Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 15 février 2024 n° 23PA05251

15/02/2024

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B a demandé au Tribunal administratif de Paris de réduire de 95 991 euros la cotisation primitive à l'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2019 correspondant à la prise en compte d'une contribution sociale généralisée déductible à hauteur de 6,8 points au lieu de 1,02 point.

Par un jugement n° 2114853/1-1 du 17 octobre 2023, le Tribunal administratif de Paris, après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts dans leur version issue de l'article 67 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2023, M. B, représenté par Me Colard, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 octobre 2023 ;

2°) de prononcer la réduction de l'imposition en cause ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Par un mémoire distinct, enregistré le 19 décembre 2023, M. B, représenté par Me Colard, conteste devant la Cour, en application des articles 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et R. 771-12 du code de justice administrative, le refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité précitée, décidé par le jugement du 17 octobre 2023 du Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- les dispositions contestées n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;

- elles sont applicables au litige ;

-c'est à tort que les premiers juges ont décidé de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité en cause au motif qu'il existait une différence entre les contribuables, selon qu'ils bénéficient d'un abattement renforcé ou d'un abattement de droit commun, différence qui, selon eux, justifie que la fraction déductible de la contribution sociale généralisée (CSG) varie selon le type d'abattements, alors que le seul objectif de la déductibilité est de tenir compte de la CSG effectivement supportée par un contribuable l'année de son paiement ;

-le plafonnement critiqué est déterminé par rapport à la nature de l'abattement dont bénéficient les gains de cession alors que la déductibilité de la CSG n'a d'incidence que sur le revenu global imposable de l'année qui suit celle de la cession ;

- l'objectif poursuivi par le législateur, qui consiste à limiter les effets d'aubaine pouvant conduire un contribuable à être créancier du Trésor public à raison d'un excédent de CSG déductible, est purement hypothétique, la fraction de la CSG déductible qui excéderait le revenu imposable n'étant légalement pas restituable ;

- cette règle de plafonnement de la déductibilité de la CSG qui ne vaut que pour certains gains de cession n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur.

Par des observations en réponse, enregistrées le 25 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour de ne pas faire droit à la transmission demandée.

Il soutient que la question soulevée est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

3. Aux termes de l'article R. 771-12 du code de justice administrative : " Lorsque, en application du dernier alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, l'une des parties entend contester, à l'appui d'un appel formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le premier juge, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai d'appel dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission ".

4. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un tribunal administratif a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion du recours formé contre le jugement qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, que le refus de transmission précédemment opposé l'ait été par une décision distincte du jugement, dont il joint alors une copie, ou directement par ce jugement.

5. Enfin, en vertu des dispositions de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de formation de jugement () des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

6. Aux termes de l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. Aux termes du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 67 de la loi de finances pour 2018 : " La contribution (sociale généralisée) afférente aux revenus mentionnés aux a à e et f du I et au II de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ainsi qu'aux premier alinéa et 1° du I de l'article L. 136-7 du même code, imposés dans les conditions prévues à l'article 197 du présent code, est admise en déduction du revenu imposable de l'année de son paiement, à hauteur de 6,8 points. / La contribution est déductible, dans les conditions et pour la part définies au premier alinéa du présent II, à hauteur du rapport entre le montant du revenu soumis à l'impôt sur le revenu et le montant de ce même revenu soumis à la contribution pour : / a. Les gains mentionnés à l'article 150-0 A qui bénéficient de l'abattement prévu au 1 quater de l'article 150-0 D ou de l'abattement fixe prévu au 1 du I de l'article 150-0 D ter ; / b. Les avantages salariaux mentionnés au I de l'article 80 quaterdecies qui bénéficient de ces abattements prévus aux 1 ter ou 1 quater de l'article 150-0 D, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2018, de l'abattement fixe prévu au 1 du I de l'article 150-0 D ter ou de l'abattement de 50% prévu au 3 de l'article 200 A ".

8. Par les dispositions contestées, applicables au litige en tant seulement qu'elles ont trait au a du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts relatives aux gains mentionnés à l'article 150-0 A de ce code, le législateur a plafonné la fraction déductible de la CSG à concurrence du rapport entre le montant du gain de cession soumis à l'impôt sur le revenu et celui de ce même gain soumis à la CSG uniquement lorsque les gains dont s'agit bénéficient de l'abattement renforcé prévu au I quater de l'article 150-0 D ou de l'abattement fixe prévu au 1 du I de l'article 150-0 D ter, étant précisé que les abattements en cause ne concernent que l'assiette passible de l'impôt sur le revenu et non celle de la CSG qui, quant à elle, frappe la totalité de ces gains, sans abattement d'aucune sorte.

9. M. B soutient que les dispositions du a du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts méconnaissent tant l'article 6 que l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen au motif qu'elles introduisent, entre contribuables se trouvant, selon l'intéressé, dans des situations semblables, une différence de traitement entraînant une rupture de l'égalité devant les charges publiques en l'absence de mise en œuvre de critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur. A ce titre, il relève notamment que ce dispositif de plafonnement de la fraction de CSG déductible par application du rapport mentionné au point précédent ne s'applique pas aux contribuables réalisant pourtant des gains de même nature, visés à l'article 150-0 A du code général des impôts, lorsqu'ils bénéficient d'abattements différents, notamment de l'abattement de droit commun prévu au 1 ter de l'article 150-0 D du code précité.

10. Toutefois, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les contribuables bénéficiant de l'abattement renforcé ou de l'abattement fixe qui, prévus respectivement au 1 quater de l'article 150-0 D et au 1 du I de l'article 150- 0 D ter, sont concernés par la règle de plafonnement, ici contestée, de la fraction de CSG déductible, se trouvent dans une situation objectivement différente par rapport aux contribuables dont les gains ne bénéficient que de l'abattement de droit commun, chacun de ces abattements correspondant à des situations différentes Il ne ressort au demeurant pas de l'exemple choisi par M. B que le contribuable qui bénéficie d'un abattement renforcé, égal à 85%, ne se trouverait pas dans une situation qui demeurerait plus favorable qu'en cas d'abattement proportionnel de droit commun, égal à 65%, en dépit du plafonnement de la fraction déductible de CSG à 1,02 point, soit 15% de 6,8 points, de sorte que l'objectif du législateur de favoriser les contribuables effectuant des opérations ouvrant droit aux abattements renforcés ou fixes n'est globalement pas remis en cause par le plafonnement contesté.

11. En outre, contrairement à ce que soutient M. B, les dispositions contestées sont en rapport direct avec l'objectif du législateur qui vise à réduire les " effets d'aubaine ", c'est-à-dire le cumul d'avantages fiscaux dont bénéficie un même contribuable à raison du même revenu, alors même qu'il est exact que le mécanisme de déductibilité de la CSG ne peut pas rendre le contribuable créancier du Trésor public. Enfin, si l'intéressé relève que la fraction de CSG déductible s'impute sur les revenus de l'année du paiement de cette contribution, soit en principe l'année qui suit celle de la réalisation des gains concernés par le dispositif critiqué, son plafonnement, qui ne fait que diminuer le montant susceptible de venir minorer le revenu imposable de l'année de paiement, n'est en tout état de cause pas de nature à méconnaître les facultés contributives du contribuable.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la question prioritaire de constitutionnalité qu'il a soulevée était dépourvue de caractère sérieux et ont, par suite, décidé qu'il n'y avait pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Les conclusions de M. B dirigées contre le jugement n° 2114853/1-1 du Tribunal administratif de Paris en date du 17 octobre 2023 en tant qu'il décide qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée sont rejetées.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.

Fait à Paris, le 15 février 2024.

Le président,

B. AUVRAY

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. QPC