Tribunal administratif d'Amiens

Décision du 13 février 2024 n° 2102617

13/02/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

I) Par une requête, enregistrée le 27 juillet 2021 sous le n° 2102617, M. A D et Mme E B, représentés par Me Lambert, demandent au tribunal :

1°) d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2021 par lequel le maire de la commune de Bresles a décidé de mettre en recouvrement la somme de 12 000 euros correspondant à l'astreinte journalière prononcée, au titre de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, pour la période échue du 14 avril au 6 juillet 2021 ;

2°) à défaut, de moduler le montant total de l'astreinte mise en recouvrement de façon à ce qu'il ne soit pas supérieur à la somme de 5 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Bresles la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'arrêté de mise en recouvrement a été pris par une autorité incompétente ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que la mesure de mise en demeure n'a pas fait l'objet d'une procédure contradictoire préalable ;

- il procède au recouvrement d'une astreinte administrative qui n'a pas été prononcée ;

- l'installation de l'habitation légère de loisirs et de l'abri de jardin sur leur parcelle ne correspond pas à " des travaux " au sens de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme ;

- le maire s'est fondé, à tort, sur la circonstance que les aménagements réalisés sur leur parcelle sont interdits en zone N et non sur l'absence d'autorisation d'urbanisme requise, dont le défaut ne peut entraîner de conséquences qu'après trois mois de présence consécutif en application du f) de l'article R. 421-23 du code de l'urbanisme ; en outre, ces constructions n'entrent pas dans le champ d'application des articles L. 421-1 à L. 421-5 de ce code ;

- le quantum de l'astreinte mis à leur charge est disproportionné et doit, pour ce motif, faire l'objet d'une modulation de sorte que son montant total ne soit pas supérieur à 5 000 euros.

Par un mémoire distinct, enregistré le 1er août 2021, M. D et Mme B demandent au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 juillet 2021, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 481-1, L. 481-2 et L. 481-3 du code de l'urbanisme.

Ils soutiennent que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le droit de propriété, la séparation des pouvoirs et l'indépendance de l'autorité judiciaire, la présomption d'innocence, le droit au recours juridictionnel effectif, les principes d'indépendance et d'impartialité ainsi que le principe de légalité et de proportionnalité des peines.

Par une ordonnance avant dire droit du 31 août 2021, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif d'Amiens a refusé la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. D et Mme B.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2022, la commune de Bresles, représentée par Me Lepretre, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. D et Mme B ne sont pas fondés.

Par un courrier du 24 janvier 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le tribunal, faisant usage de la faculté dont il dispose, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de procéder à une jonction de requêtes pour y statuer par un même jugement, est susceptible, dans l'hypothèse où les conclusions à fin d'annulation de la requête n° 2102617 seraient accueillies, de tirer les conséquences de ses propres énonciations en accueillant les conclusions de la requête n° 2103571 à fin d'annulation et de décharge dirigées contre l'avis des sommes à payer du 21 septembre 2021.

Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été présentées le 24 janvier 2024 pour M. D et Mme B et ont été communiquées.

II) Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 22 octobre 2021 et le 26 novembre 2023 sous le n° 2103571, M. A D et Mme E B, représentés par Me Lambert, demandent au tribunal :

1°) d'annuler l'avis des sommes à payer émis à leur encontre le 21 septembre 2021 en vue du recouvrement de la somme de 12 000 euros correspondant à l'astreinte journalière prononcée, au titre de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, pour la période échue du 14 avril au 6 juillet 2021 ;

2°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme ;

3°) à défaut, de moduler le montant total de l'astreinte mise en recouvrement de façon à ce qu'il ne soit pas supérieur à la somme de 5 000 euros ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Bresles la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le juge administratif ne saurait se déclarer compétent pour connaître du présent litige ;

- l'avis des sommes à payer est insuffisamment motivé en méconnaissance de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 ;

- il est entaché d'un vice de forme dès lors que la commune ne justifie pas du bordereau de titre de recettes signé par son auteur ;

- il est illégal du fait de l'illégalité du courrier du 19 février 2021 dès lors qu'il ne précise pas le montant de l'astreinte qui sera ultérieurement mis à leur charge, que la mesure de mise en demeure qu'il prononce est intervenue sans procédure contradictoire préalable et que le maire s'est fondé, à tort, sur la circonstance que les aménagements réalisés sur leur parcelle sont interdits en zone N et non sur l'absence d'autorisation d'urbanisme requises, dont le défaut ne peut entraîner de conséquences qu'après trois mois de présence consécutif en application du f) de l'article R. 421-23 du code de l'urbanisme ;

- il est illégal du fait de l'illégalité de l'arrêté de mise en recouvrement du 6 juillet 2021 dès lors qu'il est insuffisamment motivé, qu'il procède prématurément à la liquidation de l'astreinte, que l'installation de l'habitation légère de loisirs et de l'abri de jardin sur leur parcelle ne correspond pas à " des travaux " au sens de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme et que ces aménagements n'entrent pas dans le champ d'application des articles L. 421-1 à L. 421-5 de ce code ;

- le quantum de l'astreinte mis à leur charge est disproportionné et doit, pour ce motif, faire l'objet d'une modulation de sorte que son montant total ne soit pas supérieur à 5 000 euros.

Par un mémoire distinct, enregistré le 28 octobre 2021, M. D et Mme B demandent au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation de l'avis des sommes à payer du 22 juin 2021 ainsi qu'à la décharge de l'obligation de payer mise à leur charge par ce titre, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 481-1, L. 481-2 et L. 481-3 du code de l'urbanisme.

Ils soutiennent que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le droit de propriété, la séparation des pouvoirs et l'indépendance de l'autorité judiciaire, la présomption d'innocence, le droit au recours juridictionnel effectif, les principes d'indépendance et d'impartialité, le principe de légalité et de proportionnalité des peines et le principe non bis in idem.

L'ensemble de la procédure a été communiquée à la commune de Bresles et à la trésorerie de Beauvais, qui n'ont pas produit d'écritures dans la présente instance.

Par une ordonnance du 29 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 décembre 2023 à 12h00.

Par un courrier du 24 janvier 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le tribunal est susceptible de faire usage de la faculté dont il dispose, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de joindre la requête n° 2103571 avec la requête n° 2102617 tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 juillet 2021, pour statuer par un même jugement, et que, dans l'hypothèse où les conclusions de cette dernière requête seraient accueillies, les énonciations de ce jugement entraîneraient, par voie de conséquence, l'annulation et la décharge de l'obligation de payer la somme mise à la charge de M. D et Mme B par l'avis des sommes à payer émis le 21 septembre 2021.

Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été présentées le 24 janvier 2024 pour M. D et Mme B et ont été communiquées.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Beaucourt, conseillère,

- les conclusions de M. Beaujard, rapporteur public,

- et les observations de Me Lambert, représentant M. D et Mme B.

Considérant ce qui suit :

1. M. A D et Mme E B sont propriétaires d'une parcelle cadastrée section D n° 969 située au 1er allée François Lenzi sur le territoire de la commune de Bresles sur laquelle ils ont installé une habitation légère de loisirs et un abri de jardin en bois. Par un courrier du 19 février 2021, le maire de la commune les a mis en demeure, sous peine d'astreinte administrative prise en application de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, de présenter leurs observations et de procéder à la " suppression " des installations réalisées sur leur parcelle. Cette mesure n'ayant pas été suivie d'effets, le maire a, par un arrêté du 6 juillet 2021, décidé de liquider l'astreinte annoncée dans le courrier du 19 février 2021 pour la période échue du 14 avril au 6 juillet 2021 pour un montant total de 12 000 euros, mis en recouvrement par un avis des sommes à payer émis le 21 septembre suivant. M. D et Mme B demandent, par leur requête n° 2102617, l'annulation de l'arrêté du 6 juillet 2021 et, par leur requête n° 2103571, l'annulation de l'avis des sommes à payer émis le 21 septembre 2021 ainsi que la décharge de l'obligation de payer la somme mise à leur charge.

2. Les requêtes visées ci-dessus, qui relèvent de la compétence du seul juge administratif, sont présentées pour les mêmes requérants, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ".

4. M. D et Mme B soutiennent, à l'appui des conclusions de leur requête n° 2103571, que les dispositions des articles L. 481-1, L. 481-2 et L. 481-3 du code de l'urbanisme, applicables au litige, méconnaissent le droit de propriété, la séparation des pouvoirs et l'indépendance de l'autorité judiciaire, la présomption d'innocence, le droit à un recours juridictionnel effectif, les principes d'indépendance et d'impartialité, le principe de légalité et de proportionnalité des peines et le principe non bis in idem.

5. Aux termes de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme : " Lorsque des travaux mentionnés aux articles L. 421-1 à L. 421-5 ont été entrepris ou exécutés en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ainsi que des obligations mentionnées à l'article L. 610-1 ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable et qu'un procès-verbal a été dressé en application de l'article L. 480-1, indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l'infraction constatée, l'autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3-1 peut, après avoir invité l'intéressé à présenter ses observations, le mettre en demeure, dans un délai qu'elle détermine, soit de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction, de l'aménagement, de l'installation ou des travaux en cause aux dispositions dont la méconnaissance a été constatée, soit de déposer, selon le cas, une demande d'autorisation ou une déclaration préalable visant à leur régularisation / () / III. - L'autorité compétente peut assortir la mise en demeure d'une astreinte d'un montant maximal de 500 € par jour de retard. / L'astreinte peut également être prononcée, à tout moment, après l'expiration du délai imparti par la mise en demeure, le cas échéant prolongé, s'il n'y a pas été satisfait, après que l'intéressé a été invité à présenter ses observations. / Son montant est modulé en tenant compte de l'ampleur des mesures et travaux prescrits et des conséquences de la non-exécution. / Le montant total des sommes résultant de l'astreinte ne peut excéder 25 000 € ".

6. En premier lieu, le dispositif prévu par l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme a pour objet, lorsqu'a été dressé un procès-verbal constatant que des travaux soumis à permis de construire, permis d'aménager, permis de démolir ou déclaration préalable ou dispensés, à titre dérogatoire, d'une telle formalité ont été entrepris ou exécutés irrégulièrement, de permettre à l'autorité administrative, dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale et indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l'infraction constatée, de mettre en demeure l'intéressé, après avoir recueilli ses observations, selon la nature de l'irrégularité constatée et les moyens permettant d'y remédier, soit de solliciter l'autorisation ou la déclaration nécessaire, soit de mettre la construction, l'aménagement, l'installation ou les travaux en cause en conformité avec les dispositions dont la méconnaissance a été constatée, y compris, si la mise en conformité l'impose, en procédant aux démolitions nécessaires. Le pouvoir ainsi mis en œuvre a pour seul objet de rétablir les lieux dans leur situation antérieure aux opérations entreprises ou exécutées irrégulièrement. Il en résulte que, si la remise en état a pour effet de priver le propriétaire de l'usage du bien tel qu'il l'avait irrégulièrement aménagé, elle n'a pas pour effet de conduire à une privation du droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Par suite, l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme ne méconnaît pas les principes de la garantie des droits, de l'indépendance de l'autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs en ce qu'il ne prévoit pas l'intervention du juge judiciaire.

7. En deuxième lieu, la remise en état ne peut être prononcée que pour mettre fin à une méconnaissance des dispositions d'urbanisme et suppose, comme le prévoit expressément l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, que la personne concernée ait été mise à même de présenter ses observations et qu'un délai lui soit laissé pour régulariser la situation. Enfin, la démolition des constructions ou aménagements réalisés ne peut être prononcée que si la mise en conformité l'impose. Ainsi, les limitations apportées par l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme à l'exercice du droit de propriété sont justifiées par le motif d'intérêt général s'attachant au respect des règles d'urbanisme et sont proportionnées à cet objectif. Par suite, l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme ne méconnaît pas le droit de propriété garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni l'étendue de la compétence reconnue au législateur.

8. En troisième lieu, les mesures susceptibles d'être prises par l'autorité administrative au titre de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme qui visent à assurer le respect de la réglementation d'urbanisme et, le cas échéant, le rétablissement des lieux dans un état conforme à celle-ci, ne présentent pas le caractère d'une sanction. Par suite, ni les principes d'indépendance et d'impartialité, ni les principes afférents à l'exercice des droits de la défense dans les procédures de sanction ne leur sont applicables alors, au demeurant, qu'il est prévu que la personne intéressée doit avoir été invitée à présenter ses observations avant toute mise en demeure de remettre les lieux en l'état. Il en va de même s'agissant des principes de la présomption d'innocence de légalité et de proportionnalité des peines et de non bis in idem.

9. En quatrième lieu, la mise en demeure peut être assortie d'une astreinte, prononcée dès l'origine ou à tout moment après l'expiration du délai imparti par la mise en demeure, s'il n'y a pas été satisfait, en ce cas après que l'intéressé a de nouveau été invité à présenter ses observations. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, une procédure contradictoire préalable est instituée préalablement à l'édiction des mesures prévues par les dispositions de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme. Par ailleurs, alors que les arrêtés portant état de recouvrement d'astreintes sont des actes susceptibles de recours, et ce quand bien même des titres exécutoires sont ultérieurement émis pour le recouvrement des sommes dues, aucun principe, ni aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obstacle à ce qu'un tel recours pour excès de pouvoir puisse être assorti d'une requête en référé suspension présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. De surcroît, l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales prévoit que l'opposition à titre exécutoire a un caractère suspensif. Enfin, si, en l'absence d'exécution de la mise en demeure prononcée, l'autorité administrative peut obliger la personne qui en fait l'objet à consigner une somme équivalant au montant des travaux à réaliser, restituée à l'intéressé au fur et à mesure de l'exécution des mesures prescrites, cette décision de consignation peut, elle aussi, faire l'objet d'un recours contentieux. Par suite, l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme ne méconnaît pas le droit à un recours juridictionnel effectif.

10. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de procéder à la transmission au Conseil d'État de la question prioritaire de constitutionnalité, dépourvue de caractère sérieux, soulevée par M. D et Mme B.

Sur les conclusions aux fins d'annulation et de décharge :

En ce qui concerne l'arrêté du 6 juillet 2021 :

11. L'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, introduit par la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, permet à l'autorité compétente, indépendamment des poursuites pénales qui pourraient être engagées, de prononcer une mise en demeure, assortie le cas échéant d'une astreinte, dans différentes hypothèses où les dispositions du code de l'urbanisme, ou les prescriptions résultant d'une décision administrative ont été méconnues, en vue d'obtenir la régularisation de ces infractions, par la réalisation des opérations nécessaires à cette fin ou par le dépôt des demandes d'autorisation ou déclarations préalables permettant cette régularisation. Cette mise en demeure peut être assortie d'une astreinte, prononcée dès l'origine ou à tout moment après l'expiration du délai imparti par la mise en demeure, s'il n'y a pas été satisfait, en ce cas après que l'intéressé a de nouveau été invité à présenter ses observations.

12. Il ressort du courrier du 19 février 2021 que le maire de Bresles s'est contenté, en indiquant que la collectivité " se réserv[ait] le droit d'instituer une astreinte journalière maximale de 500€ plafonnée à 25 000€ jusqu'à la complète exécution de la mise en demeure ", de paraphraser les dispositions de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme sans pour autant indiquer précisément le montant de l'astreinte administrative qu'il entendait infliger à M. D et Mme B, à l'expiration du délai imparti par la mesure de mise en demeure,. En outre, quand bien même le maire a indiqué, dans ce même courrier, être dans l'obligation, dans une telle situation, " de prendre un arrêté prononçant l'astreinte et précisant qu'elle court jusqu'à ce que les travaux de remise en état aient été menés ", il ressort des pièces du dossier, et notamment des visas de l'arrêté du 6 juillet 2021, qu'un tel arrêté n'a jamais été édicté par l'autorité municipale. Par suite, la commune de Bresles ne contestant pas ce point en défense, l'arrêté attaqué, qui procède au recouvrement d'une astreinte administrative qui n'a jamais été prononcée, doit être regardé comme dépourvu de base légale.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête n° 2102617, que l'arrêté du 6 juillet 2021 doit être annulé.

En ce qui concerne l'avis des sommes à payer du 21 septembre 2021 :

14. Le juge de l'excès de pouvoir ne peut, en principe, déduire d'une décision juridictionnelle rendue par lui-même ou par une autre juridiction qu'il n'y a plus lieu de statuer sur des conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, tant que cette décision n'est pas devenue irrévocable. Il en va toutefois différemment lorsque, faisant usage de la faculté dont il dispose dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il joint les requêtes pour statuer par une même décision, en tirant les conséquences nécessaires de ses propres énonciations.

15. Il résulte des développements du point 12 que l'avis des sommes à payer du 21 septembre 2021, émis en application de l'arrêté du 6 juillet 2021, a été pris en application d'un arrêté illégal. Il s'ensuit, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête n° 2103571, que cet avis des sommes à payer, dépourvu de base légale, doit être annulé et que M. D et Mme B doivent, par conséquent, être déchargés de l'obligation de payer la somme de 12 000 euros dont ce titre les a désignés débiteurs.

Sur les frais liés aux litiges :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D et Mme B, qui ne sont pas dans les présentes instances la partie perdante, les sommes demandées par la commune de Bresles au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Bresles une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. D et Mme B dans leur requête n° 2103571.

Article 2 : L'arrêté du 6 juillet 2021 du maire de la commune de Bresles est annulé.

Article 3 : L'avis des sommes à payer émis le 21 septembre 2021 à l'encontre de M. D et Mme B est annulé.

Article 4 : M. D et Mme B sont déchargés de l'obligation de payer la somme de 12 000 euros mise à leur charge par l'avis des sommes à payer du 21 septembre 2021.

Article 5 : La commune de Bresles versera à M. D et Mme B une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Les conclusions présentées par la commune de Bresles sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent jugement sera notifié à M. A D, à Mme E B, à la commune de Bresles et à la trésorerie de Beauvais.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Demurger, présidente,

- Mme Beaucourt et Mme C, conseillères.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.

La rapporteure,

Signé

P. BEAUCOURTLa présidente,

Signé

F. DEMURGER

Le greffier,

Signé

N. VERJOT

La République mande et ordonne à la préfète de l'Oise en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

 

Nos 2102617 et 2103571

Code publication

C