Tribunal administratif de Limoges

Jugement du 13 février 2024 n° 2300893

13/02/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 22BX02816 du 25 mai 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux, saisi d'un appel présenté par Mme C B, a annulé l'ordonnance n° 2200280 du 1er septembre 2022 par laquelle le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa requête comme manifestement irrecevable et a renvoyé l'affaire devant le tribunal.

Par une requête et des mémoires enregistrés les 28 février 2022, 5 novembre 2022 et 7 mars 2023, Mme C B, représentée par Me Marian, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 2 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde l'a suspendue de ses fonctions à compter du 6 septembre 2021 jusqu'à ce qu'elle produise un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la covid-19 et la décision née le 27 décembre 2021 portant rejet implicite du recours gracieux qu'elle a formé contre cette mesure de suspension ;

2°) d'enjoindre au centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde de rétablir le versement de sa rémunération ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde une somme de 5 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 2 septembre 2021 est insuffisamment motivée en droit et en fait ;

- la décision de suspension de ses fonctions, qui la prive de sa rémunération et qui révèle ainsi une sanction de nature disciplinaire, méconnaît les droits de la défense attachés à la procédure disciplinaire ;

- la notion de " schéma vaccinal complet " est une source d'insécurité juridique ;

- les dispositions de la loi du 5 août 2021 n'étaient pas applicables à la date de la décision prononçant sa suspension de fonctions ;

- la décision de suspension de ses fonctions ne pouvait être prise en l'absence du décret d'application de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 adopté à la suite d'un avis rendu par la Haute Autorité de Santé (HAS) ;

- elle a été suspendue par une décision du 2 septembre 2021, avec effet à compter du 6 septembre 2021, alors que la loi du 5 août 2021 prévoyait expressément que jusqu'au 15 septembre 2021, elle était autorisée à exercer sur justification d'un test de dépistage ;

- la disposition législative qui fonde la mesure individuelle de suspension de fonctions est contraire à l'article 9 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 dès lors qu'elle a été adoptée sans avis du conseil commun de la fonction publique ;

- la mesure de suspension de ses fonctions est contraire à la loi du 5 août 2021, qui ne soumet à l'obligation de justifier d'un statut vaccinal que les agents en activité, à l'exclusion des agents en congé ; les effets de cette mesure doivent être suspendus dès qu'elle n'a plus vocation à garantir l'objectif sanitaire fixé par la loi, notamment en cas de maladie ordinaire, d'accident ou toute autre cause qui ferait obstacle à l'exercice par l'agent de son activité professionnelle ; une telle mesure de suspension de fonctions prononcée à l'encontre d'un agent en congé de maladie au motif qu'il n'a pas présenté les documents exigés par les dispositions de la loi du 5 août 2021 n'est pas permise par cette loi, de sorte que le directeur du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde a commis une erreur de droit ;

- la décision de suspension de ses fonctions porte atteinte au principe de non-discrimination selon l'état de santé consacré par les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la discrimination fondée sur l'obligation vaccinale dans le contexte de la pandémie de la covid-19 a été expressément prohibée par le règlement européen n° 2021/953 du 14 juin 2021, lequel a un effet direct ;

- la suspension de fonctions litigieuse méconnaît le principe d'égalité de traitement entre les agents publics mais aussi entre assurés sociaux ;

- la décision attaquée méconnaît les dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

- la décision de suspension de ses fonctions porte atteinte au principe de consentement préalable aux soins et aux expériences médicales ;

- la décision de suspension de ses fonctions méconnaît les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les agents de la fonction publique hospitalière en activité ou non, bénéficient durant 12 mois des avantages relevant de leur régime de sécurité sociale et, ce, à moins qu'ils ne relèvent d'un autre régime ;

- si le tribunal devait écarter l'ensemble des moyens tendant à l'annulation de la décision déférée, il ne pourra que prononcer le rétablissement du salaire.

Par des mémoires en défense enregistrés les 27 mai 2022, 9 janvier 2023 et 19 juillet 2023, le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde, représenté par Me Dias, conclut au rejet de la requête comme non-fondée et demande qu'il soit mis à la charge de Mme B une somme de 2 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que le jugement à intervenir était susceptible sur le moyen relevé d'office tiré de ce qu'à supposer que Mme B puisse être regardée comme contestant la constitutionnalité des dispositions des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021, ce moyen, qui n'a pas été présenté devant le tribunal par un mémoire distinct tendant à ce que soit transmise une question prioritaire de constitutionnalité, est irrecevable.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;

- le règlement (UE) n° 2021/953 du Parlement et du Conseil du 14 juin 2021 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Boschet,

- les conclusions de M. Houssais, rapporteur public,

- et les observations de Me Laurent, pour le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde.

Considérant ce qui suit :

1. Aide-soignante au service gériatrique du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde, Mme B a été informée, par un courrier du 30 août 2021 du directeur de ce centre hospitalier, de ce qu'elle était dans l'interdiction d'exercer ses fonctions à compter de la même date à défaut d'avoir présenté les certificats ou résultats requis par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Afin de régulariser sa situation, elle a demandé à être placée en congés annuels pour la période du 30 août au 5 septembre 2021. Le 2 septembre 2021, le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde a reçu de la part de Mme B un avis d'arrêt de travail la concernant pour la période du 31 août au 19 septembre 2021. Par une décision prise le même jour, accompagnée d'un courrier de notification précisant notamment que " la réglementation en vigueur indique clairement que la réception d'un avis d'arrêt de travail pendant la période de suspension ne vient pas interrompre celle-ci ", le directeur du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde l'a suspendue de ses fonctions à compter du 6 septembre 2021 jusqu'à ce qu'elle produise un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la covid-19. Par un courrier du 25 octobre 2021, reçu le 27 octobre suivant, Mme B a formé un recours gracieux contre cette décision, lequel recours a été implicitement rejeté le 27 décembre 2021. Mme B a demandé l'annulation de ces deux décisions par une requête enregistrée le 28 février 2022. Par une ordonnance n° 2200280 du 1er septembre 2022, le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté cette requête comme manifestement irrecevable. Saisi d'un appel formé par Mme B, la cour administrative d'appel de Bordeaux, par un arrêt n° 22BX02816 du 25 mai 2023, a annulé cette ordonnance et a renvoyé l'affaire devant le tribunal.

Sur le cadre juridique résultant de la loi du 5 août 2021 :

2. Aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () " ; II. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la COVID-19 des personnes mentionnées au I du présent article. () ". Aux termes de l'article 14 de la même loi : " I. - A. - A compter du lendemain de la publication de la présente loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12 ou le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. () /III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I ". Aux termes de l'article 49-1 du décret 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dans sa rédaction issue du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 en vigueur à compter du 9 août 2021 : " Hors les cas de contre-indication médicale à la vaccination mentionnés à l'article 2-4, les éléments mentionnés au second alinéa du II de l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 susvisée sont :/ 1° Un justificatif du statut vaccinal délivré dans les conditions mentionnées au 2° de l'article 2-2 ;/2° Un certificat de rétablissement délivré dans les conditions mentionnées au 3° de l'article 2-2 ;/3° A compter de la date d'entrée en vigueur de la loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus et à défaut de pouvoir présenter un des justificatifs mentionnés aux présents 1° ou 2°, le résultat d'un examen de dépistage, d'un test ou d'un autotest mentionné au 1° de l'article 2-2 d'au plus 72 heures. A compter 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, ce justificatif doit être accompagné d'un justificatif de l'administration d'au moins une des doses d'un des schémas vaccinaux mentionnés au 2° de l'article 2-2 comprenant plusieurs doses./ Les seuls tests antigéniques pouvant être valablement présentés pour l'application du présent 3° sont ceux permettant la détection de la protéine N du SARS-CoV-2./ La présentation de ces documents est contrôlée dans les conditions mentionnées à l'article 2-3. ".

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ".

4. A supposer même que Mme B puisse être regardée comme contestant la constitutionnalité des dispositions précitées de la loi du 5 août 2021, ce moyen, qui n'a pas présenté devant le tribunal de mémoire distinct tendant à ce que soit transmise une question prioritaire de constitutionnalité, est irrecevable.

5. En deuxième lieu, la décision du 2 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde a prononcé la suspension de fonctions de Mme B en vertu des dispositions de la loi du 5 août 2021 ainsi que le courrier de notification de cette décision comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles cette mesure se fonde. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation en droit et en fait de cette décision de suspension de fonctions doit être écarté.

6. En troisième lieu, la mesure de suspension prise en application du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 ne revêt pas un caractère disciplinaire. Par suite, le moyen tiré de ce que la requérante n'a pas bénéficié des garanties disciplinaires attachées aux droits de la défense est inopérant.

7. En quatrième lieu, contrairement à ce que soutient Mme B, les dispositions de la loi du 5 août 2021, laquelle a été publiée au Journal officiel de la République française du 6 août 2021, étaient bien applicables le 2 septembre 2021, date de la décision prononçant sa suspension de ses fonctions d'aide-soignante au centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde.

8. En cinquième lieu, la circonstance que la définition de ce qu'est un schéma vaccinal complet ait évolué à plusieurs reprises en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques ne saurait être regardée comme constitutive d'une méconnaissance du principe de sécurité juridique. Par suite, le moyen doit être écarté.

9. En sixième lieu, la requérante soutient qu'à la date de la décision de suspension, aucun décret d'application n'était conforme aux dispositions de l'article 12 de la loi du 5 aout 2021 notamment quant à l'avis de la Haute Autorité de la santé. Toutefois, le principe de l'obligation vaccinale ne résulte pas d'un décret d'application mais uniquement de la loi du 5 août 2021, dont l'article 12 rappelé ci-dessus a institué une obligation de vaccination contre la Covid-19 pour les professionnels au contact direct des personnes les plus vulnérables dans l'exercice de leur activité professionnelle ainsi qu'à celles qui travaillent au sein des mêmes locaux, obligation qui s'impose, en particulier, aux professionnels médicaux et paramédicaux exerçant en établissement ou en libéral. Au surplus, il ressort des visas du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire qu'il a été pris suite à deux avis de la haute autorité de santé, l'un du 4 août 2021 relatif aux contre-indications à la vaccination contre la Covid-19 et du 6 août 2021 relatif à l'intégration des autotests de détection antigénique supervisés parmi les preuves justifiant l'absence de contamination par le virus SARS-CoV-2 dans le cadre du passe sanitaire et à l'extension de la durée de validité des résultats négatifs d'un examen de dépistage de virologique et que ce décret fixe les modalités de mise en œuvre de l'obligation vaccinale. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'obligation vaccinale manque de base légale manque en fait et doit être écarté.

10. En septième lieu, le moyen tiré de ce que les auteurs de la loi du 5 août 2021 l'ont adoptée sans recueillir l'avis du conseil commun de la fonction publique, en méconnaissance de l'article 9 ter de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations de fonctionnaires est inopérant pour critiquer la légalité de la mesure de suspension de fonctions en litige.

11. En huitième lieu, l'article 3.7 du règlement (UE) 2021/953 du 14 juin 2021 prévoit que : " La délivrance de certificats en vertu du paragraphe 1 du présent article ne peut entraîner de discrimination fondée sur la possession d'une catégorie spécifique de certificat visée à l'article 5, 6 ou 7. ". Le considérant 36 du règlement précise : " Il y a lieu d'empêcher toute discrimination directe ou indirecte à l'encontre des personnes qui ne sont pas vaccinées, par exemple pour des raisons médicales, parce qu'elles ne font pas partie du groupe cible auquel le vaccin contre la COVID-19 est actuellement administré ou pour lequel il est actuellement autorisé, comme les enfants, ou parce qu'elles n'ont pas encore eu la possibilité de se faire vacciner ou ne souhaitent pas le faire. Par conséquent, la possession d'un certificat de vaccination, ou la possession d'un certificat de vaccination mentionnant un vaccin contre la COVID-19, ne devrait pas constituer une condition préalable à l'exercice du droit à la libre circulation ou à l'utilisation de services de transport de voyageurs transfrontaliers tels que les avions, les trains, les autocars ou les transbordeurs ou tout autre moyen de transport. En outre, le présent règlement ne peut être interprété comme établissant un droit ou une obligation d'être vacciné ". Le considérant 62 du règlement précise : " Le présent règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus notamment par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après dénommée "Charte"), en particulier le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit à la protection des données à caractère personnel, le droit à l'égalité devant la loi et le droit à la non-discrimination, la liberté de circulation et le droit à un recours effectif. Les États membres sont tenus de respecter la Charte lorsqu'ils mettent en œuvre le présent règlement ".

12. Ces dispositions, qui sont relatives à l'exercice du droit à la libre circulation et à la liberté de séjour au sein des Etats membres de l'Union européenne, n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire à un Etat membre de rendre la vaccination contre la covid-19 obligatoire à tout ou partie de ses ressortissants. Les dispositions des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021 ne créent donc aucune discrimination entre les personnes vaccinées et les personnes non vaccinées qui serait contraire au règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021 relatif à un cadre pour la délivrance et l'acceptation de certificats covid-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de covid-19. Par suite, le moyen, à le supposer opérant à l'encontre de la décision en litige, tiré de l'incompatibilité des dispositions de la loi du 5 août 2021 avec le règlement (UE) 2021/953 du 14 juin 2021 doit être écarté.

13. En neuvième lieu, d'une part, la mesure contestée, fondée sur les dispositions de la loi du 5 août 2021, s'applique de manière identique à l'ensemble des personnes qui exercent leur activité professionnelle au sein des établissements de santé et des professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique. La circonstance que ce dispositif fait peser sur ces personnes une obligation vaccinale qui n'est pas imposée à d'autres catégories de personnes, constitue, compte tenu des missions des établissements et professionnels de santé et de la vulnérabilité des patients qu'ils prennent en charge, une différence de traitement en rapport avec cette différence de situation, qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. D'autre part, l'article 13 de la même loi du 5 août 2021 prévoit que l'obligation de vaccination ne s'applique pas aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Le champ de cette obligation apparaît ainsi cohérent et proportionné au regard de l'objectif de santé publique poursuivi alors même que l'obligation ne concerne pas l'ensemble de la population mais seulement les professionnels qui se trouvent dans une situation qui les expose particulièrement au virus et au risque de le transmettre aux personnes les plus vulnérables à ce virus. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait discriminatoire ou contraire au principe d'égalité.

14. En dixième lieu, il est constant que les vaccins contre la covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle de l'Agence européenne du médicament, qui procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées. Contrairement à ce que soutient la requérante, ils ne sauraient dès lors être regardés comme des médicaments expérimentaux au sens de l'article L. 5121-1-1 du code de la santé publique. Est par suite inopérant le moyen tiré de ce qu'en imposant une vaccination par des médicaments expérimentaux, la loi du 5 août 2021 porteraient atteinte au droit à l'intégrité physique, à la dignité de la personne humaine, au droit à la sécurité et à la vie et au droit de disposer de son corps garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au droit du patient à donner son consentement libre et éclairé aux soins qui lui sont prodigués ainsi que la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine. Il s'ensuit que l'obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans les établissements de santé ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à la dignité de la personne humaine invoqué par la requérante au regard de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, du pacte international relatif aux droits civils et politiques et du pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, au droit du patient de donner son consentement libre et éclairé aux soins médicaux qui lui sont prodigués et à la liberté individuelle. Pour les mêmes motifs, les moyens, tirés de la méconnaissance des dispositions du code civil et du code de la santé publique relatives au consentement en matière de recherche médicale et d'essais cliniques et à la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ce que les risques pour la santé et la vie n'ont pas été identifiés, doivent être écartés.

15. En dernier lieu, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa version applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité à droit : () 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 42 ". Il résulte de ces dispositions et des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021 que si le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent en question.

16. Compte tenu de ce qui a été indiqué au point précédent, la circonstance que Mme B a été placée en congé de maladie du 31 août au 19 septembre 2021 ne faisait pas, par elle-même, obstacle à ce que le directeur du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde prenne à son égard une décision de suspension de ses fonctions au motif qu'elle n'avait pas transmis les justificatifs exigés par la loi du 5 août 2021. En revanche, cette circonstance faisait obstacle à ce que cette mesure puisse commencer à produire ses effets avant la fin de ce congé de maladie. Par suite, en prononçant la suspension de fonctions de Mme B à compter du 6 septembre 2021 et non à compter de la fin de son congé de maladie, le directeur du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde a méconnu les dispositions combinées de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 et des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021.

17. Il résulte de ce qui précède que Mme B est fondée à demander l'annulation de la décision du 2 septembre 2021 du directeur du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde ainsi que de la décision du 27 décembre 2021 portant rejet implicite de son recours gracieux en tant seulement que sa suspension de fonctions a été prononcée à compter du 6 septembre 2021 et non à compter de la fin de son congé de maladie.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

18. Compte tenu du motif sur lequel elle repose, l'annulation partielle des décisions en litige implique uniquement qu'il soit enjoint au centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde de verser à Mme B la rémunération à laquelle elle avait droit en application de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 pendant la période de son congé de maladie. Le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde devra procéder à l'exécution de cette injonction dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais liés au litige :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 2 septembre 2021 du directeur du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde et la décision du 27 décembre 2021 portant rejet implicite du recours gracieux formé par Mme B sont annulées en tant seulement que la suspension de fonctions de celle-ci a pris effet à compter du 6 septembre 2021 et non à compter de la date de fin de son congé de maladie.

Article 2 : Le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde versera à Mme B la rémunération à laquelle elle avait droit en application de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 pendant la période de son congé de maladie, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme C B et au centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Artus, président,

M. Martha, premier conseiller,

M. Boschet, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.

Le rapporteur,

J.B. BOSCHET

Le président,

D. ARTUSLa greffière,

G. JOURDAN-VIALLARD

La République mande et ordonne

au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision

Pour expédition conforme

Pour le Greffier en Chef

La greffière,

M. A

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