Conseil d'Etat

Décision du 25 janvier 2024 n° 489088

25/01/2024

Renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La commune de Saint-Cloud, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation totale ou, à tout le moins, en tant qu'il fixe le montant de sa contribution, de l'arrêté du préfet des Hauts-de-Seine du 25 octobre 2022 portant prélèvement sur les ressources de l'ensemble intercommunal Paris Ouest La Défense (POLD) au titre du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) pour l'exercice 2022, ensemble la " fiche de notification " du 25 octobre 2020 ou la décision qu'elle révèle, a produit un mémoire, enregistré le 3 janvier 2023 au greffe du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2217723 du 27 octobre 2023, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, avant qu'il soit statué sur la demande de la commune de Saint-Cloud, a décidé, en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du b) de l'article L. 5219-8 du code général des collectivités territoriales telles qu'interprétées par la décision n° 400495 du 2 mai 2018 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un mémoire, enregistré le 9 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Cloud soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, le principe d'égalité devant les charges publiques et le principe de péréquation énoncé au dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution.

Par un mémoire, enregistré le 29 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Saint-Cloud ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Les articles L. 2336-1 à L. 2336-7 du code général des collectivités territoriales fixent les modalités d'alimentation du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). En application de ces articles, sont contributeurs au FPIC, sous condition de ressources, d'une part, les communes n'appartenant à aucun groupement à fiscalité propre et, d'autre part, les ensembles intercommunaux, c'est-à-dire les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et leurs communes membres. Le 2° du I de l'article L. 2336-3 dispose que : " Le prélèvement calculé afin d'atteindre chaque année le montant prévu au II de l'article L. 2336-1 est réparti entre les ensembles intercommunaux et les communes n'appartenant à aucun groupement à fiscalité propre mentionnés au 1° du présent I en fonction d'un indice synthétique de ressources et de charges multiplié par la population de l'ensemble intercommunal ou de la commune () ". Le 3° du I de l'article L. 2336-3 prévoit par ailleurs un mécanisme de plafonnement des contributions versées au FPIC par les ensembles intercommunaux et les communes de la région d'Ile-de-France, de sorte que les prélèvements opérés au titre du FPIC et au titre du Fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France (FSRIF) ne peuvent excéder un certain pourcentage des ressources prises en compte pour le calcul du potentiel fiscal. Ce pourcentage était fixé à 13% au titre de l'année 2015. En vertu du premier alinéa du II de l'article L. 2336-3 : " - Le prélèvement calculé pour chaque ensemble intercommunal conformément aux 2° et 3° du I est réparti entre l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et ses communes membres en fonction du coefficient d'intégration fiscale défini au III de l'article L. 5211-30, puis entre les communes membres en fonction du potentiel financier par habitant de ces communes, mentionné au IV de l'article L. 2334-4, et de leur population ". Aux termes du dernier alinéa du II du même article, les communes de la région d'Ile-de-France membres d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre bénéficient aussi d'un mécanisme de minoration de leur prélèvement, à due concurrence des montants prélevés l'année précédente au bénéfice du FSRIF, les montants correspondant à ces minorations étant acquittés par l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre auquel appartiennent ces communes.

3. L'article L. 5219-8 du code général des collectivités territoriales prévoit, pour la métropole du Grand Paris, des modalités de financement du FPIC qui dérogent, sur plusieurs points, aux articles L. 2336-1 à L. 2336-7 du même code. Il exclut des contributeurs au FPIC la métropole du Grand Paris elle-même, bien qu'elle soit un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre à statut particulier. Il prévoit que les établissements publics territoriaux constituent, avec les communes qui en sont membres, des ensembles intercommunaux pour l'application des articles L. 2336-1 à L. 2336-7 et contribuent au FPIC. S'agissant de la répartition du prélèvement, il dispose que : " (). Par dérogation aux premier et dernier alinéas du II de l'article L. 2336-3, le prélèvement calculé pour chaque ensemble intercommunal est réparti entre l'établissement public territorial et ses communes membres de la manière suivante : / a) Le prélèvement supporté par l'établissement public territorial est égal à la somme des prélèvements supportés en 2015 par les groupements à fiscalité propre qui lui préexistaient / ; / b) Le reste du prélèvement de chaque ensemble intercommunal est réparti entre les communes membres d'un même établissement public territorial en fonction des prélèvements de chaque commune calculés en 2015 en application du premier alinéa du II de l'article L. 2336-3 et, pour les communes n'appartenant pas à un groupement à fiscalité propre en 2015, en fonction des prélèvements calculés en 2015 en application du I du même article ". Il résulte du a) précité que les établissements publics territoriaux contribuent au financement du FPIC et bénéficient, au titre de l'ensemble intercommunal qu'ils forment avec leurs communes membres, du plafonnement prévu au 3° du I de l'article L. 2336-1, mentionné au point 2. Dans ce cadre, le prélèvement intègre le montant des minorations de prélèvements précédemment opérées au bénéfice des communes, en application du dernier alinéa du II de l'article L. 2336-3 du code général des collectivités territoriales. La répartition prévue au b) de l'article L. 5219-8 permet de prendre en compte les plafonnements précédemment effectués, tant pour les communes appartenant à un groupement à fiscalité propre, dès lors que le prélèvement calculé en 2015 à partir duquel est effectuée cette répartition est le fruit de la répartition d'un prélèvement, lui-même plafonné au niveau de l'ensemble intercommunal, opérée en application du premier alinéa du II de l'article L. 2336-3, que pour les communes n'appartenant pas à un tel groupement, dès lors que le prélèvement calculé en 2015 utilisé pour effectuer cette répartition est plafonné en application du 3° du I de l'article L. 2336-3.

4. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, la commune de Saint-Cloud soutient que les dispositions du b) de l'article L. 5219-8 du code général des collectivités territoriales portent atteinte au principe d'égalité devant la loi et au principe d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et au principe de péréquation énoncé à l'article 72-2 de la Constitution, en ce que, en figeant une clé de répartition du reste du prélèvement de chaque ensemble intercommunal entre les communes le constituant en fonction des prélèvements calculés en 2015 pour chacune d'elles après prise en compte des plafonnements alors appliqués en vertu du 3° du I de l'article L. 2336-3 du code général des collectivités territoriales, elles induisent, pour les communes membres n'ayant pas bénéficié, directement ou indirectement, en 2015, de ce plafonnement, une contribution aux augmentations du prélèvement calculé pour cet ensemble intercommunal plus importante que celle des communes en ayant bénéficié, cet écart allant croissant sans qu'il soit tenu compte de leurs capacités contributives respectives, ni de leur évolution.

5. Les dispositions du b) de l'article L. 5219-8 du code général des collectivités territoriales sont applicables au litige dont est saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d'égalité devant les charges publiques, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du b) de l'article L. 5219-8 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l'article 162 de la loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Cloud, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet des Hauts-de-Seine.

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ainsi qu'au tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Nathalie Escaut, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat ; Mme Muriel Deroc, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 25 janvier 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

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