Cour administrative d'appel de Toulouse

Arrêt du 29 février 2024 n° 22TL21477

29/02/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B A a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti avec son épouse au titre de l'année 2014.

Par un jugement n° 2002948 du 19 avril 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 juin 2022, et un mémoire complémentaire enregistré le 8 janvier 2024, M. A, représenté par Me Belaïche, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge ou la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti avec son épouse au titre de l'année 2014 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la plus-value réalisée à l'occasion de la vente immobilière du 6 octobre 2014 relevait du dispositif d'exonération de l'impôt sur le revenu prévue au 1° bis du II de l'article 150 U du code général des impôts ;

- le montant de la plus-value retenu par l'administration fiscale, qui prend en compte la valeur de l'apport du bien immobilier à la société civile immobilière " Maison n° 7 " et non la valeur réelle des droits sociaux rémunérant l'apport, ni celle du bien, est exagéré ;

- les instructions référencées BOI-RFPI-PVI-20-10-20-10 n° 100 du 12 septembre 2012 et BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-20 n° 20 du 20 décembre 2019 prévoient que le prix d'acquisition est constitué par la valeur réelle des droits sociaux rémunérant l'apport.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 8 janvier 2024, M. A demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des 1° et 1° bis du II de l'article 150 U du code général des impôts.

Il soutient que :

- ces dispositions portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- ces griefs présentent un caractère sérieux.

Par un mémoire, enregistré le 24 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la demande de transmission présentée par M. A.

Il soutient que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ainsi que son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lafon,

- et les conclusions de M. Clen, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A fait appel du jugement du 19 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à la décharge ou la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti avec son épouse au titre de l'année 2014. Ces suppléments procèdent de l'imposition de la plus-value réalisée à l'occasion de la vente, le 6 octobre 2014, par la société civile immobilière " Maison n° 7 ", dont ils étaient les deux associés, d'une maison d'habitation située à Toulouse (Haute-Garonne).

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. / En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation () ".

3. Aux termes de l'article 150 U du code général des impôts : " I.- Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices agricoles et aux bénéfices non commerciaux, les plus-values réalisées par les personnes physiques ou les sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter, lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis ou de droits relatifs à ces biens, sont passibles de l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues aux articles 150 V à 150 VH. / () II.- Les dispositions du I ne s'appliquent pas aux immeubles, aux parties d'immeubles ou aux droits relatifs à ces biens : / 1° Qui constituent la résidence principale du cédant au jour de la cession ; / 1° bis Au titre de la première cession d'un logement, y compris ses dépendances immédiates et nécessaires au sens du 3° si leur cession est simultanée à celle dudit logement, autre que la résidence principale, lorsque le cédant n'a pas été propriétaire de sa résidence principale, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession. / L'exonération est applicable à la fraction du prix de cession défini à l'article 150 VA que le cédant remploie, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la cession, à l'acquisition ou la construction d'un logement qu'il affecte, dès son achèvement ou son acquisition si elle est postérieure, à son habitation principale. En cas de manquement à l'une de ces conditions, l'exonération est remise en cause au titre de l'année du manquement () ".

4. M. A soutient que ces dispositions instituent une différence de traitement entre les contribuables selon qu'ils sont ou non soumis à mobilités professionnelles. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

5. Les plus-values réalisées par les personnes physiques lors de la cession de biens immobiliers sont, en principe, passibles de l'impôt sur le revenu, en application du paragraphe I de l'article 150 U du code général des impôts. Par exception, la plus-value nette réalisée par ces personnes lors de la cession d'un bien constituant leur résidence principale au jour de la cession est intégralement exonérée d'impôt sur le revenu en vertu du 1° du II du même article. Selon une jurisprudence constante, cette exonération s'applique y compris lorsque la cession intervient après que le contribuable a libéré les lieux, à condition que le délai pendant lequel l'immeuble est demeuré inoccupé puisse être regardé comme normal. Il résulte par ailleurs des dispositions du 1° bis du II de l'article 150 U que l'octroi d'une exonération d'impôt sur le revenu d'une fraction du prix de vente lors de la première cession d'un logement autre que la résidence principale est subordonné aux conditions que le cédant n'ait pas été propriétaire de sa résidence principale, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession et que cette fraction soit remployée à l'acquisition ou la construction de son habitation principale dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la cession.

6. Les dispositions contestées ne font ainsi pas obstacle, par principe, à ce qu'une personne physique faisant l'objet d'une mutation professionnelle imposée bénéficie de l'exonération qu'elles prévoient. Par ailleurs, en réservant le bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu des plus-values réalisées par les personnes physiques lors de la vente de leur résidence principale ou lors de la première cession d'un logement autre que la résidence principale aux contribuables qui n'ont détenu aucun droit réel sur cette résidence, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession, le législateur, qui a entendu ne pas assimiler à un revenu le produit de la cession d'une résidence principale et qui s'est fixé comme objectif de favoriser l'accès à la propriété de la résidence principale, s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels au regard des buts poursuivis. S'il en résulte une différence de traitement entre les contribuables qui, pour quelque raison que ce soit, cèdent ou acquièrent un bien immobilier qui, en dépit même de leur intention, ne constitue pas leur résidence principale et ceux qui remplissent ces conditions, celle-ci est justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. Au surplus, le législateur a, dans ce cadre, adopté des modalités d'imposition qui ne revêtent pas un caractère confiscatoire ni ne font peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.

7. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de ce que les dispositions contestées méconnaitraient les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques ne présentent pas un caractère sérieux. En conséquence, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le principe de l'imposition :

8. Il résulte des dispositions du 1° bis du II de l'article 150 U du code général des impôts, ainsi que de ce qui a été dit au point 5, que l'octroi d'une exonération d'impôt sur le revenu d'une fraction du prix de vente lors de la première cession d'un logement autre que la résidence principale est notamment subordonné à la condition que cette fraction soit remployée à l'acquisition ou la construction de l'habitation principale du cédant dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la cession.

9. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si un contribuable remplit les conditions légales d'une exonération.

10. Il résulte de l'instruction que l'épouse de M. A a acquis, le 27 janvier 2015, un bien dans un ensemble immobilier situé 4 boulevard de la Turbie à Beausoleil (Alpes-Maritimes). Il n'est pas contesté que cette acquisition a été en partie financée par l'intégralité du produit de la cession du 6 octobre 2014. Toutefois, M. et Mme A ont déclaré que leur résidence principale était située 2 place Paul Baronetto à Cap d'Ail (Alpes-Maritimes) jusqu'en 2015, puis, à compter du 1er janvier 2016, 24 rue de l'Orangerie à Versailles (Yvelines), dans un logement qu'ils louaient. Ces déclarations ne sont pas remises en cause par l'assujettissement, d'ailleurs non établi, de Mme A à la taxe d'habitation à raison du bien situé à Beausoleil. Dans ces conditions, M. et Mme A, qui ne peuvent utilement se prévaloir de leur prétendue intention de s'installer dans ce bien, doivent être regardés comme ne remplissant pas la condition du remploi de la fraction du prix de cession à l'acquisition ou la construction d'un logement affecté à leur habitation principale. Il s'ensuit que, pour ce seul motif, c'est à bon droit que l'administration fiscale a remis en cause le bénéfice de l'exonération de l'imposition de la plus-value réalisée lors de la cession du 6 octobre 2014.

En ce qui concerne le montant de la plus-value imposable :

11. Aux termes de l'article 150 V du code général des impôts : " La plus ou moins-value brute réalisée lors de la cession de biens ou droits mentionnés aux articles 150 U à 150 UC est égale à la différence entre le prix de cession et le prix d'acquisition par le cédant ". L'article 150 VB du même code dispose que : " I.- Le prix d'acquisition est le prix effectivement acquitté par le cédant, tel qu'il est stipulé dans l'acte () ".

12. Il résulte de l'instruction que M. A a apporté à la société " Maison n° 7 ", lors de sa constitution du 23 janvier 2009, la maison d'habitation située à Toulouse. Pour déterminer le montant de la plus-value réalisée à l'occasion de la vente du 6 octobre 2014, l'administration fiscale a retenu un prix d'acquisition d'une somme de 250 000 euros, majorée du coût de travaux de rénovation et d'amélioration. La seule production par M. A d'une étude des Notaires de France relative à l'évolution des prix de l'immobilier dans les métropoles françaises entre 1998 et 2016, dont il déduit, à partir du prix de vente du 6 octobre 2014, que la valeur du bien en 2009 serait de 563 283,536 euros, ne permet pas de remettre en cause la valeur du prix d'acquisition retenue par l'administration, conformément aux mentions de l'acte authentique du 23 janvier 2009. La valeur des droits sociaux rémunérant l'apport a d'ailleurs été confirmée lors de la cession, par acte authentique du 14 mai 2009, de la moitié des parts sociales que M. A détenait dans la société. Il s'en déduit que le moyen, tiré de la prise en compte par l'administration fiscale, d'une valeur erronée du prix d'acquisition, doit être écarté.

13. M. A n'est pas fondé à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe 100 de l'instruction référencée BOI-RFPI-PVI-20-10-20-10 du 12 septembre 2012, qui précise que " Le prix d'acquisition est constitué par la valeur réelle des droits sociaux rémunérant l'apport (c'est-à-dire la valeur du bien apporté) " et qui ne peut être regardée comme comportant une interprétation différente de celle qui résulte de la loi fiscale dont il a été fait application. Il n'est pas davantage fondé à se prévaloir du paragraphe 20 de l'instruction référencée BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-20 du 20 décembre 2019, qui concerne les plus-values sur biens meubles incorporels.

14. Il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par M. A est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 8 février 2024, où siégeaient :

- M. Lafon, président assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Restino, première conseillère,

- Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 février 2024.

Le président rapporteur,

N. Lafon

L'assesseure la plus ancienne

dans l'ordre du tableau,

V. Restino

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22TL21477

Code publication

C