Cour de cassation

Arrêt du 14 février 2024 n° 23-19.059

14/02/2024

Non renvoi

CIV. 1

COUR DE CASSATION

IJ

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QUESTION PRIORITAIRE

de

CONSTITUTIONNALITÉ

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Audience publique du 14 février 2024

NON-LIEU A RENVOI

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 158 FS-P

Pourvoi n° S 23-19.059

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 FÉVRIER 2024

Par mémoire spécial présenté le 24 novembre 2023, M. [N] [J], domicilié [Adresse 3], Mme [H] [J], épouse [C], domiciliée [Adresse 5], M. [O] [J], domicilié [Adresse 1], ont formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° S 23-19.059 qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 26 mai 2023 par la cour d'appel de Reims (1re chambre civile, section 2), dans une instance les opposant :

1°/ à M. [Z] [J], domicilié [Adresse 4],

2°/ à Mme [T] [J], domiciliée [Adresse 2],

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de MM. [N] et [O] [J] et de Mme [H] [J], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [Z] [J] et de Mme [T] [J], et l'avis de M. Poirret, Premier avocat général, après débats en l'audience publique du 6 février 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Beauvois, Agostini, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, Mmes Lion, Daniel, conseillers référendaires, M. Poirret, Premier avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. [E] [M] est décédée le 23 janvier 2018, en laissant pour lui succéder ses cinq enfants, MM. [N], [Z] et [O] [J] et Mmes [C] et [J].

2. Le 24 novembre 1979, un groupement foncier agricole avait été constitué entre [E] [M] et ses enfants, ceux-ci y apportant les droits en nue-propriété sur des parcelles de vignes et de terres nues, dont leur mère leur avait fait donation-partage par acte du même jour, tandis que celle-ci y apportait ses droits en usufruit.

3. Le 31 mars 1989, M. [Z] [J] avait cédé à ses frères ses parts du GFA.

4. Des difficultés étant survenues lors du règlement de la succession, M. [Z] [J] a assigné ses co-héritiers en partage, en requalification de la donation-partage en donations simples et en rapport de celles-ci.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

5. A l'occasion du pourvoi qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 26 mai 2023 par la cour d'appel de Reims, MM. [N] et [O] [J] et Mme [C] ont, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article 860, alinéa 2 du code civil, qui dispose que "si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, on tient compte de la valeur de ce nouveau bien à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de l'acquisition" et que "toutefois, si la dépréciation du nouveau bien était, en raison de sa nature, inéluctable au jour de son acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation", porte-t-il une atteinte injustifiée au droit de propriété garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789, en ce qu'il a pour effet de priver le gratifié, qui a réalisé une plus-value en vendant le bien donné et a placé le prix de vente, d'une partie de cette plus-value pour en faire profiter ses cohéritiers ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

6. La question peut être reformulée par le juge afin de la rendre plus claire ou de lui restituer son exacte qualification, à condition de ne pas en modifier l'objet et la portée.

7. Il y a lieu de considérer que la Cour de cassation est régulièrement saisie de la question prioritaire de constitutionnalité, ainsi reformulée :

« L'article 860, alinéa 2, du code civil qui dispose que "si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, on tient compte de la valeur de ce nouveau bien à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de l'acquisition" et que "toutefois, si la dépréciation du nouveau bien était, en raison de sa nature, inéluctable au jour de son acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation", porte-t-il une atteinte injustifiée au droit de propriété garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789, en ce qu'il a pour effet de priver le gratifié, qui a vendu le bien donné et réalisé une plus-value en plaçant le prix de vente, d'une partie de cette plus-value pour en faire profiter ses cohéritiers ? »

8. La disposition contestée est applicable au litige qui porte sur le rapport à une succession de la valeur de biens subrogés à des biens donnés.

9. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

10. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

11. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

12. En effet, le rapport des libéralités, régi par les articles 843 à 863 du code civil, oblige chaque héritier à rendre compte à la succession des libéralités qu'il a reçues du défunt, afin que la masse successorale ainsi reconstituée se partage entre tous les héritiers à proportion de la vocation héréditaire de chacun.

13. Le principe étant celui du rapport en valeur, l'article 860 du code civil fixe les règles d'évaluation du montant de l'indemnité de rapport, en recourant à la technique de la dette de valeur.

14. La règle de subrogation liquidative contestée selon laquelle, si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, il est tenu compte de la valeur de ce nouveau bien à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de l'acquisition, en est une déclinaison. Elle permet de parer aux risques de fraude consistant, pour l'héritier donataire, à limiter artificiellement le montant du rapport, en vendant le bien donné pour procéder à un autre investissement à son seul profit.

15. L'exception faite à cette règle, lorsque la dépréciation du nouveau bien était, en raison de sa nature, inéluctable au jour de son acquisition, pour revenir au rapport de la valeur du bien donné à l'époque de son aliénation, d'après son état à l'époque de la donation, tend à garantir l'équité en empêchant le donataire de se dispenser du rapport par l'achat d'un bien de consommation dont la valeur ne peut que diminuer.

16. Ayant pour finalité d'assurer le respect des vocations successorales légales de l'ensemble des héritiers, la disposition attaquée est donc justifiée par un motif d'intérêt général.

17. Les limitations qu'elle apporte à l'exercice du droit de propriété du donataire sont proportionnées au but poursuivi dès lors que l'héritier gratifié, qui vend le bien donné et réalise une plus-value à la suite de l'acquisition d'un nouveau bien, n'est privé de cette plus-value qu'à due concurrence de la vocation successorale de ses cohéritiers.

18. Enfin, il peut être dérogé par l'acte de donation, tant à l'obligation au rapport qu'aux règles d'évaluation de l'indemnité de rapport, de sorte que ces limitations sont conformes à la volonté tant du donateur que du donataire qui y a consenti en acceptant la donation.

19. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille vingt-quatre.

Code publication

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