet de plusieurs sous-locations au cours de l'année ou de l'exercice de référence, il y a lieu de retenir la durée globale de sous-location de ce bien et non la durée propre à chaque sous-location. Il ne ressort donc pas de ces dispositions, même interprétées à la lumière des travaux parlementaires dont se prévaut la société Appart' City, que la durée de six mois devrait inclure les périodes où les biens, bien que proposés à la sous-location, n'ont pas été effectivement sous-loués.

4. En outre, nonobstant les circonstances invoquées par la société Appart' City selon lesquelles les choix des clients sont davantage déterminés par la résidence que par les appartements eux-mêmes et que la résidence est l'unité de gestion pertinente de son activité, il ressort de ces dispositions que cette durée doit s'apprécier pour chaque bien qui, par contrat, a été donné en sous-location. En l'espèce, il est constant que les biens en cause, pris en location et donnés en sous-location, sont des appartements situés à l'intérieur de résidences de tourisme. La durée de sous-location doit ainsi s'apprécier pour chaque appartement.

5. Les pièces produites par la société dans le cadre de sa réclamation contentieuse, constituées du tableau récapitulatif des taux annuels d'occupation des résidences et des extractions de son logiciel d'exploitation, ne permettent pas de déterminer les appartements donnés en sous-location pendant une durée supérieure à six mois. Par suite, la société Appart' City n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a réintégré dans la valeur ajoutée constatée à la clôture de l'exercice 2014 les charges de location à concurrence du produit des sous-locations des appartements en cause.

6. En second lieu, aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". L'article R. 771-3 du code de justice administrative dispose que : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention de la question : " question prioritaire de constitutionnalité " ". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1 ".

7. En estimant que les impositions contestées, dès lors qu'elles apprécient la durée de six mois au niveau de chaque appartement et n'incluent que les périodes où ils ont été effectivement sous-loués, méconnaissent respectivement l'exercice de la liberté du commerce et d'industrie, qui est une composante de la liberté d'entreprendre, et le principe de l'égalité devant l'impôt, la société Appart' City doit être regardée comme soutenant que les dispositions du 4 du I de l'article 1586 sexies du code général des impôts, qui fondent les impositions contestées, méconnaissent ces droits et libertés garantis par la Constitution. La société n'ayant pas présenté ces moyens par un mémoire distinct, ils sont donc irrecevables.

En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :

8. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, applicable en l'espèce : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente () ".

9. Les énonciations du point 280 de la doctrine administrative référencée BOI-CVAE-BASE-20 du 23 septembre 2014 ne comportent aucune interprétation différente de la loi dont il a été fait application dans le présent jugement. Par suite la requérante n'est pas fondée à s'en prévaloir.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin de réduction de la cotisation supplémentaire de contribution économique territoriale à laquelle la SAS Appart' City a été assujettie au titre de l'année 2014 doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont la SAS Appart' City demande le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société par actions simplifiée Appart' City est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société par actions simplifiée Appart' City et au directeur départemental des finances publiques de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 12 février 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rabaté, président,

Mme Pater, première conseillère,

Mme Viallet, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mars 2024.

La rapporteure,

ML. VialletLe président,

V. Rabaté

Le greffier,

 

F. Balicki

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 5 mars 2024.

Le greffier,

F. Balickifb

Code publication

C