Cour de cassation

Arrêt du 7 février 2024 n° 23-19.029

07/02/2024

Non renvoi

COMM.

 

COUR DE CASSATION

 

SH

 

______________________

 

QUESTION PRIORITAIRE

de

CONSTITUTIONNALITÉ

______________________

 

Audience publique du 7 février 2024

 

NON-LIEU A RENVOI

 

M. VIGNEAU, président

 

Arrêt n° 157 F-D

 

Pourvoi n° J 23-19.029

 

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

 

_________________________

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

 

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 FÉVRIER 2024

 

Par deux mémoires spéciaux présentés le 27 novembre 2023,

 

1°/ la société de droit allemand Liebherr Werk Biberach GmbH, dont le siège est [Adresse 6] (Allemagne),

 

2°/ la société Liebherr distribution et services France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8], venant aux droits de la société Liebherr grues à tour par fusion-absorption,

 

3°/ la société HEXAGOne services France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

 

ont formulé deux questions prioritaires de constitutionnalité (n° 1140 et 1141) à l'occasion du pourvoi n° J 23-19.029 formé contre l'arrêt n° RG 21/06078 rendu le 25 mai 2023 par la cour d'appel de Douai (chambre 2 - section 2), dans une instance l'opposant à :

 

1°/ M. [F] [N], domicilié [Adresse 4], pris en qualité d'ancien dirigeant de la société As Pro Bat [N],

 

2°/ M. [T] [E], domicilié [Adresse 1], commissaire-priseur judiciaire,

 

3°/ la société As Pro Bat [N], société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 5], société placée en liquidation judiciaire,

 

4°/ la société BTSG², société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3], prise en son établissement [Adresse 7], mandataires judiciaires associés, en la personne de M. [W] [C], prise en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société As Pro Bat [N], venant aux droits de la société MJ Valem, représentée par M. [V] [X].

 

Le dossier a été communiqué au procureur général.

 

Sur le rapport de Mme Coricon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société de droit allemand Liebherr Werk Biberach GmbH et des sociétés Liebherr distribution et services France et HEXAGOne services France, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 février 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Coricon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

 

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

 

Faits et procédure

 

1. La société As Pro Bat [N] était locataire de deux grues appartenant à la société de droit allemand Liebherr Werk Biberach GmbH, dont l'agent commercial en France était la société Liebherr grues à tour, aux droits de laquelle vient la société Liebherr distribution et services France.

 

2. Par jugement du 10 mai 2021, la société As Pro Bat [N] a été mise en liquidation judiciaire. Les grues à tour ont été cédées à la société Hexagone avec effet au 1er septembre 2021.

 

3. Le 2 novembre 2021, le liquidateur judiciaire de la société As Pro Bat [N] a saisi le juge-commissaire d'une requête aux fins d'être autorisé à vendre les deux grues à tour aux enchères publiques.

 

4. Par un arrêt du 25 mai 2023, la cour d'appel de Douai a confirmé l'ordonnance du juge-commissaire ayant ordonné la vente aux enchères publiques des deux grues, et a condamné sous astreinte la société Hexagone à les restituer.

 

Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité

 

5. A l'occasion du pourvoi qu'elles ont formé contre l'arrêt du 25 mai 2023, les sociétés Liebherr Werk Biberach GmbH, Liebherr distribution et services France, venant aux droits de la société Liebherr grues à tour, et HEXAGOne services France ont, par deux mémoires distincts et motivés, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :

 

1°/ « Les dispositions des articles L. 624-9 et L. 641-14 du code de commerce, telles qu'interprétées par une jurisprudence établie, sont-elles contraires à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles font peser sur le propriétaire d'un bien meuble, que le débiteur en liquidation judiciaire détient à titre précaire en vertu d'un contrat non publié, l'obligation de présenter une demande en revendication dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure collective, sous la seule réserve d'une impossibilité d'agir, et en ce qu'elles sanctionnent le non-respect de ce délai par l'inopposabilité du droit de propriété à la procédure collective, de telle sorte que le bien est alors affecté au gage commun des créanciers et peut faire l'objet d'une cession isolée en application de l'article L. 642-19 du code de commerce, permettant ainsi de procéder, au préjudice du propriétaire qui n'a pas revendiqué son bien dans le délai imparti, à une privation de propriété sans indemnisation ? »

 

2°/ « Les dispositions des articles L. 624-9 et L. 641-14 du code de commerce, telles qu'interprétées par une jurisprudence établie, portent-elles une atteinte excessive au droit de propriété et sont-elles, à ce titre, contraires à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles font peser sur le propriétaire d'un bien meuble, que le débiteur en procédure collective détient à titre précaire en vertu d'un contrat non publié, l'obligation de présenter une demande en revendication dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure, sous la seule réserve d'une impossibilité d'agir, en ce qu'elles sanctionnent le non-respect de ce délai par l'inopposabilité du droit de propriété à la procédure collective et par l'affectation du bien concerné au gage commun des créanciers, y compris lorsque la procédure collective est une liquidation judiciaire et que le bien concerné n'est pas compris dans un plan de cession, et en ce qu'elles permettent ainsi une cession isolée du bien en application de l'article L. 642-19 du code de commerce ? »

 

Examen des questions prioritaires de constitutionnalité

 

6. Les dispositions contestées sont applicables au litige, qui concerne la vente aux enchères publiques de biens détenus par un débiteur placé en liquidation judiciaire et non revendiqués dans le délai de trois mois par leur propriétaire.

 

7. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

8. Les questions, ne portant pas sur des dispositions constitutionnelles dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.

 

9. Les dispositions critiquées, qui soumettent le propriétaire d'un bien, lorsque le contrat portant sur ce bien n'a pas fait l'objet d'une publicité, à l'obligation d'agir en revendication dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure collective du détenteur de ce bien, y compris lorsque ce détenteur est en liquidation judiciaire et qu'une cession isolée du bien est envisagée par le liquidateur, sous peine, selon l'interprétation qu'en donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Com., 3 avril 2019, pourvoi n° 18-11.247), de rendre son droit inopposable aux organes de la procédure collective et aux créanciers du débiteur, n'a ni pour objet, ni pour effet d'entraîner la privation de ce droit. L'inopposabilité du droit de propriété sur le bien qui n'a pas été revendiqué dans le délai prévu par la disposition critiquée sanctionne la défaillance du propriétaire à se soumettre à la discipline collective instaurée en vue de la connaissance rapide du contenu du patrimoine du débiteur et du gage des créanciers, laquelle répond à un objectif d'intérêt général, sans porter une atteinte disproportionnée aux conditions d'exercice de ce droit au regard de l'objectif poursuivi, dès lors, en outre, que le délai ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité absolue d'agir. Les questions posées ne présentent donc pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s'attachent aux principes de valeur constitutionnelle invoqués.

 

10. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer les questions posées au Conseil constitutionnel.

 

PAR CES MOTIFS, la Cour :

 

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille vingt-quatre.

Code publication

n