Cour de cassation

Arrêt du 18 janvier 2024 n° 23-12.483

18/01/2024

Non renvoi

CIV. 2

COUR DE CASSATION

LM

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QUESTION PRIORITAIRE

de

CONSTITUTIONNALITÉ

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Audience publique du 18 janvier 2024

NON-LIEU A RENVOI

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 156 FS-B

Pourvoi n° U 23-12.483

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2024

Par mémoire spécial présenté le 31 octobre 2023, Mme [U] [Y], divorcée [S], domiciliée [Adresse 1], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° U 23-12.483 qu'elle a formé contre le jugement rendu le 15 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Grenoble (pôle social), dans une instance l'opposant à la caisse d'allocation familiales de l'Isère, dont le siège est [Adresse 2].

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gury & Maitre, avocat de Mme [Y], divorcée [S], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse d'allocations familiales de l'Isère, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 16 janvier 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, Mme Coutou, M. Rovinski, Mme Lapasset, MM. Leblanc, Pédron, Reveneau, conseillers, MM. Labaune, Montfort, Mme Lerbret-Féréol, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Catherine, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. En décembre 2019, la caisse d'allocations familiales de l'Isère (la caisse) a déposé une plainte contre Mme [Y] (l'allocataire), bénéficiaire de prestations familiales, pour fausses déclarations en vue d'obtenir une prestation, délit réprimé par l'article 441-6 du code pénal. Par jugement du 17 mars 2021, le tribunal correctionnel de Grenoble l'a déclarée coupable des faits reprochés, et l'a condamnée à une amende de 1 000 euros assortie d'un sursis.

2. Par courrier du 2 juillet 2020, la caisse a notifié à l'allocataire une pénalité financière de 200 euros, sur le fondement de l'article L. 114-17 du code de la sécurité sociale en raison de déclarations inexactes, puis le 16 avril 2021, lui a signifié une contrainte de 220 euros correspondant à la pénalité financière majorée de 10 %, contre laquelle l'allocataire a formé opposition.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

3. A l'occasion du pourvoi que la caisse a formé contre le jugement rendu le 15 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Grenoble, l'allocataire a, par mémoire distinct et motivé, déposé au greffe de la Cour de cassation le 31 octobre 2023, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article L. 114-17 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de l'article 35 de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, en ce qu'il tend à réprimer les mêmes faits susceptibles de faire l'objet de sanctions de même nature pour la protection des mêmes intérêts sociaux que l'article 441-6, alinéa 2, du code pénal, est-il contraire au principe de la nécessité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi qu'au principe de proportionnalité en découlant ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

4. La disposition contestée, dans ses rédactions en vigueur à la date des faits, issues de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017, de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018, de l'ordonnance n° 2019-770 du 17 juillet 2019, est applicable au litige, qui porte sur une pénalité prononcée par la caisse, en raison de l'inexactitude des déclarations faites par l'allocataire ayant conduit au versement de prestations familiales.

5. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

6. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

7. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux, au regard de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, duquel découle le principe de nécessité des délits et des peines, qui s'applique à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

8. En effet, en premier lieu, il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts (notamment, décision n° 2021-942 QPC du 21 octobre 2021).

9. A la différence de l'article L. 114-17 du code de la sécurité sociale, qui prévoit uniquement une pénalité financière, notamment en cas d'inexactitudes ou d'omissions relevées dans une déclaration faites pour le service des prestations, l'article 441-6 du code pénal prévoit, en cas de fausse déclaration ou de déclaration incomplète en vue d'obtenir une allocation ou prestation, une peine d'amende et une peine d'emprisonnement, outre d'autres peines complémentaires mentionnées à l'article 441-11 du code pénal.

10. Ainsi, les faits prévus et sanctionnés par les articles L. 114-17 du code de la sécurité sociale et 441-6 du code pénal doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature différente, de sorte qu'il ne saurait être sérieusement soutenu que les dispositions contestées méconnaissent le principe de nécessité des peines.

11. En second lieu, il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel que dans l'éventualité où deux procédures engagées conduisent à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues et qu'il appartient aux autorités administratives et judiciaires compétentes de veiller au respect de cette exigence (notamment, décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989).

12. L'article L. 114-17 du code de la sécurité sociale, dans les rédactions précitées successivement applicables au litige, prévoit que le montant de la pénalité est fixé en fonction de la gravité des faits, dans la limite de deux fois le plafond mensuel de la sécurité sociale, et que lorsque l'intention de frauder est établie, le montant de la pénalité est fixé, dans la limite de quatre fois le plafond mensuel de la sécurité sociale, sans pouvoir être inférieur à un trentième du plafond mensuel de la sécurité sociale. En outre, cette limite est portée à huit fois le plafond mensuel de la sécurité sociale dans le cas d'une fraude commise en bande organisée au sens de l'article 132-71 du code pénal. L'article 441-6 du code pénal punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende les faits réprimés par ce texte.

13. Dès lors qu'il appartient au juge chargé du contentieux de la sécurité sociale, comme au juge pénal, de veiller à ce que le montant global des sanctions prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé prévu par l'article 441-6 du code pénal ou par l'article L. 114-17 du code de la sécurité sociale, il ne saurait être sérieusement invoqué une méconnaissance du principe de proportionnalité des peines.

14. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-quatre.

Code publication

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