Conseil d'Etat

Décision du 16 février 2024 n° 489634

16/02/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

L'Association de l'école démocratique Ma voie, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Savoie du 28 septembre 2022, pris sur le fondement du IV de l'article L. 442-2 du code de l'éducation, portant fermeture administrative de l'établissement d'enseignement privé hors contrat " Ecole Ma voie " géré par cette association à Ayn (Savoie), a produit un mémoire, enregistré le 17 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif de Grenoble, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2207063 du 22 novembre 2023, enregistrée le 24 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Grenoble, avant qu'il soit statué sur la demande de l'Association de l'école démocratique Ma voie, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du IV de l'article L. 442-2 du code de l'éducation.

Par le mémoire transmis et par un nouveau mémoire, enregistré le 26 janvier 2024, l'Association de l'école démocratique Ma voie soutient que le IV de l'article L. 442-2 du code de l'éducation, dans sa rédaction issue du e) du 4° du I de l'article 53 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, applicable au litige, méconnaît le principe de la liberté de l'enseignement, les droits garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la liberté d'association, la liberté d'entreprendre, le principe de légalité des délits et des peines et les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines.

Par un mémoire, enregistré le 19 décembre 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question n'est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de l'association de l'école démocratique Ma Voie ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du I de l'article L. 442-2 du code de l'éducation : " Mis en œuvre sous l'autorité conjointe du représentant de l'Etat dans le département et de l'autorité compétente en matière d'éducation, le contrôle de l'Etat sur les établissements d'enseignement privés qui ne sont pas liés à l'Etat par contrat se limite aux titres exigés des directeurs et des enseignants, à l'obligation scolaire, à l'instruction obligatoire, qui implique l'acquisition progressive du socle commun défini à l'article L. 122-1-1, au respect de l'ordre public, à la prévention sanitaire et sociale et à la protection de l'enfance et de la jeunesse, notamment contre toute forme de harcèlement scolaire ". Le III du même article prévoit que " L'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation prescrit le contrôle des classes hors contrat afin de s'assurer que l'enseignement qui y est dispensé respecte les normes minimales de connaissances requises par l'article L. 131-1-1 du code de l'éducation et que les élèves de ces classes ont accès au droit à l'éducation tel que celui-ci est défini par l'article L. 111-1 du même code. / Ce contrôle a lieu dans l'établissement dont relèvent ces classes hors contrat. / Un contrôle est réalisé au cours de la première année d'exercice d'un établissement privé ". Le IV du même article, dans sa rédaction issue de l'article 53 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dispose que : " L'une des autorités mentionnées au I peut adresser au directeur ou au représentant légal d'un établissement une mise en demeure de mettre fin, dans un délai qu'elle détermine et en l'informant des sanctions dont il serait l'objet en cas contraire : / 1° Aux risques pour l'ordre public, la santé et la sécurité physique ou morale des mineurs que présentent les conditions de fonctionnement de l'établissement ; / 2° Aux insuffisances de l'enseignement, lorsque celui-ci n'est pas conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, tel que celui-ci est défini à l'article L. 131-1-1, et ne permet pas aux élèves concernés l'acquisition progressive du socle commun défini à l'article L. 122-1-1 ; / 3° Aux manquements aux obligations en matière de contrôle de l'obligation scolaire et d'assiduité des élèves ; / 4° Aux manquements aux articles L. 911-5 et L. 914-3 à L. 914-6 ou à la vacance de la fonction de directeur ; / 5° Aux manquements aux obligations procédant de l'article L. 441-3 et du II du présent article. / S'il n'a pas été remédié à ces manquements, après l'expiration du délai fixé, le représentant de l'Etat dans le département peut prononcer, par arrêté motivé, la fermeture temporaire ou définitive de l'établissement ou des classes concernées. Il agit après avis de l'autorité compétente de l'Etat en matière d'éducation, pour les motifs tirés du 1° du présent IV, et sur sa proposition, pour les motifs tirés des 2° à 5° du présent IV. Il en informe le maire de la commune sur le territoire de laquelle est implanté l'établissement ".

3. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, l'Association de l'école démocratique Ma voie soutient que les dispositions du IV de l'article L. 442-2 du code de l'éducation, citées au point 2, méconnaissent la liberté de l'enseignement, la liberté d'association, la liberté d'entreprendre, les droits garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que le principe de légalité des délits et des peines et les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines qui découlent de l'article 8 de cette même Déclaration.

4. Dans leur rédaction issue de la loi du 24 août 2021, les dispositions du IV de l'article L. 442-2 donnent au préfet le pouvoir de prononcer, après avis ou sur proposition de l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, la fermeture temporaire ou définitive d'un établissement d'enseignement privé hors contrat, ou de certaines de ses classes, en cas de risque pour l'ordre public, la santé et la sécurité physique ou morale des mineurs, ou en cas de manquement aux règles relatives au contenu de l'enseignement à dispenser, au contrôle de l'obligation scolaire, aux dispositions de l'article L. 911-5 et L. 914-3 à L. 914-6 du code de l'éducation interdisant ou encadrant l'accès aux fonctions de direction ou d'enseignement dans un tel établissement, et aux dispositions de l'article L. 441-3 et du II de l'article L. 442-2 du même code imposant la transmission des informations ou déclarations permettant de s'assurer du respect des obligations incombant à ces établissements. Une telle mesure de fermeture temporaire ou définitive a pour objet d'assurer la protection de la santé, de la sécurité et du droit à l'éducation des élèves et de prévenir les risques d'atteinte à l'ordre public. Dès lors, elle a le caractère d'une mesure de police administrative et non, ainsi que le soutient l'association requérante, celui d'une sanction administrative.

5. En premier lieu, par les dispositions contestées du IV de l'article L. 442-2 du code de l'éducation, le législateur a entendu concilier la liberté de l'enseignement avec le respect du droit à l'instruction consacré par le treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, au terme duquel : " La Nation garantit l'égal accès de l'enfant () à l'instruction () ", avec l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant qui résulte des dixième et onzième alinéas du même Préambule ainsi qu'avec l'objectif de valeur constitutionnelle de respect de l'ordre public. La mesure de fermeture administrative qu'instituent ces dispositions ne peut être motivée que par les manquements, de nature à porter atteinte à l'ordre public, aux obligations fondamentales qui encadrent l'activité d'un établissement privé d'enseignement hors contrat et aux conditions dans lesquelles le respect de ces obligations est contrôlé, mentionnés aux 1° à 5° du IV de l'article L. 442-2. Elle ne peut être décidée qu'après mise en demeure de l'établissement l'invitant, au vu des manquements constatés lors de son contrôle, à fournir des explications et à engager les actions nécessaires pour y remédier et dans le seul cas où il n'a pas été remédié aux manquements constatés à l'expiration du délai fixé par cette mise en demeure. Cette mesure de fermeture peut porter sur l'ensemble de l'établissement ou certaines classes seulement et peut être provisoire ou définitive. Elle est par ailleurs soumise à l'entier contrôle du juge administratif. Dans ces conditions, les pouvoirs conférés au représentant de l'Etat par les dispositions contestées ne sauraient être regardées comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté de l'enseignement, ni, en tout état de cause, à la liberté d'entreprendre.

6. En deuxième lieu, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet d'encadrer les conditions dans lesquelles les associations se constituent et exercent leur activité. Par suite, elles ne portent, par elles-mêmes, aucune atteinte à la liberté d'association.

7. En troisième lieu, dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 4, la mesure de fermeture temporaire ou définitive d'un établissement d'enseignement privé hors contrat prise sur le fondement du IV de l'article L. 442-2 du code de l'éducation a le caractère d'une mesure de police administrative, la requérante ne peut utilement soutenir que les dispositions contestées méconnaitraient d'une part, le principe du respect des droits de la défense et le principe d'impartialité qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et, d'autre part, le principe de légalité des délits et des peines et les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines qui découlent de l'article 8 de la même Déclaration.

8. En dernier lieu, les décisions prises par l'autorité administrative sur le fondement du IV de l'article L. 442-2 sont placées sous le contrôle du juge administratif. Par suite, les dispositions contestées ne sauraient être regardées comme méconnaissant le droit au recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Association de l'école démocratique Ma voie.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association de l'école démocratique Ma voie, à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au tribunal administratif de Grenoble.

Délibéré à l'issue de la séance du 31 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Philippe Ranquet, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, Mme Cécile Isidoro, conseillers d'Etat et M. Julien Autret, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 16 février 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Autret

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin

Code publication

B