Tribunal administratif de Rennes

Jugement du 6 février 2024 n° 2101157

06/02/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 mars 2021, 2 novembre 2022 et 19 décembre 2023, l'association qualité, sécurité, santé dentaire (AQSSD), représentée par Me Mokrani-Beddok, demande au tribunal :

1°) d'annuler le récépissé du 21 juillet 2020, valant autorisation de dispenser de soins en faveur du centre de santé DENTEGO de Brest ;

2°) d'annuler la réponse du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Bretagne du 28 décembre 2020 ;

3°) d'enjoindre au directeur général de l'ARS de prononcer la fermeture du centre de santé DENTEGO de Brest ;

4°) de mettre à la charge de l'ARS Bretagne la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- l'acte attaqué est entaché d'un vice d'incompétence ;

- cet acte n'a fait l'objet d'aucune publicité ;

- les engagements pour lesquels l'ARS Bretagne a remis le récépissé valant autorisation d'ouverture du centre de santé Dentengo de Brest ne sont pas conformes à la réalité dès lors que ce centre n'est pas ouvert le samedi ;

- l'installation d'un centre de santé dentaire dans le centre-ville de Brest n'est justifiée par aucun besoin du territoire ; l'installation des centres de santé dentaires dans des villes sur-dotées contrevient aux dispositions de l'arrêté du 27 février 2018 relatif aux centres de santé ;

- aucun élément de l'activité annoncé par le centre de santé Dentego Brest ne permet de vérifier ni de s'assurer que des actions de prévention seront effectivement remplies en réponse à l'article 2 de l'arrêté du 27 février 2018 relatif aux centres de santé ;

- le centre de santé DENTEGO ne participe pas à la permanence de soins et ne propose pas de prise en charge en urgence ; dès lors, il ne respecte pas les engagements mentionnés à la page 33 de son projet de santé ;

- l'ARS a commis une erreur manifeste d'appréciation sur le caractère non lucratif de ce centre de santé en estimant que le centre de santé avait effectivement une gestion désintéressée ; au regard des informations détaillées sur son site internet et de son projet de santé, ce centre ne réalise aucune mission de prévention ou d'éducation thérapeutique, ne participe pas à la permanence des soins et ne réalise pas de démarche qualité ; ce centre a décidé de s'implanter dans la commune de Brest qui a été classée parmi les communes les plus dotées en matière de prestations de soins dentaires par un arrêté de l'ARS en date du 10 février 2014 ; les prestations dentaires doivent être effectuées à des prix homologués par l'autorité publique ou, à défaut, que des opérations analogues ne soient pas couramment réalisées à des prix comparables dans le secteur ;

- les gestionnaires du centre de santé n'ont aucun lien avec le domaine de la santé ;

- la reconnaissance du statut de centre de santé entrave les règles de la concurrence et contrevient au droit de l'Union européenne.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 12 mai 2022 et 30 mars 2023, l'agence régionale de santé (ARS) de Bretagne conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- l'association requérante ne démontre pas son intérêt à agir ;

- les moyens soulevés par l'association requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct et un mémoire complémentaire, enregistrés le 5 mai 2021, l'association qualité, sécurité, santé dentaire demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution des articles L. 6323-1, L. 6323-1-1, L. 6323-1-3, L. 6323-1-4 et L. 6323-1-5 du code de la santé publique ainsi que les dispositions des articles L. 162-32 et L. 162-32-1 du code de la sécurité sociale.

Elle soutient que :

- ces dispositions en cause sont applicables au litige ;

- ces dispositions n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution ;

- la question présente un caractère sérieux les dispositions litigieuses méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, de la liberté d'entreprendre ainsi que des objectifs à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et de protection de la santé garantis par la Constitution ;

- s'agissant du principe d'égalité, les dispositions contestées, en ce qu'elles prévoient l'attribution de dotations, de subventions ou plus généralement d'avantages en faveur des centres de santé alors que ces mêmes dispositions ne peuvent s'appliquer aux professionnels de santé libéraux exerçant sous d'autres formes juridiques sous les mêmes conditions, introduisent une différence de traitement non justifiée par une différence de situation ou un objectif d'intérêt général qui serait poursuivi par le législateur ce qui constitue une rupture d'égalité devant la loi ;

- s'agissant de la liberté d'entreprendre, une telle situation juridique est à l'origine de distorsions de concurrence entre les différents acteurs de santé qui entraînent une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ;

- s'agissant de l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, la formulation " ()'réalise à titre principal des prestations remboursables par l'assurance maladie'() " de l'article L. 6323-1 du code de santé publique est insuffisamment précise et l'absence de moyen et méthode de contrôle est source d'insécurité juridique ;

- s'agissant de l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, d'une part, la possibilité offerte, sur le fondement de l'article L. 6323-1-3 du code de la santé publique, à des organismes à but non lucratif de créer et de gérer des centres de santé sans exiger aucune justification ni poser aucune garantie quant aux compétences et aux connaissances des dirigeants en matière sanitaire porte atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. D'autre part, la possibilité prévue à l'article L. 6323-1-4 du même code de réinvestir au profit d'une autre structure à but non lucratif n'est pas suffisamment précise pour apporter des garanties nécessaires à l'objectif de protection de santé ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2023, l'association centre de santé dentaire Brest conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'association qualité, sécurité, santé dentaire sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle s'associe aux développements figurant dans les mémoires en défense déposés par l'ARS Bretagne ;

- l'association requérante n'a pas intérêt à agir contre la décision attaquée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'arrêté du 27 février 2018 relatif aux centres de santé ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B ;

- les conclusions de M. Le Roux rapporteur public ;

- et les observations de Me Mokrani-Beddok représentant l'AQSSD.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 21 juillet 2020, l'agence régionale de santé (ARS) Bretagne a accusé réception du projet de santé du centre de santé dentaire de Brest ce qui a eu pour effet la reconnaissance juridique de ce centre de santé et l'autorisation de dispenser des soins en lui attribuant un numéro FINESS. Ce centre de santé dentaire " DENTEGO " a ouvert le 5 novembre 2020. L'association qualité, sécurité, santé dentaire (AQSSD) a exercé un recours administratif le 30 octobre 2020 auprès de l'ARS Bretagne tendant à la fermeture de ce centre de santé dentaire. Le 28 décembre 2020, l'ARS Bretagne a refusé de faire droit à cette demande. L'AQSSD demande au tribunal d'annuler le récépissé du 21 juillet 2020, valant autorisation de dispenser de soins en faveur du centre de santé DENTEGO de Brest.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ". Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. / () / Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ".

3. La question prioritaire de constitutionnalité dont l'AQSSD demande la transmission au Conseil d'Etat est relative à la conformité des dispositions des articles L. 6323-1, L. 6323 -1-1, L. 6323-1-3 et L. 6323 -1-4 du code de la santé publique en ce qu'ils ne mettent à la charge des centres de santé aucune mission d'intérêt général qui ne serait pas également imposée aux professionnels de santé exerçant sous d'autres formes juridiques ainsi que des articles L. 6323-1-5 du code de la santé publique et L. 162-32 et L. 162-32-1 du code de la sécurité sociale en ce qu'ils octroient des avantages exclusivement aux centres de santé sans que les autres professionnels de santé exerçant sous d'autres formes juridiques puissent en bénéficier, au principe d'égalité devant la loi, à la liberté d'entreprendre ainsi qu'aux objectifs à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et de protection de la santé.

4. Aux termes de l'article L. 6323-1 du code de la santé publique : " Les centres de santé sont des structures sanitaires de proximité, dispensant des soins de premier recours et, le cas échéant, de second recours et pratiquant à la fois des activités de prévention, de diagnostic et de soins, au sein du centre, sans hébergement, ou au domicile du patient. Ils assurent, le cas échéant, une prise en charge pluriprofessionnelle, associant des professionnels médicaux et des auxiliaires médicaux. / Par dérogation à l'alinéa précédent, un centre de santé peut pratiquer à titre exclusif des activités de diagnostic. / Tout centre de santé, y compris chacune de ses antennes, réalise, à titre principal, des prestations remboursables par l'assurance maladie. / Les centres de santé sont ouverts à toutes les personnes sollicitant une prise en charge médicale ou paramédicale relevant de la compétence des professionnels y exerçant. ". Aux termes de l'article L. 6323-1-1 du même code, dans sa version applicable au litige : " Outre les activités mentionnées à l'article L. 6323-1, les centres de santé peuvent : / 1° Mener des actions de santé publique, d'éducation thérapeutique du patient ainsi que des actions sociales, notamment en vue de favoriser l'accès aux droits et aux soins des personnes les plus vulnérables ou à celles qui ne bénéficient pas de droits ouverts en matière de protection sociale ; / 2° Contribuer à la permanence des soins ambulatoires ; / 3° Constituer des lieux de stages, le cas échéant universitaires, pour la formation des professions médicales et paramédicales ; / 4° Pratiquer des interruptions volontaires de grossesse dans les conditions prévues aux articles L. 2212-1 à L. 2212-9, selon des modalités définies par un cahier des charges établi par la Haute Autorité de santé, dans le cadre d'une convention conclue au titre de l'article L. 2212-2 ; / 5° Soumettre et mettre en œuvre des protocoles définis aux articles L. 4011-1 et L. 4011-2 dans les conditions définies aux articles L. 4011-3 et L. 4011-4 ; / 6° Contribuer, en application des dispositions de l'article L. 6147-10, à la mission de soutien sanitaire des forces armées. ". Aux termes de l'article L. 6323-1-3 du même code dans sa version applicable au litige : " Les centres de santé sont créés et gérés soit par des organismes à but non lucratif, soit par des collectivités territoriales, soit par des établissements publics de coopération intercommunale, soit par des établissements publics de santé, soit par des personnes morales gestionnaires d'établissements privés de santé, à but non lucratif ou à but lucratif. / Un centre de santé peut également être créé et géré par une société coopérative d'intérêt collectif régie par le titre II ter de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. Dans une telle hypothèse, par dérogation à l'article 19 septies de cette loi, les seules personnes morales pouvant être associées de la société coopérative d'intérêt collectif sont les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article. ". Aux termes de l'article L. 6323-1-4 du même code : " Les bénéfices issus de l'exploitation d'un centre de santé ne peuvent pas être distribués. / Ils sont mis en réserve ou réinvestis au profit du centre de santé concerné ou d'un ou plusieurs autres centres de santé ou d'une autre structure à but non lucratif, gérés par le même organisme gestionnaire. / Les comptes du gestionnaire permettent d'établir le respect de cette obligation pour chacun des centres de santé qu'il gère. ".

5. Aux termes de l'article L. 6323-1-5 du code de la santé publique dans sa version applicable au litige : " Les professionnels qui exercent au sein des centres de santé sont salariés. / Les centres de santé peuvent bénéficier de la participation de bénévoles à leurs activités. ". Aux termes de l'article L. 162-32 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige : " Les caisses primaires d'assurance maladie versent aux centres de santé une subvention égale à une partie des cotisations dues par ces centres en application de l'article L. 241-1 pour les personnes qu'ils emploient et qui relèvent des catégories de praticiens ou d'auxiliaires médicaux relevant des sections 1 et 2 du présent chapitre () ". Aux termes de l'article L. 162-32-1 du même code : " Les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les centres de santé sont définis par un accord national conclu pour une durée au plus égale à cinq ans par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et une ou plusieurs organisations représentatives des centres de soins infirmiers, ainsi qu'une ou plusieurs organisations représentatives des centres de soins médicaux, dentaires et polyvalents. / Cet accord détermine notamment : / () 5° Les modes de rémunération, autres que le paiement à l'acte, des activités de soins ainsi que les modes de rémunération des activités non curatives des centres de santé et notamment d'actions de prévention et d'éducation pour la santé ; / 6° Les conditions dans lesquelles les organismes d'assurance maladie participent à des actions d'accompagnement de l'informatisation des centres de santé, notamment pour ce qui concerne la transmission par voie électronique des documents nécessaires au remboursement ou à la prise en charge. Les centres s'engagent dans ce cadre à réaliser un taux significatif de télétransmission de documents nécessaires au remboursement des actes ou des prestations qu'ils dispensent ;() / 8° Le cas échéant, des dispositifs d'aide visant à faciliter l'installation des centres de santé dans les zones définies par l'agence régionale de santé en application de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique ainsi que les conditions dans lesquelles ces centres bénéficient, en contrepartie, d'une rémunération forfaitaire annuelle qui peut être modulée en fonction de leur niveau d'activité et leurs modalités d'exercice ou d'organisation, notamment pour les conduire à intégrer dans leurs équipes des professionnels de santé exerçant des activités numériquement déficitaires dans ces zones. Les obligations auxquelles sont soumis les centres de santé qui bénéficient de ces aides peuvent être adaptées par les agences régionales de santé après consultation des organisations représentatives des centres de santé mentionnées au premier alinéa du présent article pour tenir compte de la situation régionale ; / 9° Le cas échéant, la rémunération versée en contrepartie du respect d'engagements individualisés. Ces engagements individualisés du centre de santé peuvent porter sur la prescription, la participation à des actions de dépistage et de prévention, la prise en charge des patients atteints de pathologies chroniques, des actions destinées à favoriser la continuité et la coordination des soins, ainsi que toute action d'amélioration des pratiques, de formation et d'information des professionnels. Le versement de la contrepartie financière au centre de santé est fonction de l'atteinte des objectifs par celui-ci. ".

6. En premier lieu, les dispositions précitées sont applicables au présent litige au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions.

7. En deuxième lieu, l'AQSSD soutient que les articles L. 162-32 et L. 162-32-1 du code de la sécurité sociale ainsi que l'article L. 6323-1-5 du code de la santé publique, en ce qu'ils prévoient l'attribution de dotations, de subventions ou plus généralement d'avantages en faveur des centres de santé alors que ces mêmes dispositions ne peuvent s'appliquer aux professionnels de santé libéraux exerçant sous d'autres formes juridiques sous les mêmes conditions, introduisent une différence de traitement non justifiée par une différence de situation ou un objectif d'intérêt général qui serait poursuivi par le législateur ce qui constitue une rupture d'égalité devant la loi. Toutefois, il résulte des dispositions de l'article L. 6323-1-4 du code de la santé publique applicable à ces seuls centres de santé que " Les bénéfices issus de l'exploitation d'un centre de santé ne peuvent pas être distribués. / Ils sont mis en réserve ou réinvestis au profit du centre de santé concerné ou d'un ou plusieurs autres centres de santé ou d'une autre structure à but non lucratif, gérés par le même organisme gestionnaire () ". Par suite, le moyen selon lequel la différence de traitement résultant de ces dispositions constituerait une rupture d'égalité devant la loi ne peut être regardé comme posant une question sérieuse.

8. En troisième lieu, l'AQSSD soutient que le dispositif légal contesté accordant aux centres de santé des avantages et subventions est à l'origine de distorsions de concurrence entre les différents acteurs de santé. Cette situation constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre des professionnels de santé exerçant sous une autre forme quelle celle des centres de santé qui ne se justifie ni par la protection d'un droit ou d'une liberté que la Constitution garantit ni par un intérêt général dès lors que les missions énumérées à l'article L. 6323-1-1 du code de la santé publique ne sont que facultatives pour les centres de santé. Toutefois, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Or, en l'espèce, d'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 6323-1 du code de la santé publique que les centres de santé, y compris leurs antennes, doivent, à titre principal réaliser des prestations remboursables par l'assurance maladie et, d'autre part, les dispositions issues de l'ordonnance du 12 janvier 2018 ont pour objet de renforcer l'accès aux soins de premier recours, en facilitant la mise en place de ces lieux de soins et en permettant de maintenir un accès aux soins de qualité ainsi que des conditions de prises en charges, notamment financières, favorables aux usagers dans un but d'intérêt général Par suite, le moyen selon lequel les dispositions en cause porteraient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ne peut être regardé comme posant une question sérieuse.

9. En quatrième lieu, l'association requérante soutient que les dispositions de l'article L. 6323-1 du code de la santé publique, en particulier la formulation " à titre principal ", sont insuffisamment précises et portent atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Elle précise que cette formulation, ne permet pas d'identifier l'intention du législateur, laisse un pouvoir d'appréciation extrêmement vaste aux autorités administratives et que, en l'absence de moyen et méthode de contrôle, cette formulation est source d'insécurité juridique. Toutefois, si l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article

61-1 de la Constitution.

10. En cinquième et dernier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 6323-1-10 du code de la santé publique : " Les centres de santé élaborent un projet de santé, portant, en particulier, sur l'accessibilité et la continuité des soins ainsi que sur la coordination des professionnels de santé au sein du centre et avec des acteurs de soins extérieurs. / Le règlement de fonctionnement du centre de santé est annexé au projet de santé. / Le projet de santé du centre de santé géré par un établissement de santé est distinct du projet d'établissement. / Un arrêté du ministre chargé de la santé précise le contenu du projet de santé et les conditions dans lesquelles les professionnels de santé du centre sont associés à son élaboration ainsi que le contenu du règlement de fonctionnement ". Aux termes de l'article L. 6323-1-11 du même code : " Préalablement à l'ouverture du centre de santé et, le cas échéant d'une ou plusieurs antennes, le représentant légal de l'organisme gestionnaire de ce centre remet au directeur de l'agence régionale de santé le projet de santé mentionné à l'article L. 6323-1-10 ainsi qu'un engagement de conformité du centre de santé dont le contenu est précisé par un arrêté du ministre chargé de la santé. / Le récépissé de cet engagement, établi par le directeur général de l'agence régionale de santé est remis ou transmis au représentant légal de l'organisme gestionnaire. Il vaut autorisation de dispenser des soins aux assurés sociaux dans le centre ou l'antenne concerné. / Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret ". Aux termes de l'articles L. 6323-12 du même code : " I.- Lorsqu'il est constaté un manquement compromettant la qualité ou la sécurité des soins, un manquement du représentant légal de l'organisme gestionnaire à l'obligation de transmission de l'engagement de conformité ou au respect des dispositions législatives et réglementaires relatives aux centres de santé ou en cas d'abus ou de fraude commise à l'égard des organismes de sécurité sociale ou des assurés sociaux, le directeur général de l'agence régionale de santé le notifie à l'organisme gestionnaire du centre de santé et lui demande de faire connaître, dans un délai qui ne peut être inférieur à huit jours, ses observations en réponse ainsi que les mesures correctrices adoptées ou envisagées. / En l'absence de réponse dans ce délai ou si cette réponse est insuffisante, il adresse au gestionnaire du centre de santé une injonction de prendre toutes dispositions nécessaires et de faire cesser définitivement les manquements dans un délai déterminé. Il en constate l'exécution. / II.-En cas d'urgence tenant à la sécurité des patients ou lorsqu'il n'a pas été satisfait, dans le délai fixé, à l'injonction prévue au I, le directeur général de l'agence régionale de santé peut prononcer la suspension immédiate, totale ou partielle, de l'activité du centre et, lorsqu'elles existent, de ses antennes. / La décision est notifiée au représentant légal de l'organisme gestionnaire du centre de santé, accompagnée des constatations faites et assortie d'une mise en demeure de remédier aux manquements dans un délai déterminé. / S'il est constaté, au terme de ce délai, qu'il a été satisfait à la mise en demeure, le directeur général de l'agence régionale de santé, éventuellement après réalisation d'une visite de conformité, met fin à la suspension. / Dans le cas contraire, le directeur général de l'agence régionale de santé se prononce, soit sur le maintien de la suspension jusqu'à l'achèvement de la mise en œuvre des mesures prévues, soit sur la fermeture du centre de santé et, si elles existent, de ses antennes ". Aux termes de l'article L. 6323-12 du même code : " Chaque organisme gestionnaire de centres de santé transmet annuellement au directeur général de l'agence régionale de santé les informations relatives aux activités et aux caractéristiques de fonctionnement et de gestion des centres de santé et de leurs antennes dont il est le représentant légal. Les informations dont la transmission est exigée sont précisées par arrêté du ministre chargé de la santé. "

11. D'une part, l'association requérante soutient que les dispositions de l'article L. 6323-1-3 du code de la santé publique méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé en tant qu'elles permettent à des organismes à but non lucratif de créer et de gérer des centres de santé sans exiger aucune justification ni poser aucune garantie quant aux compétences et aux connaissances des dirigeants en matière sanitaire. Toutefois, l'article L. 6323-1-5 du code de la santé publique applicable aux centres de santé dispose que " Les professionnels qui exercent au sein des centres de santé sont salariés. ". Dès lors que la dispensation de soins est réalisée par des professionnels de santé, la circonstance que les dirigeants de centres de santé soient le cas échéant dépourvus de compétences en matière sanitaire ne méconnaît pas l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé qui découle de l'alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

12. D'autre part, l'AQSSD soutient que les dispositions de l'article L. 6323-1-4 du code de la santé publique contreviennent à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé en tant qu'elles permettent de réinvestir les bénéfices issus de l'exploitation d'un centre de santé au profit " d'une autre structure à but non lucratif " sans apporter suffisamment de précisions sur cette structure. Toutefois, l'alinéa 2 de cet article précise les bénéfices issus de l'exploitation d'un centre de santé, s'ils ne peuvent pas être distribués, peuvent être mis en réserve ou réinvestis au profit du centre de santé concerné ou d'un ou plusieurs autres centres de santé ou d'une autre structure à but non lucratif à la condition d'être gérés par le même organisme gestionnaire. De plus, le dernier alinéa de ce même article précise que " les comptes du gestionnaire permettent d'établir le respect de cette obligation pour chacun des centres de santé qu'il gère ". Par suite, en imposant une double condition au réinvestissement des bénéfices au profit de structure à but non lucratif, le législateur n'a pas méconnu l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la QPC soulevée par l'AQSSD, en toutes ses branches, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la transmettre au Conseil d'État pour transmission au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens :

14. En premier lieu, il ressort de la délégation établie le 28 février 2020 par le directeur général (DG) de l'ARS de Bretagne au bénéfice de M. A, directeur général adjoint (DGA) de cette agence que ce dernier disposait, en qualité de DGA, d'une délégation pour signer l'ensemble des actes et décisions de l'ARS Bretagne en cas d'absence du DG à l'exception d'une liste d'actes au nombre desquels ne figure pas le type d'acte attaqué. Par suite, l'AQSSD n'est pas fondée à soutenir que l'acte attaqué est entaché d'incompétence de l'auteur de l'acte.

15. En deuxième lieu, l'AQSSD, en soutenant que l'acte attaqué n'a fait l'objet d'aucune publicité, ne conteste pas utilement sa légalité.

16. En troisième lieu, l'AQSSD soutient que les engagements pour lesquels l'ARS Bretagne a remis le récépissé valant autorisation d'ouverture du centre de santé Dentengo de Brest ne sont pas conformes à la réalité dès lors que ce centre n'est pas ouvert le samedi. Toutefois, un tel moyen est inopérant dès lors qu'il ne porte que sur les conditions de mise en œuvre de l'acte attaqué postérieurement à son édiction.

17. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 6323-1-11 du code de la santé publique alors en vigueur : " Préalablement à l'ouverture du centre de santé et, le cas échéant d'une ou plusieurs antennes, le représentant légal de l'organisme gestionnaire de ce centre remet au directeur de l'agence régionale de santé le projet de santé mentionné à l'article L. 6323-1-10 ainsi qu'un engagement de conformité du centre de santé dont le contenu est précisé par un arrêté du ministre chargé de la santé./ Le récépissé de cet engagement, établi par le directeur général de l'agence régionale de santé est remis ou transmis au représentant légal de l'organisme gestionnaire. Il vaut autorisation de dispenser des soins aux assurés sociaux dans le centre ou l'antenne concerné ". Il résulte de ces dispositions qu'à la suite de la remise par le centre de santé d'un engagement de conformité, l'ARS délivre un récépissé valant autorisation de dispenser des soins, dès lors en l'absence de fraude établie, et en présence d'un projet de santé qui comportait un diagnostic du territoire au demeurant très détaillé, l'ARS Bretagne n'a pas entaché d'illégalité la décision attaquée.

18. En cinquième lieu, contrairement à que soutient l'AQSSD le projet présenté par le centre de santé DENTEGO Brest permettra de vérifier et de contrôler la mise en œuvre des actions de prévention en réponse à l'article 2 de l'arrêté du 27 février 2018 relatif aux centres de santé. Par suite, le moyen manque en fait et doit être écarté.

19. En sixième lieu, l'AQSSD soutient que le centre de santé DENTEGO ne participe pas à la permanence de soins et ne propose pas de prise en charge en urgence. Toutefois, en se prévalant de cette circonstance qui résulte de la mise en œuvre de l'acte attaqué, l'association requérante ne conteste pas utilement sa légalité.

20. En septième lieu, l'AQSSD soutient que l'ARS Bretagne a commis une erreur manifeste d'appréciation sur le caractère non lucratif de ce centre de santé en estimant qu'il avait effectivement une gestion désintéressée. Toutefois, ainsi le fait valoir l'ARS Bretagne, sans être sérieusement contredite, l'organisme gestionnaire du centre DENTEGO de Brest a le statut d'association dite loi 1901, et a donc le caractère d'organisme à but non lucratif, qui ne relève pas du code de la mutualité et ne saurait se voir appliquer les critères de gestion désintéressée prévus à l'annexe IS au BOI-ANNX-000179-22/04/2013 relative aux " () Activité[s] liée[s] aux centres de santé relevant du Livre III du Code de la mutualité " pour considérer que le centre devrait avoir une gestion intéressée. Par suite le moyen invoqué est inopérant.

21. En huitième lieu, l'AQSSD soutient que les gestionnaires du centre de santé n'ont aucun lien avec le domaine de la santé. Toutefois, aucunes dispositions législatives ou règlementaires, ni aucun principe n'imposent aux gestionnaires des centres de santé d'avoir qualité de professionnels de santé ou de disposer de compétences dans le domaine de la santé. Par suite le moyen invoqué doit être écarté.

22. En dernier lieu, l'AQSSD soutient que la reconnaissance du statut de centre de santé entrave les règles de la concurrence et contrevient au droit de l'Union européenne. Si l'association requérante demande au tribunal " d'opérer un contrôle des articles L6323-1 et [suivants]. en ce qu'ils mettent en place un régime juridique applicable au centre de santé non conforme au Traité de fonctionnement de l'Union européenne. En effet, la Cour de Justice de l'Union européenne considère que les États membres sont obligés de ne pas édicter ou de ne pas maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence aux entreprises ", toutefois ce moyen général n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

23. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, que la requête de l'association requérante doit être rejetée.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

24. Le présent jugement n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par l'association requérante.

Sur les frais liés au litige :

25. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de rejeter l'ensemble des conclusions des parties tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'association qualité, sécurité, santé dentaire est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'association centre de santé dentaire Brest au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l'association qualité, sécurité, santé dentaire, à l'agence régionale de santé de Bretagne et à l'association centre de santé dentaire Brest.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

M. Descombes, président,

M. Le Roux, premier conseiller,

Mme Tourre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024

Le rapporteur,

Signé

P. Le RouxLe président,

Signé

G. Descombes

Le président,

P. Nom

La greffière,

E. Le MagoariecLe greffier,

P. NomLa République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 2100157

Code publication

C