Tribunal administratif de Strasbourg

Jugement du 23 février 2024 n° 2107429

23/02/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 octobre 2021 et 9 mai 2022, Mme D B, représentée par Me Choffel, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 16 septembre 2021 par laquelle la directrice générale du centre hospitalier régional de Metz-Thionville l'a suspendue sans traitement de ses fonctions à compter du 20 septembre 2021 ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional de Metz-Thionville la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) de condamner le centre hospitalier régional de Metz-Thionville aux entiers frais et dépens.

Elle soutient que :

- la décision a été signée par une autorité incompétente ;

- la décision est entachée d'un défaut de base légale en ce qu'en l'absence de décret d'application permettant aux personnels de justifier de leur situation sans violer le secret médical, la loi du 5 août 2021 n'est pas applicable et le décret du 7 août 2021 ne peut constituer le décret d'application prévu par celle-ci ;

- la décision attaquée repose sur une loi qui méconnaît les libertés fondamentales telles que l'égalité ainsi que le droit au travail ;

- la loi du 5 août 2021 crée une rupture d'égalité entre les agents ;

- la loi du 5 août 2021 méconnaît les dispositions de la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 ;

- elle méconnaît les dispositions de la directive du 4 avril 2001 relative à la conduite d'essais cliniques de médicaments à usage humain ainsi que les dispositions de la résolution n°2361 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adoptée le 27 janvier 2021 ;

- la décision attaquée est une sanction déguisée ;

- la décision est insuffisamment motivée ;

- la loi du 5 août 2021 méconnaît le principe du contradictoire les dispositions de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi du 5 août 2021 méconnaît le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

- la décision attaquée est disproportionnée ;

- la décision attaquée méconnaît le principe d'égalité dès lors que la loi du 5 août 2021 n'est plus appliquée au sein du centre hospitalier universitaire de la Martinique depuis le 18 octobre 2021.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2021, le centre hospitalier régional de Metz-Thionville conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 21 avril 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 mai 2022 à 12 heures 00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention d'Oviedo du 4 avril 19997 ;

- la directive 2001/20/CE du 4 avril 2001 ;

- le règlement (UE) n°726/2004 du 31 mars 2004 ;

- le règlement (UE) n°507/2006 du 29 mars 2006 ;

-le code de la santé publique ;

- la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n°2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le décret n°2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Carrier,

- les conclusions de Mme Milbach, rapporteure publique,

- et les observations de Me Juliac-Degrelle, substituant Me Choffel et représentant Mme B.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B travaille au sein du centre hospitalier régional de Metz-Thionville en tant qu'adjoint administratif. Par une décision du 16 septembre 2021, la directrice générale du centre hospitalier régional de Metz-Thionville l'a suspendue de ses fonctions à compter du 20 septembre 2021 et jusqu'à ce qu'elle produise un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la COVID-19 répondant aux conditions réglementaires. Mme B demande l'annulation de cette décision.

2. En premier lieu, par une décision du 21 juin 2021, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Moselle du 22 juin 2021, la directrice générale du centre hospitalier régional de Metz-Thionville a donné délégation à M. A E, directeur général adjoint, " à l'effet de signer tous documents, actes et décisions relevant des fonctions de la direction générale et de la direction commune CHR Metz-Thionville () et notamment tous les actes liés à la fonction de gestion et de nomination des personnels, les attestations, conventions (). ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de M. E, signataire de la décision attaquée, doit être écarté.

3. En deuxième lieu, une loi régulièrement adoptée en application des articles 34 et suivants de la Constitution de 1958 par le législateur peut nécessiter l'édiction de décrets d'application par le pouvoir réglementaire afin de permettre son exécution par les autorités qui en seront chargées. La loi est cependant d'application directe, indépendamment de tout décret, dès lors que celle-ci est suffisamment claire et précise pour être exécutée.

4. En l'espèce, la décision attaquée a été prise en application de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 et du décret n° 2010-1059 du 7 août 2021. À la lecture de ces dispositions, il y a lieu de considérer ces normes comme étant suffisamment précises pour qu'elles soient d'application directe. Par conséquent, le moyen tiré de l'absence d'un décret d'application ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ". ".

6. Mme B, qui soutient que la décision attaquée méconnaît les principes constitutionnels d'égalité, de droit au travail et d'interdiction pour tout État de priver les travailleurs d'une rémunération ou d'une protection sociale, conteste en réalité le principe même de l'obligation vaccinale posée par la loi du 5 août 2021. Ce moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi du 5 août 2021 n'a pas été présenté par un mémoire distinct. Il est par suite irrecevable et ne peut qu'être écarté.

7. En quatrième lieu, l'article 13 de la loi du 5 août 2021 charge les employeurs de contrôler le respect de l'obligation par les personnes placées sous leur responsabilité. Il prévoit que les agents ou salariés présentent un certificat de statut vaccinal, ou un certificat de rétablissement, ou un certificat médical de contre-indication. Il fait obligation aux employeurs de s'assurer de la conservation sécurisée de ces documents. Les agents ou les salariés peuvent transmettre le certificat de rétablissement ou le certificat médical de contre-indication au médecin du travail compétent, qui informe l'employeur du fait que l'obligation a été satisfaite. Il résulte de ces dispositions que l'employeur ne saurait avoir accès à aucune autre donnée de santé. L'article 2-3 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021, applicable au contrôle de l'obligation vaccinale en vertu de son article 49-1, énumère limitativement les informations auxquelles les personnes et services autorisés à contrôler les justificatifs ont accès. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du secret médical protégé par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique doit être écarté.

8. En cinquième lieu, la requérante soutient que l'obligation vaccinale résultant de la loi du 5 août 2021 et servant de fondement à la décision attaquée est contraire aux dispositions de la convention d'Oviedo, à la directive 2001/20/CE et à la résolution n°2361 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adoptée le 27 janvier 2021. Ces textes invoqués par la requérante imposent de recueillir le consentement libre et éclairé de toute personne avant de procéder à un essai clinique ou à une intervention dans le domaine de la santé ou des recherches scientifiques.

9. En l'espèce, les vaccins contre la COVID-19 autorisés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché par l'Agence européenne du médicament, en considération d'un rapport bénéfice/risque positif. Si l'autorisation est conditionnelle, il ne s'ensuit pas pour autant que les vaccins auraient un caractère expérimental. En vertu du règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, celle-ci ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif. La vaccination contre la COVID-19, dont l'efficacité au regard des objectifs est établie en l'état des connaissances scientifiques, n'est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires. Il s'ensuit, contrairement à ce que soutient la requérante, que les vaccins mis sur le marché ne peuvent être regardés comme étant des médicaments expérimentaux utilisés dans le cadre d'un essai clinique imposant le consentement libre et éclairé du patient. Dès lors, le moyen repris au point précédent est inopérant et doit être écarté.

10. En sixième lieu, il résulte des dispositions précitées des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, d'une part, qu'il appartient aux établissements de soins de contrôler le respect de l'obligation vaccinale de leurs personnels soignants et agents publics et, le cas échéant, de prononcer une suspension de leurs fonctions jusqu'à ce qu'il soit mis fin au manquement constaté et, d'autre part, que l'appréciation selon laquelle les personnels ne remplissent pas les conditions posées par ces dispositions, ne résulte pas d'un simple constat, mais nécessite non seulement l'identification du cas, parmi ceux énumérés par le I de l'article 13, dans lequel se trouve l'agent, mais également l'examen de la validité des justificatifs en matière vaccinale ou de contre-indications médicales produits le cas échéant par l'agent au regard de ces dispositions législatives et des dispositions réglementaires prises pour leur application.

11. En l'espèce, lorsque l'autorité investie du pouvoir de nomination prononce la suspension d'un agent public en application de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, la décision litigieuse doit s'analyser comme une mesure prise dans l'intérêt du service et de la politique sanitaire, destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de COVID-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire, et n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautif commis par cet agent. Reposant sur un régime juridique propre, cette mesure de suspension, qui constate le non-respect par l'agent de l'obligation vaccinale imposée par le dispositif légal susmentionné, est limitée à la période au cours de laquelle l'agent s'abstient de se conformer aux obligations qui sont les siennes en application des dispositions précitées. Dès lors, la décision de suspension attaquée n'a pas le caractère d'une sanction administrative qui eût nécessité le respect des garanties procédurales attachées à la procédure disciplinaire ou aux droits de la défense et n'a pas davantage la nature d'une mesure prise en considération de la personne qui eût justifié le respect d'une procédure contradictoire préalable. Les moyens tirés de la qualification de la décision comme étant une sanction disciplinaire ou, à défaut, une mesure conservatoire ainsi que la privation de telles garanties procédurales sont, par suite, sans incidence sur la légalité de la décision contestée et doivent être écartés.

12. En septième lieu, l'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou COVID-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 5 août 2021 que l'accès volontaire aux vaccins, qui était initialement l'approche privilégiée, n'a pas permis d'atteindre une couverture vaccinale suffisante, notamment parmi les soignants, pour endiguer les vagues épidémiques. En adoptant, pour l'ensemble des professionnels des secteurs sanitaire et médico-social, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de COVID-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale, protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des patients et notamment des personnes vulnérables (immunodéprimées, âgées), protéger également la santé des professionnels de santé, qui sont particulièrement exposés au risque de contamination compte tenu de leur activité, et diminuer ainsi le risque de saturation des capacités hospitalières. Par suite, et alors que la circonstance selon laquelle Mme B occupe un poste de personnel administratif est sans incidence sur l'obligation vaccinale qui pèse sur elle, la requérante ne peut soutenir que la décision attaquée est disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi et le moyen ne peut qu'être écarté.

13. En huitième lieu, Mme B soutient que la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée au principe d'égalité de traitement dès lors que les dispositions de la loi du 5 août 2021 et du décret d'application du 7 août 2021 ne sont plus appliquées au sein du centre hospitalier universitaire de la Martinique depuis le 18 octobre 2021, le directeur général de l'établissement ayant autorisé l'accès aux locaux sur présentation d'un test de dépistage. Toutefois, il n'est pas démontré ni même allégué que le centre hospitalier de Pertuis et celui de la Martinique se trouvaient, à la date du 18 octobre 2021, dans la même situation de tension sur les effectifs. Par ailleurs, la mise en œuvre de l'obligation vaccinale des personnels des établissements de santé en Martinique a été reportée au 31 décembre 2021. Ainsi, en présence de situations de fait et de droit différentes, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ainsi soulevé ne peut qu'être écarté.

14. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, les conclusions à fin d'annulation formulées par Mme B doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

15. La présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, les conclusions présentées par Mme B sur le fondement des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative sont irrecevables et doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme D B et au centre hospitalier régional de Metz-Thionville.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Carrier, président,

M. Gros, conseiller,

Mme Klipfel, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2024.

Le président-rapporteur,

C. CARRIER

Le premier assesseur,

T. GROS

Le greffier,

P. HAAG

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

N°2107429

Code publication

C