Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 28 février 2024 n° 24PA00003

28/02/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

4. Aux termes de l'article L.76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. ".

5. En premier lieu, la société requérante fait valoir qu'une discrimination à rebours résulte du fait que ces dispositions, telles qu'interprétées par le juge de l'impôt, prévoient que l'information et la communication doivent concerner les documents qui ont permis de fonder le rehaussement, en excluant les documents obtenus de tiers pouvant être utiles à la défense du contribuable, alors que, dans le cas d'un impôt régi par le droit de l'Union européenne, un contribuable peut, en vertu de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, obtenir, dans un délai suffisant pour lui laisser le temps de préparer sa défense, les documents en possession de l'administration pouvant lui être utile. Toutefois, la circonstance que par un arrêt du 16 octobre 2019 Glencore Agriculture Hungary (aff. C-189/18), la Cour de justice de l'Union européenne ait dit pour droit que le principe de protection juridictionnelle effective figurant à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, applicable à la taxe sur la valeur ajoutée, régie par le droit de l'Union européenne " a pour corollaire le droit d'accès au dossier au cours de la procédure administrative " et que, dans un litige de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée " le respect des droits de la défense n'impose pas à l'administration fiscale une obligation générale de fournir un accès intégral au dossier dont elle dispose, mais exige que l'assujetti ait la possibilité de se voir communiquer, à sa demande, les informations et les documents se trouvant dans le dossier administratif et pris en considération par cette administration en vue d'adopter sa décision, lesquels incluent en principe non seulement l'ensemble des éléments du dossier sur lesquels l'administration fiscale entend fonder sa décision mais aussi ceux qui, sans fonder directement sa décision, peuvent être utiles à l'exercice des droits de la défense ", n'est, en tout état de cause, pas de nature à créer une différence de traitement entre sociétés se trouvant, au regard de l'objet de la loi fiscale, da[BI1]ns la même situation.

6. En second lieu, la société requérante soutient que les dispositions de l'article

L. 76 B du livre des procédures fiscales, telles qu'interprétées par le juge de l'impôt, portent atteinte au principe constitutionnel des droits de la défense découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Toutefois, le principe constitutionnel du respect des droits de la défense garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ne s'applique pas aux décisions émanant des autorités administratives, sauf lorsqu'elles prononcent une sanction ayant le caractère d'une punition. Par suite, il ne saurait être utilement invoqué à l'encontre des dispositions contestées, en tant qu'elles régissent la procédure administrative d'établissement de l'impôt. [BI2]

7. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, par suite, de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Sarl France Terrassement.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Sarl France Terrassement et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.

Fait à Paris, le 28 février 2024.

Le président de la 2ème chambre

de la Cour administrative d'appel de Paris,

Isabelle BROTONS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

[BI1]CE 443200

[BI2]CE 416152 QPC