Conseil d'Etat

Décision du 5 février 2024 n° 489300

05/02/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Le syndicat mixte ouvert Seine-et-Yvelines Numérique et le département des Yvelines, à l'appui de leur demande tendant à l'annulation de la décision du 22 mars 2023 par laquelle le préfet des Yvelines a rejeté la demande de la commune de Carrières-sous-Poissy tendant à ce que soit autorisée l'installation sur son territoire, par le syndicat, d'un système de vidéoprotection, ont produit un mémoire, enregistré le 21 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif de Versailles, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2304123 du 7 novembre 2023, enregistrée le 8 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 9ème chambre du tribunal administratif de Versailles, avant qu'il soit statué sur la requête du syndicat mixte ouvert Seine-et-Yvelines Numérique et du département des Yvelines, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du troisième alinéa du III de l'article L. 132-14 du code de la sécurité intérieure.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et par deux mémoires, enregistrés les 7 décembre 2023 et 10 janvier 2024, le syndicat mixte ouvert Seine-et-Yvelines Numérique et le département des Yvelines soutiennent que les dispositions du troisième alinéa du III de l'article L. 132-14 du code de la sécurité intérieure, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et de libre administration des collectivités territoriales.

Par un mémoire, enregistré le 22 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité intérieure, notamment son article L. 132-14 ;

- la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Jau, auditeur,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat du syndicat mixte ouvert Seine-et-Yvelines Numérique et du département des Yvelines ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées les 17 et 19 janvier 2024, présentées par le syndicat mixte ouvert Seine-et-Yvelines Numérique et le département des Yvelines.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du III de l'article L. 132-14 du code de la sécurité intérieure, introduit par l'article 42 de la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés : " III. - Lorsqu'un syndicat mixte défini à l'article L. 5721-8 du code général des collectivités territoriales est composé exclusivement de communes et d'établissements publics de coopération intercommunale qui exercent la compétence relative aux dispositifs locaux de prévention de la délinquance et d'un ou deux départements limitrophes [dit " syndicat mixte ouvert restreint "], il peut décider, sous réserve de leur accord et de celui de la commune d'implantation, autorité publique compétente au sens de l'article L. 251-2 du présent code, d'acquérir, d'installer et d'entretenir des dispositifs de vidéoprotection. / Il peut mettre à disposition des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale et du ou des départements concernés du personnel pour visionner les images, dans les conditions prévues à l'article L. 132-14-1. / Dans ce cas, par dérogation à l'article L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales, il est présidé par le maire d'une des communes ou par le président d'un des établissements publics de coopération intercommunale membres ".

3. A l'appui de leur question prioritaire de constitutionnalité, le syndicat mixte ouvert Seine-et-Yvelines Numérique et le département des Yvelines soutiennent que le troisième alinéa du III de l'article L. 132-14 du code de la sécurité intérieure précité méconnaît le principe d'égalité devant la loi et le principe de libre administration des collectivités territoriales.

4. En premier lieu, selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. Les requérants soutiennent que le législateur a méconnu le principe d'égalité devant la loi, d'une part, en dérogeant, pour les syndicats mixtes concernés, aux dispositions de l'article L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales qui prévoient que le président du syndicat mixte est élu par le comité syndical. Toutefois, la différence de traitement ainsi instituée entre les syndicats mixtes ouverts restreints selon qu'ils agissent ou non pour la mutualisation de dispositifs de vidéoprotection répond à une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. Les requérants soutiennent que le législateur a méconnu le principe d'égalité devant la loi, d'autre part, en réservant la présidence des syndicats mixtes concernés aux maires des communes membres et aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale membres, en excluant les présidents de conseils départementaux. Toutefois, le maire est, en application de l'article L. 251-2 du code de la sécurité intérieure, compétent pour mettre en œuvre des systèmes de vidéoprotection sur la voie publique de sa commune, et le président d'un établissement public de coopération intercommunale qui exerce la compétence relative aux dispositifs locaux de prévention de la délinquance, établissement qui, en vertu du I de l'article L. 132-14 du même code, " peut décider, sous réserve de l'accord de la commune d'implantation, () d'acquérir, d'installer et d'entretenir des dispositifs de vidéoprotection ", est compétent, en vertu de l'article L. 132-13 du même code, pour " anime[r] et coordonne[r], sous réserve du pouvoir de police des maires des communes membres, les actions qui concourent à l'exercice de [la] compétence " exercée en matière de prévention de la délinquance. Ces autorités disposent ainsi de compétences en matière de vidéoprotection, d'une part, et de prévention de la délinquance, d'autre part, sur l'ensemble du territoire de leur commune ou de leur établissement public de coopération intercommunale, tandis que le président du conseil départemental n'est compétent pour mettre en œuvre un système de vidéoprotection, en application de l'article L. 251-2 du code de la sécurité intérieure, que pour la seule protection des bâtiments et installations publics relevant du département et de leurs abords, et ne dispose d'aucune compétence de coordination en matière de dispositifs locaux de prévention de la délinquance, l'article L. 132-15 ne prévoyant le concours du conseil départemental aux actions de prévention de la délinquance que dans le seul cadre de l'exercice de ses compétences d'action sociale. Au regard de la différence des compétences ainsi exercées par les uns et les autres, le choix du législateur de réserver la présidence d'un syndicat mixte ouvert restreint qui décide d'acquérir, d'installer et d'entretenir des dispositifs de vidéoprotection au maire d'une des communes membres de ce syndicat ou au président d'un des établissements publics de coopération intercommunale exerçant la compétence relative aux dispositifs locaux de prévention de la délinquance membres de ce syndicat répond à une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi.

7. Dès lors, le grief tiré de ce que les dispositions contestées porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi ne saurait être regardé comme présentant un caractère sérieux.

8. En second lieu, les syndicats mixtes ne constituent pas des collectivités territoriales au sens de l'article 72 de la Constitution. Le grief tiré de la méconnaissance, à leur égard, du principe de libre administration des collectivités territoriales ne peut donc qu'être écarté comme inopérant. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les dispositions contestées, qui ne régissent que les modalités d'élection du président du syndicat mixte concerné, sont sans incidence sur la libre administration des collectivités territoriales membres de ce syndicat mixte.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat mixte ouvert Seine-et-Yvelines Numérique et le département des Yvelines.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat mixte ouvert Seine-et-Yvelines Numérique, au département des Yvelines et au préfet des Yvelines.

Copie en sera transmise au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au tribunal administratif de Versailles.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Nathalie Escaut, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat ; M. Nicolas Jau, auditeur-rapporteur.

Rendu le 5 février 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Nicolas Jau

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

Code publication

C