Tribunal administratif de Caen

Ordonnance du 24 janvier 2024 n° 2302069

24/01/2024

Renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2023, M. A B, représenté par Me Cavelier, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 22 juin 2023 par laquelle la rectrice de l'académie de Normandie a refusé de lui octroyer la protection fonctionnelle ;

2°) d'enjoindre à la rectrice de l'académie de Normandie de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle et, en conséquence, de lui rembourser la somme de 1 907,52 euros au titre des frais d'avocat exposés à l'occasion de son audition libre par les services de police ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 2 novembre 2023, M. B demande au tribunal de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique, en ce qu'elles ne prévoient pas que l'agent public entendu en audition libre à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions bénéficie de la protection fonctionnelle.

Il soutient que les dispositions en cause :

- n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution ;

- sont applicables au litige ;

- méconnaissent le principe d'égalité en ce qu'en ne prévoyant pas que l'agent public entendu en audition libre bénéficie de la protection fonctionnelle, elles instituent une différence de traitement non justifiée par une différence de situation des agents entendus en garde à vue ou en qualité de témoin assisté.

Ce mémoire distinct a été communiqué à la rectrice de l'académie de Normandie, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de procédure pénale ;

- le code général de la fonction publique, notamment son article L. 134-4 ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal administratif de Caen a désigné, M. Marchand, vice-président, pour transmettre, dans les conditions prévues à l'article R. 351-3 du code de justice administrative, les dossiers à la juridiction, autre que le Conseil d'État, qu'il estime compétente.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. D'autre part, aux termes de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique : " Lorsque l'agent public fait l'objet de poursuites pénales à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. / L'agent public entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection. / La collectivité publique est également tenue de protéger l'agent public qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale. ".

3. Les dispositions précitées sont applicables au litige, dès lors que la rectrice de l'académie de Normandie a rejeté la demande de protection fonctionnelle de M. B au motif, notamment, que la situation de ce dernier, entendu en audition libre, n'entrait pas dans le champ de leur application. Elles n'ont, en outre, fait l'objet d'aucune décision du Conseil constitutionnel les déclarant conformes à la Constitution.

4. M. B soutient que ces dispositions, en ce qu'elles ne prévoient pas que l'agent public entendu en audition libre à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions bénéficie de la protection fonctionnelle, méconnaissent le principe d'égalité dès lors qu'elles instituent une différence de traitement non justifiée par une différence de situation des agents entendus en garde à vue ou en qualité de témoin assisté. Cette question n'est pas dépourvue de tout caractère sérieux. Il y a donc lieu de la transmettre au Conseil d'État.

O R D O N N E :

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique, en tant qu'il ne prévoit pas que l'agent public entendu en audition libre à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions bénéficie de la protection fonctionnelle, est transmise au Conseil d'État.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. B, jusqu'à la réception de la décision du Conseil d'État ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B, au Premier ministre, à la rectrice de l'académie de Normandie et à la ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques.

Fait à Caen, le 24 janvier 2024.

Le président de la 2ème chambre,

Signé

A. Marchand

La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

la greffière,

C. Bénis