Tribunal administratif de Montreuil

Jugement du 25 janvier 2024 n° 2101517

25/01/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 1er février 2021, M. C A D, représenté par Me Daniel-Thezard, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge des cotisations du prélèvement de solidarité auquel il a été assujetti au titre de l'année 2018 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le prélèvement de solidarité est incompatible avec le règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- l'article 60 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 lui donne droit au crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement du bénéfice duquel le législateur n'a pas entendu exclure les non-résidents ;

- l'exclusion du prélèvement de solidarité du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement serait contraire au droit de l'Union européenne ;

- le refus de l'administration de lui faire bénéficier du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement méconnaît le principe d'égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2023, la directrice chargée de la direction des impôts des non-résidents conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A D ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ;

- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 portant loi de finances pour 2017 ;

- la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fabre,

- les conclusions de M. Khiat, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A D, qui réside au Luxembourg, a perçu des revenus fonciers de source française en 2018 qui ont été soumis à des prélèvements sociaux. Sa réclamation en date 28 juillet 2020 ayant été rejetée par une décision du 23 octobre 2020, il demande la décharge des cotisations de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2018 à hauteur respectivement de 10 308 euros.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 235 ter du code général des impôts, dans sa version issue de l'article 26 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 : " I. Il est institué : / 1° Un prélèvement de solidarité sur les revenus du patrimoine mentionnés à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ; () II. Le prélèvement de solidarité mentionné au 1° du I du présent article est assis, contrôlé et recouvré selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que la contribution mentionnée à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, sans qu'il soit fait application du I ter du même article L. 136-6. () III. Le taux des prélèvements de solidarité mentionnés au I est fixé à 7,5 % ". Aux termes de l'article 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue de l'article 26 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 : " I. Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, à l'exception de ceux ayant déjà supporté la contribution au titre des articles L. 136-3, L. 136-4 et L. 136-7 : / a) Des revenus fonciers ; () I bis. Sont également assujetties à la contribution les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts à raison du montant net des revenus, visés au a du I de l'article 164 B du même code, retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu. / I ter. Par dérogation aux I et I bis, ne sont pas redevables de la contribution les personnes qui, par application des dispositions du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, relèvent en matière d'assurance maladie d'une législation soumise à ces dispositions et qui ne sont pas à la charge d'un régime obligatoire de sécurité sociale français. () ". L'affectation du produit du prélèvement de solidarité au budget général de l'Etat fait obstacle à ce que ce prélèvement puisse être regardé comme entrant dans le champ d'application du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. Par suite, M. A D n'est pas fondé à soutenir que ce règlement faisant obstacle à la soumission au prélèvement de solidarité prévu par l'article 235 ter du code général des impôts de ses revenus fonciers de source française au cours de l'année 2018.

3. En deuxième lieu, aux termes du A B de l'article 60 de loi susvisée du 28 décembre 2016 : " Les contribuables bénéficient, à raison des revenus non exceptionnels entrant dans le champ du prélèvement mentionné à l'article 204 A du code général des impôts, tel qu'il résulte de la présente loi, perçus ou réalisés en 2018, d'un crédit d'impôt modernisation du recouvrement destiné à assurer, pour ces revenus, l'absence de double contribution aux charges publiques en 2019 au titre de l'impôt sur le revenu ". Aux termes de l'article 204 A du code général des impôts : " 1. Les revenus imposables à l'impôt sur le revenu suivant les règles applicables aux salaires, aux pensions ou aux rentes viagères ou dans les catégories () des revenus fonciers () donnent lieu, l'année au cours de laquelle le contribuable en a la disposition ou de leur réalisation, à un prélèvement. / 2. Le prélèvement prend la forme : () 2 Pour les revenus mentionnés à l'article 204 C, d'un acompte acquitté par le contribuable ". Aux termes de l'article 204 C du même code : " Donnent lieu au paiement de l'acompte prévu au 2° du 2 de l'article 204 A les revenus soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories () des revenus fonciers () ". Enfin, aux termes du M B de l'article 60 de la loi susvisée : " Les revenus de l'année 2018 mentionnés à l'article 204 C du code général des impôts, lorsqu'ils sont soumis à la contribution prévue à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans les conditions prévues au III du même article L. 136-6, ouvrent droit à un crédit d'impôt dans les mêmes conditions que celles prévues au A du présent II () ". Il résulte de ces dispositions combinées que les revenus, notamment fonciers, entrant dans le champ du prélèvement à la source sous forme d'acompte, ne peuvent ouvrir droit au crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement, au titre des prélèvements sociaux, que s'ils sont également soumis à la contribution sociale généralisée prévue par l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale. Par suite, dès lors que les revenus fonciers de source française perçus par M. A D au cours de l'année 2018 n'ont pas été soumis à la contribution sociale généralisée, il n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait dû bénéficier du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement au titre du prélèvement de solidarité.

4. En troisième lieu, il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 que le critère déterminant le bénéfice du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement n'est pas lié au lieu de résidence, mais à l'assujettissement des sommes en cause à la contribution sociale généralisée prévue à l'article L. 136-6 du code la sécurité sociale. En outre, le bénéfice de ce crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement, qui ne vaut que pour l'année 2018, est par nature transitoire et vise à éviter qu'un contribuable ne doive, au cours de l'année 2019, s'acquitter à la fois des contributions assises sur ses revenus fonciers de l'année 2018 qui, mises en recouvrement par voie de rôle, ont ainsi fait l'objet de ce crédit d'impôt, et des prélèvements sous forme d'acomptes en paiement des contributions dues au titre des revenus fonciers perçus en 2019. Alors que ce crédit a été instauré pour éviter une double imposition, M. A D ne démontre pas avoir, au cours de l'année 2019, dû acquitter des acomptes au titre du prélèvement de solidarité prévu à l'article 235 ter du code général des impôts à raison des revenus fonciers perçus au cours de cette même année. Par suite, le moyen tiré de ce que le refus de lui faire bénéficier du crédit d'impôt est constitutif d'une discrimination de nature à méconnaître les droits fondamentaux garantis par le traité sur l'Union européenne doit être écarté.

5. En dernier lieu, le requérant ne peut utilement soutenir que l'absence de crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement pour les non-résidents constitue une rupture d'égalité devant les charges publiques dès lors que les impositions contestées ont été établies conformément à la loi fiscale, dont la constitutionnalité ne peut, en tout état de cause, être contestée que dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, présentée dans les formes prévues à l'article R.* 771-3 du code de justice administrative.

6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin de décharge doivent être rejetées, ainsi que par voie de conséquence les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A D est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. C A D et à la directrice chargée de la direction des impôts des non-résidents.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Le Garzic, président,

Mme Syndique, première conseillère,

Mme Fabre, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2024.

La rapporteure,

A.-L. Fabre

Le président,

P. Le Garzic Le greffier,

S. Werkling

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.