Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1077 QPC du 24 janvier 2024

24/01/2024

Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 25 octobre 2023 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 2090 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le comité social et économique Procter & Gamble Amiens et autres par la SARL Cabinet Briard, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023–1077 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 3326-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative).

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code du travail ;

– l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative), ratifiée par l’article 1er de la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative) ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées pour les requérants par la SARL Cabinet Briard, enregistrées le 15 novembre 2023 ;

– les observations présentées pour la société Procter & Gamble Holding France et autres, parties au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Damien Célice, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;

– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

– les secondes observations présentées pour les requérants par la SARL Cabinet Briard, enregistrées le 29 novembre 2023 ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Stéphane Bonichot, avocat au barreau de Paris, pour les requérants, Me Célice, pour les parties au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 16 janvier 2024 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article L. 3326-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 12 mars 2007 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise sont établis par une attestation de l’inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes. Ils ne peuvent être remis en cause à l’occasion des litiges nés de l’application du présent titre.

« Les contestations relatives au montant des salaires et au calcul de la valeur ajoutée prévus au 4° de l’article L. 3324-1 sont réglées par les procédures stipulées par les accords de participation. À défaut, elles relèvent des juridictions compétentes en matière d’impôts directs. Lorsqu’un accord de participation est intervenu, les juridictions ne peuvent être saisies que par les signataires de cet accord.

« Tous les autres litiges relatifs à l’application du présent titre sont de la compétence du juge judiciaire ». 

2. Les requérants reprochent à ces dispositions, telles qu’interprétées par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, de faire obstacle à toute remise en cause des montants figurant sur l’attestation établie par le commissaire aux comptes ou l’inspecteur des impôts, alors que la réserve spéciale de participation des salariés est calculée sur la base de ces montants. Elles priveraient ainsi les salariés de la possibilité de contester le calcul de cette réserve, y compris lorsque la fraude ou l’abus de droit sont invoqués à l’encontre d’actes de gestion. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 3326–1 du code du travail.

4. Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

5. En application de l’article L. 3322-1 du code du travail, la participation des salariés aux résultats de l’entreprise prend la forme d’une participation financière à effet différé, qui constitue la réserve spéciale de participation. Il résulte de l’article L. 3324-1 du même code que cette réserve est calculée notamment en fonction du bénéfice net et des capitaux propres de l’entreprise.

6. Selon son article L. 3326-1, le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise sont établis par une attestation de l’inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes. Les dispositions contestées de cet article prévoient que ces montants ne peuvent pas être remis en cause à l’occasion d’un litige relatif à la participation aux résultats de l’entreprise.

7. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que les montants certifiés par l’attestation ne peuvent être remis en cause dans un litige relatif à la participation quand bien même l’action du demandeur est fondée sur la fraude ou l’abus de droit invoqués à l’encontre des actes de gestion de l’entreprise.

8. En premier lieu, cette attestation a pour seul objet de garantir la concordance entre le montant du bénéfice net et des capitaux propres déclarés à l’administration fiscale et celui utilisé par l’entreprise pour le calcul de la réserve spéciale de participation. Ainsi, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu éviter que les montants déclarés par l’entreprise et vérifiés par l’administration fiscale, sous le contrôle du juge de l’impôt, puissent être remis en cause, devant le juge de la participation, par des tiers à la procédure d’établissement de l’impôt. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général.

9. En second lieu, l’administration fiscale, qui contrôle les déclarations effectuées pour l’établissement des impôts, peut, le cas échéant sur la base de renseignements portés à sa connaissance par un tiers, contester et faire rectifier les montants déclarés par l’entreprise au titre du bénéfice net ou des capitaux propres, notamment en cas de fraude ou d’abus de droit liés à des actes de gestion. Dans ce cas, une attestation rectificative est établie aux fins de procéder à un nouveau calcul du montant de la réserve spéciale de participation.

10. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif. Ce grief doit donc être écarté. 

11. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 

Article 1er. – La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 3326–1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative), est conforme à la Constitution.

 

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 janvier 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

 

Rendu public le 24 janvier 2024 .

 

Abstracts

4.2.2.3.3

Procédure civile

En application de l’article L. 3322-1 du code du travail, la participation des salariés aux résultats de l’entreprise prend la forme d’une participation financière à effet différé, qui constitue la réserve spéciale de participation. Il résulte de l’article L. 3324-1 du même code que cette réserve est calculée notamment en fonction du bénéfice net et des capitaux propres de l’entreprise. Selon son article L. 3326-1, le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise sont établis par une attestation de l’inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes. Les dispositions contestées de cet article prévoient que ces montants ne peuvent pas être remis en cause à l’occasion d’un litige relatif à la participation aux résultats de l’entreprise. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que les montants certifiés par l’attestation ne peuvent être remis en cause dans un litige relatif à la participation quand bien même l’action du demandeur est fondée sur la fraude ou l’abus de droit invoqués à l’encontre des actes de gestion de l’entreprise. En premier lieu, cette attestation a pour seul objet de garantir la concordance entre le montant du bénéfice net et des capitaux propres déclarés à l’administration fiscale et celui utilisé par l’entreprise pour le calcul de la réserve spéciale de participation. Ainsi, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu éviter que les montants déclarés par l’entreprise et vérifiés par l’administration fiscale, sous le contrôle du juge de l’impôt, puissent être remis en cause, devant le juge de la participation, par des tiers à la procédure d’établissement de l’impôt. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général. En second lieu, l’administration fiscale, qui contrôle les déclarations effectuées pour l’établissement des impôts, peut, le cas échéant sur la base de renseignements portés à sa connaissance par un tiers, contester et faire rectifier les montants déclarés par l’entreprise au titre du bénéfice net ou des capitaux propres, notamment en cas de fraude ou d’abus de droit liés à des actes de gestion. Dans ce cas, une attestation rectificative est établie aux fins de procéder à un nouveau calcul du montant de la réserve spéciale de participation. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif. Rejet du grief

2023-1077 QPC, 24 janvier 2024, paragr. 5 6 7 8 9 10

11.6.2.1.1.2

Applications

Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que les montants du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise certifiés par l’attestation de l’inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes ne peuvent être remis en cause dans un litige relatif à la participation quand bien même l’action du demandeur est fondée sur la fraude ou l’abus de droit invoqués à l’encontre des actes de gestion de l’entreprise.

2023-1077 QPC, 24 janvier 2024, paragr. 7

11.6.3.5.1

Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.

2023-1077 QPC, 24 janvier 2024, paragr. 3

12.1.3.3

Application à la procédure judiciaire

En application de l’article L. 3322-1 du code du travail, la participation des salariés aux résultats de l’entreprise prend la forme d’une participation financière à effet différé, qui constitue la réserve spéciale de participation. Il résulte de l’article L. 3324-1 du même code que cette réserve est calculée notamment en fonction du bénéfice net et des capitaux propres de l’entreprise. Selon son article L. 3326-1, le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise sont établis par une attestation de l’inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes. Les dispositions contestées de cet article prévoient que ces montants ne peuvent pas être remis en cause à l’occasion d’un litige relatif à la participation aux résultats de l’entreprise. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que les montants certifiés par l’attestation ne peuvent être remis en cause dans un litige relatif à la participation quand bien même l’action du demandeur est fondée sur la fraude ou l’abus de droit invoqués à l’encontre des actes de gestion de l’entreprise. En premier lieu, cette attestation a pour seul objet de garantir la concordance entre le montant du bénéfice net et des capitaux propres déclarés à l’administration fiscale et celui utilisé par l’entreprise pour le calcul de la réserve spéciale de participation. Ainsi, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu éviter que les montants déclarés par l’entreprise et vérifiés par l’administration fiscale, sous le contrôle du juge de l’impôt, puissent être remis en cause, devant le juge de la participation, par des tiers à la procédure d’établissement de l’impôt. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général. En second lieu, l’administration fiscale, qui contrôle les déclarations effectuées pour l’établissement des impôts, peut, le cas échéant sur la base de renseignements portés à sa connaissance par un tiers, contester et faire rectifier les montants déclarés par l’entreprise au titre du bénéfice net ou des capitaux propres, notamment en cas de fraude ou d’abus de droit liés à des actes de gestion. Dans ce cas, une attestation rectificative est établie aux fins de procéder à un nouveau calcul du montant de la réserve spéciale de participation. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif. Rejet du grief

2023-1077 QPC, 24 janvier 2024, paragr. 5 6 7 8 9 10

Références doctrinales

  • Roche, Vincent, Bénéfice net et participation aux résultats : la voix du commissaire aux comptes porte loin, La Semaine juridique. Social, 12 mars 2024, n°10, p. 3.