Tribunal administratif de Lyon

Jugement du 15 février 2024 n° 2202640

15/02/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 avril et 29 juillet 2022, la société OPEREAL, représentée par Mme A, agissant en vertu d'un mandat, demande au tribunal :

1°) de prononcer la réduction de la taxe foncière mise à sa charge au titre des années 2020 et 2021 pour des locaux dont elle est propriétaire au sein du Cours Oxygène au centre commercial de La Part Dieu à Lyon.

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conditions du dégrèvement prévu par l'article 1389 du code général des impôts sont satisfaites ;

- l'article 1389 du code général des impôts tel qu'interprété par l'administration fiscale est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques protégé par l'article 13 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 7 juillet et 10 août 2022, le directeur régional des finances publiques d'Auvergne-Rhône-Alpes et du département du Rhône conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 5 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 décembre 2023.

Par une lettre du 4 décembre 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que le jugement à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du fait que, à supposer que la requérante ait entendu soutenir que l'interprétation de l'article 1389 du code général des impôts entraîne une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, un tel moyen, qui relève d'une question prioritaire de constitutionnalité, est irrecevable faute d'avoir été présenté dans un mémoire distinct.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

La présidente du tribunal a, en application de l'article R. 222-13 du code de justice administrative, désigné Mme Wolf, présidente honoraire, pour statuer sur les litiges visés audit article.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, ont été entendus :

- le rapport de Mme Wolf, présidente honoraire,

- et les conclusions de Mme Tocut, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société OPEREAL est propriétaire de locaux à usage commercial dans le centre commercial de La Part Dieu - Cours Oxygène. Elle les donne à bail à des preneurs qui les exploitent à des fins commerciales. Pendant les périodes de fermeture administrative liées à la crise sanitaire, elle a accordé un abandon de loyer à ses locataires. Par la présente requête, elle demande au tribunal de prononcer une réduction de la taxe foncière à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2020 et 2021.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1380 du code général des impôts : " La taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés bâties sises en France à l'exception de celles qui en sont expressément exonérées par les dispositions du présent code. ". Aux termes du I de l'article 1389 de ce code : " I. - Les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière en cas de vacance d'une maison normalement destinée à la location ou d'inexploitation d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage commercial ou industriel, à partir du premier jour du mois suivant celui du début de la vacance ou de l'inexploitation jusqu'au dernier jour du mois au cours duquel la vacance ou l'inexploitation a pris fin. / Le dégrèvement est subordonné à la triple condition que la vacance ou l'inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, qu'elle ait une durée de trois mois au moins et qu'elle affecte soit la totalité de l'immeuble, soit une partie susceptible de location ou d'exploitation séparée. ". Aux termes de l'article 1415 du même code : " La taxe foncière sur les propriétés bâties, () sont établies pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition. ".

3. Ces dispositions subordonnent l'octroi du dégrèvement qu'elles prévoient à la vacance d'une maison normalement destinée à la location ou à la vacance d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à des fins commerciales ou industrielles.

4. Quand bien même la société OPEREAL répercute le montant de la taxe foncière à laquelle elle est assujettie sur le montant des loyers facturés aux preneurs, la société OPEREAL ne saurait être regardée comme exploitant elle-même à des fins industrielles et commerciales les locaux au titre desquels elle est assujettie à la taxe foncière litigieuse. De même, ces locaux ne sauraient être regardés comme des maisons normalement destinées à la location. Ainsi, la société requérante ne se trouvait dans aucun des deux cas prévus par les dispositions précitées pour obtenir le dégrèvement de la taxe foncière.

5. En second lieu, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ". L'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 dispose : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. () ". L'article R. 771-3 du code de justice administrative dispose : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " ". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. "

6. La société OPEREAL soutient que l'interprétation de l'article 1389 du code général des impôts entraîne une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. A supposer même qu'elle ait entendu soulever une question prioritaire de constitutionnalité, ainsi que le lui permettent les dispositions de la Constitution et de l'ordonnance du 7 novembre 1958 citées au point 4, un tel moyen est irrecevable faute d'avoir été présenté dans un mémoire distinct. Ce moyen doit, par suite, être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins de réduction de l'imposition présentées par la société OPEREAL doivent être rejetées ainsi que les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E

Article 1er : La requête de la société OPEREAL est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société OPEREAL et au directeur régional des finances publiques d'Auvergne-Rhône-Alpes et du département du Rhône.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2024.

La magistrate désignée,

A. Wolf La greffière,

T. Andujar

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

N°2202640