Cour administrative d'appel de Lyon

Ordonnance du 8 février 2024 n° 23LY00390

08/02/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B A a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquels il a été assujetti au titre des années 2014 et 2015.

Par un jugement n° 2104863 du 2 décembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 2 février 2023, M. B A, représenté par Me Planchat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de lui accorder la décharge de ces impositions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la méthode de reconstitution à l'origine des distributions imposées sur le fondement de l'article 111 c) du code général des impôts est radicalement viciée alors que la méthode qu'il propose confirme l'exactitude des résultats déclarés ;

- la somme créditée sur son compte courant, qui correspond à une dette, n'est pas imposable sur le fondement du 2 de l'article 109-1 du code en l'absence de variation de l'actif net.

Par un mémoire distinct, enregistré le 27 décembre 2023, présenté en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58 1067 du 7 novembre 1958, M. A demande à la cour, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts.

Il soutient que sont satisfaites les conditions requises pour transmettre la question de la conformité de ces dispositions, qui sont applicables au litige, au principe d'égalité devant les charges publiques et au principe d'égalité devant la loi garantis par les articles 13 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et que la question, bien que portant sur des dispositions déjà déclarées conformes par le Conseil constitutionnel, présente un caractère nouveau eu égard au changement dans les circonstances de droit intervenu en conséquence de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme n° 26604/16, Waldner c. France, du 7 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents des cours administratives d'appel, les premiers vice-présidents des cours et les présidents des formations de jugement des cours, ainsi que les autres magistrats ayant le grade de président désignés à cet effet par le président de la cour peuvent, () par ordonnance, rejeter () après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement ".

2. La SARL Multiwasher, dont M. A était l'associé unique et le gérant, qui exploitait à Vetraz-Monthoux (Haute-Savoie) une station de lavage de véhicules en libre-service, un atelier de réparation automobile ainsi qu'une laverie automatique en libre-service, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration, après avoir écarté la comptabilité présentée, a, d'une part, réintégré dans ses résultats des exercices clos en 2014 et 2015 les omissions de recettes révélées par une reconstitution extracomptable de ses chiffres d'affaires et, d'autre part, un passif injustifié correspondant à l'inscription au crédit du compte courant de l'intéressé du montant de l'acquisition d'un véhicule Porsche en 2014. En conséquence de ce contrôle, M. A a été assujetti, au titre de ces deux années, à des compléments d'impôt sur le revenu tenant à la réintégration dans ses revenus imposables des recettes omises, que l'administration a imposées entre ses mains sur le fondement de l'article 111 c) du code général des impôts, et de la somme créditée sur son compte courant, laquelle a été imposée sur le fondement du 2° de l'article 109-1 du code. L'administration a appliqué aux revenus distribués la majoration d'assiette de 25 % prévue au 2° de l'article 158-7 du code général des impôts. M. A relève appel du jugement du 2 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge des compléments d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquels il a été assujetti, au titre des années 2014 et 2015, du chef de ces rectifications.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. M. A soutient que les dispositions du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, dans leur rédaction applicable aux années en litige, sont contraires aux principes d'égalité devant les charges publiques et d'égalité devant la loi fiscale protégés par les articles 13 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

4. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un mémoire distinct et motivé, statue par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

5. Aux termes du 7 de l'article 158 du code général des impôts : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1, 25. Ces dispositions s'appliquent : / () 2° Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice ". Aux termes du 1 de l'article 109 du même code : " Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices () ". Aux termes de l'article 111 du même code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués:/ (.) c. les rémunérations et avantages occultes () ".

6. Par une décision n° 2019-793 QPC du 28 juin 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution la référence " c " et les mots " et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice " figurant au 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, dans ses rédactions résultant respectivement de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 et de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013. L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme n° 26604/16, Waldner c. France, du 7 décembre 2023 retenant qu'il y a eu violation de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans une affaire mettant en cause, non pas la majoration d'assiette en litige dans la présente instance, mais la majoration de 25 % alors prévue au 1°, désormais abrogé, du 7 de l'article 158-7 du code qui s'appliquait aux contribuables titulaires de revenus imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles soumis à un régime réel d'imposition et qui n'étaient pas adhérents d'un centre de gestion ou association agréé, ne constitue pas, eu égard à sa portée, une circonstance nouvelle de nature à justifier que la conformité des dispositions du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel.

7. Il suit de là que la condition tenant à ce que la disposition contestée n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution n'est pas satisfaite. Ainsi, et sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité, le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne les distributions fondées sur l'article 111 c) du code général des impôts :

8. En cas de refus des rectifications par le contribuable qu'elle entend imposer comme bénéficiaire des sommes regardées comme distribuées par une société, il incombe à l'administration d'apporter la preuve de l'existence et du montant des revenus distribués.

9. Il résulte de l'instruction que les chiffres d'affaires de la SARL Multiwasher ont été reconstitués au moyen de plusieurs méthodes différentes selon la nature de l'activité exercée. Le chiffre d'affaires de la station de nettoyage de véhicules a été déterminé à partir des relevés des compteurs électroniques, s'agissant des deux équipements de type rouleaux, et des achats consommés de produits de lavage, s'agissant des sept postes de nettoyage haute-pression. Le chiffre d'affaires de l'activité de mécanique et réparation automobile, qui comptait une dizaine de salariés, a été déterminé en retenant la moyenne de deux méthodes dont l'une a consisté à calculer les recettes à partir des coefficients de marge brute pratiqués sur les pièces revendues et significatives en termes de volume (pneus, disques et plaquettes de freins) déterminés d'après les données de l'entreprise, du nombre de vidanges déterminé d'après les quantités d'huile consommées et d'un coût horaire de main d'œuvre fixé à partir de comparables externes faute de données propres à l'entreprise. La seconde méthode a consisté à calculer les recettes en appliquant à la base brute fiscale résultant des liasses fiscales déposées par la SARL Multiwasher le coefficient chiffre d'affaires/base brute fiscale ressortant de l'analyse des données issues d'un panel d'entreprises comparables situées dans le département. Enfin, le chiffre d'affaires de l'activité de laverie automatique de linge, qui comptait 7 machines à laver de grande capacité et 18 petites, a été déterminé par comparaison avec quatre établissements exerçant une activité similaire, situés dans le département, en appliquant au nombre des équipements utilisés par la SARL Multiwasher, convertis en unités-machines, le chiffre d'affaires par unité-machine relevé dans les entreprises comparables avec application d'une décote de 10 % pour tenir compte de la localisation excentrée de l'établissement. Les recettes non déclarées et non comptabilisées de la SARL Multiwasher imposées entre les mains de M. A sur le fondement de l'article 111 c) du code général des impôts se sont élevées à 511 196 euros pour 2014 et 549 383 euros pour 2015.

10. Si M. A soutient que la reconstitution du chiffre d'affaires de la laverie automatique de linge aurait dû être effectuée à partir des données électroniques enregistrées par la centrale de paiement, il ne justifie pas plus en appel qu'en première instance que les machines exploitées par la SARL Multiwasher étaient, au cours de la période d'imposition en litige, effectivement reliées à un terminal de paiement. En se bornant à soutenir que l'administration aurait dû retenir des forfaits de main d'œuvre et non des volumes d'heures de travail, sans établir que c'est ainsi que la SARL Multiwasher facturait ses prestations alors qu'il ressort de la proposition de rectification jointe au dossier de première instance qu'elle n'a présenté, au cours de la vérification de comptabilité, aucune facture en ce qui concerne ce secteur d'activité, le requérant ne peut être regardé comme critiquant utilement la reconstitution des recettes de ce secteur d'activité de la SARL Multiwasher.

11. Si M. A fait valoir que l'extrapolation du ratio de 14 %, qu'il tire des documents présentés au cours du contrôle par la SARL Multiwasher, entre les recettes de la station de nettoyage de véhicules et les chiffres d'affaires déclarés par la société conduit à des niveaux de recettes proches de ceux résultant de ses déclarations, la méthode alternative de reconstitution qu'il invoque consistant à appliquer le rapport entre les chiffres d'affaires reconstitués du secteur d'activité de lavage de voiture et les chiffres d'affaires totaux ressortant des déclaration pour en déduire que les recettes de l'activité de réparation automobile, d'une part, et de l'activité de lavage en libre-service de linge, d'autre part, ne permet pas de déterminer les bases d'imposition avec une meilleure approximation que les méthodes utilisées par le vérificateur dès lors que la méthode du contribuable repose sur des données invérifiables et que les trois secteurs d'activité de la société sont sans lien entre eux. En l'espèce, les deux méthodes appliquées par l'administration pour déterminer les recettes, qui reposent sur les indications fournies par la société au cours du contrôle et sur l'exploitation de données externes dont la matérialité n'est pas contestée, permettent de reconstituer des chiffres d'affaires avec une précision suffisante. Il suit de là que, contrairement à ce qui est soutenu, la méthode utilisée n'est ni radicalement viciée dans son principe, ni entachée d'une approximation telle qu'elle la rendrait excessivement sommaire. Il en résulte que l'administration doit être regardée comme rapportant la preuve, qui lui incombe, de l'existence et du montant des distributions correspondant aux recettes non déclarées par la société dont M. A ne conteste pas le fondement légal.

En ce qui concerne la distribution fondée sur le 2° de l'article 109-1 du code général des impôts :

12. M. A reprend en appel, pour contester l'imposition entre ses mains de la somme créditée en 2014 sur son compte courant, le moyen qu'il avait invoqué en première instance tiré de ce que les dispositions du 2° de l'article 109-1 du code général des impôts ne sont pas applicables. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Grenoble.

13. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. A est manifestement dépourvue de fondement. Dès lors, elle doit être rejetée, y compris en ses conclusions aux fins de mise à la charge de l'Etat des frais liés au litige.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 2° de l'article 158-7 du code général des impôts.

Article 2 : La requête de M. A est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A. Copie en sera adressée pour information au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Fait à Lyon, le 8 février 2024.

Le président de la 2ème chambre,

Dominique Pruvost

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

Code publication

D