Cour de cassation

Arrêt du 17 janvier 2024 n° 23-40.014

17/01/2024

Non renvoi

SOC.

COUR DE CASSATION

ZB1

______________________

QUESTION PRIORITAIRE

de

CONSTITUTIONNALITÉ

______________________

Audience publique du 17 janvier 2024

NON-LIEU A RENVOI

M. SOMMER, président

Arrêt n° 130 FS-B

Affaire n° U 23-40.014

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 JANVIER 2024

Le tribunal judiciaire de Dijon (contentieux des élections professionnelles) a transmis à la Cour de cassation, suite au jugement rendu le 18 octobre 2023, la question prioritaire de constitutionnalité, reçue le 30 octobre 2023, dans l'instance mettant en cause :

D'une part,

la société Pomona, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], ayant un établissement secondaire [Adresse 5],

D'autre part,

1°/ le Syndicat des commerces et services (SCS), dont le siège est [Adresse 3],

2°/ le syndicat FO UD 21, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ Mme [L] [P], domiciliée [Adresse 5],

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 décembre 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Bouvier, Bérard, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Ollivier, Arsac, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. En vue du renouvellement de la délégation du personnel au comité social et économique de l'établissement Pomona terre azur Bourgogne Franche-Comté situé à [Localité 4] (le comité), la société Pomona a conclu un protocole préélectoral le 30 mars 2023, dont il résulte que le collège employés et ouvriers est composé de 14,14 % de femmes et de 85,86 % d'hommes, cinq sièges étant à pourvoir. Le quorum n'ayant pas été atteint lors du premier tour, en vue du second tour, organisé du 19 au 23 juin 2023, le syndicat FO a présenté dans le collège employés et ouvriers une liste incomplète tant pour les titulaires que pour les suppléants, comportant la seule candidature de Mme [P], laquelle a été déclarée élue titulaire.

2. Par requête enregistrée au greffe le 10 juillet 2023, le syndicat des commerces et services a saisi le tribunal judiciaire d'une demande d'annulation de l'élection de Mme [P] par application de l'article L. 2314-32 du code du travail, au motif que la liste sur laquelle elle figurait aurait dû comporter au moins un représentant de chaque sexe.

3. Par mémoire distinct des écritures au fond, la société a sollicité que soit transmise à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « L‘article L. 2314-30 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, tel qu'interprété par la Cour de cassation, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment à la liberté syndicale, au droit à l'éligibilité aux institutions représentatives du personnel qui découle du principe de participation des travailleurs, consacrés par les sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et au principe d'égalité, en ce qu'il interdit aux seules organisations syndicales de présenter aux élections professionnelles, lorsqu'au moins deux sièges sont à pourvoir au sein d'un collège électoral, une liste comportant un candidat unique ? »

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

4. Par jugement du 18 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Dijon a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée : « L‘article L. 2314-30 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, tel qu'interprété par la Cour de cassation, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment à la liberté syndicale, au droit à l'éligibilité aux institutions représentatives du personnel qui découle du principe de participation des travailleurs , consacrés par les sixième et huitième alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et au principe d'égalité, en ce qu'il interdit aux seules organisations syndicales de présenter aux élections professionnelles, lorsqu'au moins deux sièges sont à pourvoir au sein d'un collège électoral, une liste comportant un candidat unique ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

5. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la contestation de la régularité de l'élection d'une salariée élue sur une liste présentée par un syndicat au regard de l'article L. 2314-30 du code du travail, la Cour de cassation jugeant que les dispositions de cet article éclairées par les travaux parlementaires s'appliquent aux organisations syndicales qui doivent, au premier tour pour lequel elles bénéficient du monopole de présentation des listes de candidats et, par suite, au second tour, constituer des listes qui respectent la représentation équilibrée des femmes et des hommes et ne s'appliquent pas aux candidatures libres présentées au second tour des élections professionnelles (Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-60.222, publié ; Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n° 19-23 732 ; Soc., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-24.134 ; Soc., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-17.306, Soc., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-17.227).

6. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

8. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

9. En premier lieu, il est permis au législateur d'adopter des dispositions revêtant un caractère contraignant tendant à rendre effectif l'égal accès des hommes et des femmes à des responsabilités sociales et professionnelles et il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que, lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir, les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste conforme à l'article L. 2314-30 du code du travail, c'est-à-dire respectant la proportion de la part des hommes et des femmes dans le collège électoral considéré et devant comporter au moins un candidat au titre du sexe sous-représenté et que lorsque l'application des règles de proportionnalité et de l'arrondi à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à cinq conduit, au regard du nombre de sièges à pourvoir, à exclure totalement la représentation de l'un ou l'autre sexe, les listes de candidats peuvent comporter un candidat du sexe sous-représenté, sans que les organisations syndicales y soient tenues. Dès lors, en jugeant qu'en revanche, lorsque l'organisation syndicale choisit de présenter une liste comprenant un nombre de candidats inférieur au nombre de sièges à pourvoir, l'application de la règle de l'arrondi à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à cinq provoquée par le nombre de candidats que l'organisation syndicale a choisi de présenter ne peut conduire, s'agissant de textes d'ordre public absolu, à éliminer toute représentation du sexe sous-représenté qui aurait été autrement représenté dans une liste comportant autant de candidats que de sièges à pourvoir, la disposition contestée telle qu'interprétée par la Cour de cassation est proportionnée à l'objectif de parité recherché par la loi et ne méconnaît ni la liberté syndicale ni le principe de participation des travailleurs.

10. En deuxième lieu, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Or la question prioritaire de constitutionnalité ne précise pas en quoi les dispositions de l'article L. 2314-30 du code du travail, telles qu'interprétées de façon constante par la Cour de cassation (Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-60.222, publié), en ce qu'elles ne sont pas applicables aux candidatures libres présentées au second tour des élections professionnelles, affecteraient en elles-mêmes la liberté syndicale ou le principe de participation des travailleurs.

11. Enfin, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l' égalité de traitement pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit, et les organisations syndicales qui bénéficient du monopole de présentation des listes de candidats au premier tour ne sont pas dans la même situation, au regard de la représentation équilibrée des femmes et des hommes, que les salariés qui présentent des candidatures libres au second tour des élections professionnelles.

12. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille vingt-quatre.

Code publication

b