Cour administrative d'appel de Nantes

Ordonnance du 11 janvier 2024 n° 23NT00846

11/01/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA Groupe Polyclinique du parc a demandé au tribunal administratif de Nantes d'admettre en réduction de son résultat au titre de l'exercice clos en 2014 un déficit d'un montant de 237 692 euros, de prononcer dans cette mesure la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujetties au titre de l'exercice clos en 2014 et de la décharger de l'amende de l'article 1763 du code général des impôts à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2014.

Par jugement n° 2001220 du 27 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mars 2023, la société SA Groupe polyclinique du parc, représentée par Me Daniel-Thezard, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement ;

2°) de prononcer la décharge des amendes mises à sa charge d'un montant de 282 455 euros pour non-présentation du registre des plus-values sur éléments non-amortissables et pour manquement à la tenue de l'état de suivi des plus-values ;

3°) de la décharger des rectifications d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2014 ;

4°) subsidiairement de poser à la Cour de Justice de l'Union Européenne la question préjudicielle suivante : " L'obligation, prévue par le droit français aux fins de bénéficier du régime de faveur de sursis d'imposition en cas de fusion, de scission ou d'apport partiel d'actif suite à la transposition de la directive 2009/133/CE, de tenue d'un état de suivi des plus-values en sursis d'imposition et d'un registre des plus-values en sursis d'imposition ou en

report d'imposition sur les biens non amortissables est-elle conforme au droit de l'Union Européenne, compte tenu des sanctions applicables, à savoir une amende de 5% des résultats omis pour chaque manquement du contribuable aux obligations de suivi ci-avant ' " ;

5°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 10 novembre 2023, la SA Polyclinique du Parc, représentée par Me Daniel-Thezard, demande à la cour, à l'appui de sa requête enregistrée le 24 mars 2023, de transmettre au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 54 septies et 1763 du code général des impôts, dans leur rédaction applicable à la date des rectifications appliquées par l'administration.

La société soutient que :

- les dispositions contestées sont le fondement des amendes qui sont contestées ;

- si elles ont été déclarées conformes à la Constitution par la décision n° 2017-636 QPC du Conseil constitutionnel du 9 juin 2017, la décision n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021 constitue un changement de circonstance de droit de nature à justifier un nouvel examen de leur conformité à la Constitution ;

- la question posée présente un caractère sérieux au regard du principe de proportionnalité des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- il existe une disproportion entre le montant des amendes et l'avantage résultant du manquement ;

- le montant des amendes n'est pas plafonné ni modulable en fonction du risque de déperdition fiscale ;

- l'article 1763 du code général des impôts applicable aux années du litige ne prend pas en compte l'élément intentionnel du manquement.

Vu les autres pièces du dossier. Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code général des impôts, notamment ses articles 54 septies et 1763 du code général des impôts ;

- la décision n° 2017-636 QPC du Conseil constitutionnel du 9 juin 2017, ainsi que la décision n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent

article ". Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. En vertu de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. ".

2. Aux termes de l'article 54 septies du code général des impôts dans sa rédaction applicable au jour du prononcé des rectifications : " I. - Les entreprises placées sous l'un des régimes prévus par () les articles () 210 A, 210 B () du présent code doivent joindre à leur déclaration de résultat un état conforme au modèle fourni par l'administration faisant apparaître, pour chaque nature d'élément, les renseignements nécessaires au calcul du résultat imposable de la cession ultérieure des éléments considérés () / II. - Les plus-values dégagées sur des éléments d'actif non amortissables à l'occasion d'opérations d'échange, de cessions, de fusion, d'apport, de scission, de transformation et dont l'imposition a été reportée, par application des dispositions () des articles () 210 A, 210 B () sont portées sur un registre tenu par l'entreprise qui a inscrit ces biens à l'actif de son bilan. () ". Aux termes de l'article 1763 du même code dans sa rédaction au jour du prononcé des rectifications : " I. - Entraîne l'application d'une amende égale à 5 % des sommes omises le défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet des documents suivants : () / d. Registre mentionné au II de l'article 54 septies ; / e. Etat prévu () au I de l'article 54 septies () au titre de l'exercice au cours duquel est réalisée l'opération visée par ces dispositions ou au titre des exercices ultérieurs () ".

3. En premier lieu, le Conseil constitutionnel a examiné les dispositions du e du paragraphe I l'article 1763 du code général des impôts issues de la loi n° 91-1323 du 30 décembre 1991 de finances rectificatives pour 1991 dans ses paragraphes 2 à 11 de sa décision n° 2017-636 QPC du 9 juin 2017 visée ci-dessus. En examinant le e du I de l'article 1763 du code général des impôts qui sanctionnent en vertu du paragraphe I de l'article 54 septies du code général des impôts les entreprises qui bénéficient d'un régime de sursis ou de reporte d'imposition des plus-values lorsqu'elles n'ont pas joint à leur déclaration de résultat un état de suivi des plus-values, il n'a laissé subsister aucune ambiguïté quant à l'étendue de son contrôle. Il a considéré au paragraphe 8 de cette décision que " l'obligation déclarative dont la méconnaissance est ainsi sanctionnée porte sur des renseignements qui doivent figurer en annexe de la déclaration annuelle de résultat de l'entreprise et qui sont nécessaires au calcul de l'impôt sur la plus-value à l'issue du sursis ou du report d'imposition. Il ressort des travaux préparatoires qu'en instituant cette obligation, le législateur a entendu assortir d'une contrepartie les régimes fiscaux favorables, dérogatoires au droit commun, dont peuvent bénéficier les contribuables réalisant certaines opérations. En réprimant la méconnaissance d'une telle obligation, qui permet directement le suivi de la base taxable et ainsi l'établissement de l'impôt sur la plus-value placée en sursis ou en report, le législateur a poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. D'autre part, en punissant d'une amende égale à 5 % des résultats omis, qui servent de base au calcul de l'impôt exigible ultérieurement, chaque manquement au respect de l'obligation

déclarative incombant aux contribuables bénéficiant d'un régime de sursis ou de report d'imposition, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. Ainsi, même lorsqu'elle s'applique lors de plusieurs exercices, l'amende n'est pas manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'a entendu réprimer le législateur, compte tenu des difficultés propres au suivi des obligations fiscales en cause. " et décidé à l'article 1er du dispositif que " les mots au I de l'article 54 septies () et les mêmes mots, figurant au e du paragraphe I de l'article 1763 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités " étaient " conformes à la Constitution ". Un raisonnement identique à celui retenu par le Conseil constitutionnel au paragraphe 8 de sa décision n° 2017-636 QPC du 9 juin 2017 peut être développé pour ce qui concerne la sanction du défaut de registre que doit tenir l'entreprise qui bénéficie d'un des régimes de sursis ou de report d'imposition des plus-values prévu au II de l'article 54 septies du code général des impôts.

4. En second lieu, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que la conformité au principe de proportionnalité des peines de dispositions prévoyant une sanction pécuniaire, dont le montant est fixé par application d'un taux proportionnel, s'apprécie selon plusieurs critères, qui se pondèrent les uns les autres, à savoir le taux de la sanction, qui peut, dans certains cas, atteindre 100 %, l'assiette à laquelle est appliqué ce taux, notamment, en matière fiscale, l'impôt éludé, ou l'avantage indûment obtenu, par la personne sanctionnée ou par un tiers, ou encore, s'agissant d'un cas d'assiette plus large, des sommes susceptibles de déterminer l'assiette de l'impôt. Sont également retenus la gravité du manquement sanctionné, selon qu'il s'agit de réprimer un manquement purement objectif, ou délibéré, ou des manœuvres frauduleuses, le caractère plus ou moins occulte du manquement et le degré de difficulté à le contrôler, les conséquences du manquement, selon le dommage qu'il cause, ou le profit qu'en retire son auteur ou un tiers, ainsi que le lien entre la nature pécuniaire de la sanction et la nature de l'infraction, qui doit être pris en considération au regard du principe d'individualisation des peines, lorsque le taux ne peut être modulé par le juge ou, enfin, le lien entre l'assiette de la sanction et la nature de l'infraction et, le cas échéant, le potentiel de répétition de la sanction.

5. Dans certains cas, notamment quand la combinaison pondérée des critères cités au point précédent n'est pas suffisante pour garantir légalement la proportionnalité de la sanction, cette dernière peut être appréciée en tenant compte de la possibilité d'en moduler le taux, si elle est ouverte au juge ou à l'autorité de sanction par la loi, ou de l'existence, ou non, d'un plafonnement prévu en plus de celui qui résulte de l'application du taux à une assiette déterminée.

6. La société SA Groupe polyclinique du parc soutient qu'en se référant à l'absence de plafonnement du montant de la sanction et au caractère fixe de son taux, pour déclarer contraires à la Constitution les dispositions du quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 1737 du code général des impôts, qui sanctionnaient le fait, pour un fournisseur redevable de la taxe sur la valeur ajoutée, de ne pas délivrer une facture, d'une amende fiscale égale à 50 % du montant de la transaction, la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021 constituerait un changement de circonstance de droit de nature à justifier un nouvel examen de la conformité à la Constitution des dispositions du e du I de l'article 1763 du code général des impôts et un examen du d du I de ce même article 1763 du code général des impôts, qui prévoient une majoration dont le taux est fixe, et dont le montant n'est pas plafonné en valeur absolue.

7. Toutefois, d'une part, il résulte de ce qui a été précédemment énoncé au point 5 que le Conseil constitutionnel s'est déjà référé, par plusieurs décisions antérieures à la décision n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021, au critère tenant à l'existence ou non d'un plafonnement du montant de la sanction proportionnelle, et à la possibilité, pour l'autorité de sanction ou le juge, d'en moduler le taux. La décision n° 2021-908 QPC ne peut donc en tout état de cause être regardée comme un changement de circonstances de droit s'agissant de ces critères.

8. D'autre part, aucune des décisions du Conseil constitutionnel précédemment mentionnées n'a appliqué le critère du plafonnement de la sanction ou de la modulation de son taux par l'autorité de sanction ou par le juge à l'examen d'une sanction proportionnelle assise sur le montant des droits éludés par la personne sanctionnée. Au contraire, par une décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018, le Conseil constitutionnel a de nouveau déclaré conformes à la Constitution des dispositions prévoyant des majorations proportionnelles assises sur le montant des droits éludés par la personne sanctionnée, et ce en dépit d'un taux fixe et d'un montant non plafonné. Il s'agit des dispositions du a et du b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, prévoyant une majoration de, respectivement, 10 % et 40 %. Il en résulte que, lorsque le législateur fait le choix d'asseoir une sanction à taux proportionnel sur le montant des droits éludés par la personne sanctionnée, et de déterminer le taux de la sanction selon la nature du manquement et, le cas échéant, selon d'autres critères mentionnés au point 4, il n'est pas tenu de plafonner en valeur absolue le montant de la sanction, ni de permettre à l'autorité investie du pouvoir de sanction, ou au juge, d'en moduler le taux.

9. Ainsi, et eu égard à l'ensemble des caractéristiques de l'amende égale à 5 % des sommes omises en cas de défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet de l'état prévu au I de l'article 54 septies, la décision n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021 ne peut en tout état de cause être regardée comme un changement de circonstances de droit qui motive un nouvel examen des dispositions du e du I de l'article 1763 du code général des impôts déclarées conformes à la Constitution par la décision n° 2017-636 QPC du 9 juin 2017. En outre, comme il a été dit au point 3 un raisonnement identique à celui retenu par le Conseil constitutionnel au paragraphe 8 de sa décision n° 2017-636 QPC du 9 juin 2017 pouvant être développé pour ce qui concerne la sanction du défaut de registre prévu au II de l'article 54 septies, la question posée par la conformité du d du I de l'article 1763 du code général des impôts à la constitution est dépourvue de caractère sérieux.

10. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, que le moyen tiré de ce que ces dispositions des d et e du I de l'article 1763 du code général des impôts porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SA Groupe Polyclinique du parc.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société SA Groupe polyclinique du Parc.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SA Polyclinique du Parc et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Le président de la 1ère chambre,

G. QUILLÉVÉRÉ

La République mande et ordonne au de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C