Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 19 février 2024 n° 23PA03276

19/02/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B A a demandé au Tribunal administratif de Melun de prononcer, d'une part, la décharge, en droits, intérêts et majorations, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2015 et 2016, d'autre part, la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période courue du 1er janvier 2015 au 31 octobre 2017.

Par un jugement n° 1908668/2 du 22 juin 2023, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2023, M. A, représenté par la SCP Nataf et Planchat, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 juin 2023 ;

2°) de prononcer la décharge, en droits, intérêts de retard et majorations, des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Par deux mémoires distincts, enregistrés les 10 janvier et 13 février 2024, M. A, représenté par la SCP Nataf et Planchat, demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du premier alinéa de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales.

Il soutient que ces dispositions sont applicables au litige, que dans sa décision n° 90-286 DC du 28 décembre 1990, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité de ces dispositions au regard du principe des droits de la défense et de l'atteinte au principe d'égalité devant la justice, mais pas au regard du principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ni au regard du principe de la légalité des peines, qui font l'objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité aux motifs que les dispositions litigieuses prévoient pour le juge de l'impôt une simple possibilité, mais pas une obligation, de prononcer la décharge des majorations et amendes lorsqu'une erreur non substantielle a été commise dans la procédure d'imposition.

Par des observations en réponse, enregistrées le 12 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour de ne pas faire droit à la transmission demandée.

Il soutient que la question soulevée n'est pas applicable au litige, que le Conseil constitutionnel a déjà examiné ces dispositions dans sa décision n° 90-286 DC du 28 décembre 1990 et qu'il ne les a pas déclarées contraires à la Constitution et que la question est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

4. Aux termes de l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. L'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales dispose que : " La juridiction saisie peut, lorsqu'une erreur non substantielle a été commise dans la procédure d'imposition, prononcer, sur ce seul motif, la décharge des majorations et amendes, à l'exclusion des droits dus en principal et des intérêts de retard. / Elle prononce la décharge de l'ensemble lorsque l'erreur a eu pour effet de porter atteinte aux droits de la défense ou lorsqu'elle est de celles pour lesquelles la nullité est expressément prévue par la loi ou par les engagements internationaux conclus par la France ".

6. M. A soutient que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales méconnaissent le principe d'égalité devant la loi au motif qu'en cas d'erreur non substantielle commise par l'administration fiscale, ces dispositions laissent à la seule appréciation du juge le soin de décider s'il y a lieu ou non de prononcer la décharge des majorations et amendes infligées à un contribuable.

7. Il résulte de ces dispositions qu'elles ne trouvent à s'appliquer que dans les hypothèses où l'administration a commis, au cours de la procédure d'établissement de l'impôt, une simple erreur non substantielle, notion qui ne se confond pas avec celle d'irrégularité, laquelle suppose la méconnaissance d'une règle de procédure prévue notamment par le livre des procédures fiscales.

8. En l'espèce, M. A fait grief à l'administration fiscale d'avoir recouru à la procédure d'évaluation d'office prévue par l'article L. 73 du livre des procédures fiscales s'agissant des suppléments litigieux d'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, sans que lui eût été adressée au préalable la mise en demeure prévue par les dispositions de l'article L. 68 de ce livre auxquelles renvoie le dernier alinéa de l'article L. 73 de ce livre.

9. Compte tenu de ce qui a été dit au point 7, une telle irrégularité n'est pas constitutive d'une erreur non substantielle au sens des dispositions arguées d'inconstitutionnalité par M. A, sans qu'ait d'incidence, à cet égard, la circonstance que, dans les faits, le service aurait accordé à l'intéressé les garanties inhérentes à la procédure de rectification contradictoire, ce qui pose alors la question de savoir si cette erreur a eu pour effet de porter atteinte aux droits de la défense et ressortit, par suite, non pas aux dispositions du premier alinéa de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales, mais à celles du second alinéa de cet article.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée n'est pas applicable au litige. Il n'y a dès lors pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction départementale des finances publiques de Seine-et-Marne.

Fait à Paris, le 19 février 2024.

Le président,

B. AUVRAY

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. QPC